Méthodes et critiques de la méthode

La plupart des auteurs qui s'intéressent à l'éducation des adultes, critiquent les méthodes pédagogiques où l'apprenant est réputé passif, le cours magistral occupant le centre de cette critique, et préconisent l'utilisation de méthodes dites actives dont quelques-unes sont rapidement présentées à la fin de ce chapitre.

Néanmoins, en formation d'adultes, il ne saurait être question face à "cette profusion de méthodologies, (...) d'envisager l'orthodoxie d'une méthode unique qui serait imposée"401 à tous les formateurs. La méthode et l'outil sont surtout une affaire de circonstances, une aptitude à saisir des opportunités pédagogiques et restent du libre choix des apprenants et du facilitateur. Jamais une telle menace d'orthodoxie n'a plané sur la formation des adultes où le choix de la méthode est à l'initiative des acteurs. Le danger serait plutôt d'une autre nature : la sensibilité du milieu aux effets de mode et la croyance en une méthode miracle qui faciliterait les apprentissages de tous les publics. Heureusement, les modes et les méthodes passent et enrichissent l'outillage dont le formateur dispose au grand dam des tenants du tout EAO ou du tout PEI et autres ARL402. Il convient donc de ne pas céder aux illusions pédagogiques et de ne pas se laisser asservir par un outillage, des supports ou des aides pédagogiques trop sophistiqués que constituent certaines méthodes. Les outils et les méthodes sont eux aussi des facilitateurs et des médiateurs et ils ne sauraient devenir à leur tour des entraves à l'action.

Si l'on accepte le principe que "le formateur ou l'enseignant n'apprend pas aux élèves quoi que ce soit, (... qu')il ne peut que favoriser des démarches d'apprentissages en proposant des contenus et des méthodes"403, le problème de la méthode se pose et la critique des méthodes passives et autoritaires est fondée. En règle générale, et sauf exception pédagogique de circonstance, il est convenu d'éviter d'avoir recours aux méthodes démonstratives (centrées sur l'acquisition de savoir-faire par imitation) ou expositives (centrées sur la transmission souvent univoque d'information et sur des applications), d'éviter les pédagogies normatives qui souvent vont à l'encontre de l'autonomie recherchée de l'apprenant. Cette critique de la méthode dogmatique ou expositive où "le maître (le formateur) est détenteur d'une vérité et il l'affirme : il indique ce que l'élève doit faire, doit penser, doit sentir ; il est le dépositaire du modèle à ces trois niveaux (...). L'élève est là pour assimiler, ingurgiter ce qui lui est affirmé404", ou encore pour reprendre l'expression de G. Palmade qui "consiste à développer oralement une question sans faire intervenir les élèves"405 nécessite quelques nuances. Nous pensons, en effet, que le monologue pédagogique peut quelquefois permettre des gains de temps et des raccourcis, des accélérations dans la prise d'information et l'acquisition des connaissances, que l'activité ultérieure viendra consolider. L'outil n'est donc pas à employer seul mais à dose homéopathique, toujours articulé à d'autres pratiques et à certaines conditions. G. Malglaive, même s'il souligne les difficultés du genre, a fort bien décrit les conditions d'exercice du cours magistral. Le formateur, pour l'utiliser, doit réaliser un réel travail de "décentration" et de "pédagogisation" du savoir à transmettre sinon, reprenant un propos de G. Politzer, G. Malglaive souligne que "les sujets en situation didactique d'énonciateur manifestent ce qu'on pourrait appeler un égocentrisme spécifique à la relation didactique, caractérisé par une incapacité à envisager le point de vue du destinataire et par un défaut de contrôle du discours"406. L'apport didactique est, néanmoins, un outil comme un autre pour peu que l'on évite l'aveuglement et l'ivresse pédagogiques qu'il produit du fait d'une trop grande centration de l'énonciateur sur lui-même, ses modes de communication, ses représentations et ses savoirs constitués... Car si l'on cède à l'ivresse, il faut alors savoir que le discours magistral n'est qu'un beau discours et non plus un discours pédagogique : "la cérémonie, le spectacle se donnant comme la parole achevée et nécessaire"407. Dernière remarque critique quant à l'usage non maîtrisé de cette méthode expositive, elle ne stimule pas le travail intra-cognitif essentiel à l'acte d'apprendre et elle ne favorise pas le "travail de co-élaboration entre pairs (qui) est le gage même du dépassement. Si l'apprenant sort de la situation conflictuelle en acceptant par complaisance la réponse de l'enseignant, il évite ainsi le travail cognitif à propos de la tâche qui était l'objet même de son apprentissage. Il semble fort peu probable qu'il puisse alors acquérir une connaissance"408.

