Les effets du multimédia sur l'ingénierie politique

Avant même de s'intéresser aux effets attendus et produits par l'utilisation du multimédia, il convient de s'intéresser à ce qu'induit le recours au multimédia dans la définition des objectifs des politiques de formation.

En effet, de tels outils et un tel investissement sont-ils le produit d'une décision explicite et quelle plus-value en attendre ? En quoi leur introduction favorisera-t-elle l'efficacité ou la qualité de la formation ? En quoi accompagnera-t-elle l'implantation d'un nouveau procès de travail, la maîtrise de nouvelles techniques, la modernisation du management... Car, même si on considère qu'investir dans ce sens c'est se doter "d'un instrument au multiple talent"418, un tel choix n'est ni neutre, ni dépourvu de conséquences.

Il s'agit donc, avant de prendre une telle décision, d'analyser puis de tenir compte des enjeux multiples et des contraintes de l'environnement, en particulier en ce qui concerne la contrainte économique de réduction des budgets de formation. En effet, un tel investissement, aux implications pédagogiques et organisationnelles fortes, ne peut pas se faire à courte vue, sans capacité prospective, sans conception pluriannuelle du plan de formation.

En bref, le choix du multimédia est-il sous-tendu par une stratégie ? Est-il induit par un objectif politique ou n'est-il le résultat que d'un hasard, d'un effet de mode conscient ou inconscient, d'une recherche d'image, d'un effet de communication interne ou bien né de l'envie de quelques-uns de se faire plaisir ou de se valoriser en utilisant une technologie dernier cri ?

Ce choix est-il une exigence pédagogique incontournable du fait du contenu, du public, de la durée ou de l'éclatement géographique entre plusieurs sites... et non le résultat d'un effet de mode ou d'un espoir pédagogique irrationnel dont furent déjà victimes nombres de formateurs lorsqu'apparurent la télévision et l'audiovisuel pédagogiques et les premiers EAO. Il nous semble essentiel de ne plus succomber aux charmes discrets de la technologie.

Cette nécessaire, voire indispensable, formation de formateurs permettrait de produire et d'organiser les nouvelles compétences requises, d'en faire évoluer de plus anciennes et de professionnaliser les nouvelles fonctions liées à l'émergence du multimédia, telles que gestionnaire de centre-ressources et responsable de formation multimédia419. Qualifications ou éléments de qualification qui, une fois produits, devront être reconnus et valorisés dans les entreprises et les organismes de formation.

Il convient en effet de se demander a priori à qui profite le multimédia et en quoi il favorisera l'atteinte des objectifs visés au travers de la formation pour laquelle il n'est peut-être qu'une réponse partielle.

Comme toute innovation, le multimédia est sujet à de multiples détournements et à des utilisations perverses. Ainsi, le choix du multimédia est un choix politique, donc en butte aux manoeuvres des constructeurs d'usine à gaz, et possible marchepied pour quelques carriéristes avertis.

Ainsi, avant de prendre toute décision visant à investir dans le multimédia, il convient, nous semble-t-il, de s'interroger sur la pertinence de l'outil au regard des besoins, tant du point de vue de l'organisation ou de l'entreprise, que de celui des individus. Le multimédia permettra-t-il de répondre à un besoin réel ou n'est-il qu'un besoin produit par l'environnement ?

En quoi le "multi-ressources" favorisera-t-il les apprentissages et en quoi facilitera-t-il l'appropriation des savoirs et leurs transferts dans des situations réelles, sociales ou professionnelles ?

Une fois les réponses apportées à ces questions, il sera temps de s'interroger sur les effets produits par le multimédia sur l'ingénierie politique des formations. Ces effets, sans être nombreux, ne sont pas non plus sans conséquence car ils entraînent, au moins à court terme, un investissement financier non négligeable. Le multimédia est générateur de coûts nouveaux, car il implique l'achat de machines et leur maintenance, l'achat de supports, des locaux dédiés et souvent l'élargissement des compétences de l'équipe éducative...

A moyen ou long terme, on peut attendre, sans doute, un réel retour d'investissement, dans la mesure où l'utilisation du "multi-supports" devrait permettre des économies d'échelles, au moins en ce qui concerne les formations qui auront recours au non présentiel : réduction des frais de transport et d'hébergement, réduction éventuelle des durées entraînant une réduction des coûts pédagogiques et des coûts afférents au maintien des salaires dans le cadre du plan de formation, d'un CIF, voire des indemnités dans le cas des AFR.

On l'aura compris, le choix du multimédia implique un accroissement sensible de la logistique pédagogique, il s'intègre donc à une politique, et non au simple accompagnement de telle ou telle action, d'autant qu'il modifiera l'architecture des dispositifs pédagogiques qui l'intègrent. Il est, selon nous, un élément parmi d'autres d'un système de formation et non pas un outil réservé à un public particulier.

Toute décision d'investissement dans cet outil doit s'accompagner, d'une part d'une réflexion préalable concernant les effets attendus, tant en termes d'