L'acquisition du savoir est le fruit d'un cumul, le résultat d'un long processus de superpositions et de connections entre différentes strates de connaissances, souvent mais pas exclusivement toutefois, gouvernées et tournées vers l'action. Il est donc légitime que le savoir, objet finalisé dans et pour l'action, s'acquière plus facilement dans et par l'action. D'où l'importance, ces dernières années, du recentrage des activités autour de la notion de projet. Car non seulement, il s'agit d'apprendre en agissant, mais aussi et surtout dans le cadre d'une action à forte signification pour l'apprenant, gage de mobilisation de cet autre moteur de l'apprentissage qu'est la motivation. Il s'agit donc pour le facilitateur de donner à agir ou de provoquer à l'action, afin d'éviter les projets-poubelle - comme l'enseignement technique a su renoncer aux pièces-poubelle - c'est-à-dire sans usage social ou ne s'inscrivant pas dans une action ou un projet réel, individuel ou collectif, des apprenants. Ainsi le formateur est un catalyseur, un déclencheur d'actes où viendront s'ancrer des savoirs nouveaux sur des savoirs passés. En conséquence, "ceux dont le métier est de former les autres ont à gérer des processus très complexes, qui comportent une grande variété d'aspects, à des échelles de temps différentes. Il leur faut avoir, en effet, une représentation aussi claire que possible des savoirs et savoir-faire dont l'acquisition est visée, de leur fonction, de leur organisation, des compétences progressivement développées par les apprenants au cours de l'apprentissage, des différentes mises en scène à organiser, des continuités et des ruptures à aménager" 409.

Les méthodes actives, sans être une garantie absolue de la réussite des adultes en apprentissage, sont à ce jour les plus pertinentes et les mieux acceptées. Malgré leur grande diversité, elles sont, selon R. Mucchielli, régies par cinq grandes caractéristiques : activité du sujet, motivation, participation à un groupe, le formateur est plutôt un facilitateur, le contrôle comme tel disparaît410. Les méthodes actives sont donc théoriquement en nombre illimité, tout support d'action peut devenir prétexte à l'acte d'apprendre et l'on ne saurait, qu'en fonction de circonstances préalablement analysées, privilégier l'une au détriment de toutes les autres. L'éducation des adultes est une affaire d'imagination et une combinatoire infinie de situations utilisées ou construites pour donner à agir.

Nous laisserons à d'autres le soin de clore ce rapide plaidoyer en faveur des méthodes actives où l'apprenant ne subit plus mais agit. En effet, M. Linard et I. Prax à l'issue d'une longue recherche soulignent, non seulement ce que l'on peut en attendre, mais aussi les conséquences qu'elles ont sur l'activité et l'image du formateur. En effet, "plusieurs résultats rejoignent les données de la psychologie contemporaine et les principes de nombreuses tendances de la pédagogie "active" ou "moderne" : le maître (le formateur) peut, dans une certaine mesure, aider l'enseigné à s'assimiler et s'accommoder411 aux savoirs par une présentation claire et logique des contenus, une bonne organisation de travail et une attitude positive. Mais il ne peut en aucun cas, ni penser, ni sentir, ni se mettre au travail "à la place" de ses élèves, ni même les y forcer s'ils n'y sont pas disposés par avance.

Il conviendra donc que le maître (le formateur), quel qu'il soit, soit aussi formé à ne plus remplir complètement, à lui tout seul, la totalité de l'espace pédagogique, à ne plus tout mener en lieu et place des enseignés. Or pour cela, faut-il encore qu'on se soit accepté soi-même comme être complet, corps et esprit, et que, n'ayant plus trop de comptes à régler avec sa propre image, on puisse supporter sans trop de craintes que se développent celles des autres autour de soi"412.

Notes
401.

Peretti A. (de), Organiser des formations, Paris, Hachette, 1991, p. 41. L'auteur rappelle qu'en 1985, l'Education nationale a reconnu à chaque enseignant "le droit, en responsabilité, d'élaborer une pédagogie propre".

402.

Ce qui par ailleurs ne retire rien à l'intérêt et à la qualité de ces outils et méthodes.

403.

Aumont B., Mesnier P.-M., op. cit., p. 36.

404.

Goguelin P., la Formation animation, une vocation, Paris, ESF, 1991, p. 96.

405.

Palmade G., les Méthodes en pédagogie, Paris, PUF (Que sais-je ?), 1976, p. 59.

406.

Malglaive G., Défense et Illustration du cours magistral, Education permanente, n° 39/40, octobre 1977, p. 115.

407.

Ibid., p. 117.

408.

Aumont B., Mesnier P.-M., op. cit., p. 192.

409.

Vergnaud G., Qu'est-ce que la didactique ? En quoi peut-elle intéresser la formation des adultes peu qualifiés ?, Education permanente, n° 111, juin 1992, p. 26.

410.

Mucchielli R., les méthodes actives dans la pédagogie des adultes, Paris, ESF, 1982, p. 56. Cette cinquième condition est essentielle à plus d'un titre en matière d'apprentissage. L'évaluation sommative jouant souvent soit un rôle inhibiteur, soit un rôle de filtre dans l'appropriation des savoirs. Ce texte n'a pas vocation à traiter de l'évaluation, encore qu'elle soit un moment essentiel de l'acte pédagogique. En éducation des adultes, il préférable d'user d'évaluation formative et non d'évaluation sanction, souvent vécue comme une douloureuse régression. L'évaluation formative permet de faire le point sur ce qui a été acquis et sur ce qui reste à acquérir, permet d'opérer des renforcements positifs et de définir les parcours éducatifs à suivre.

411.

Ces deux termes sont à prendre au sens piagetien.

412.

Linard M., Prax I., Images vidéo, image de soi... ou Narcisse au travail, Paris, Dunod, 1984,
pp. 35-36.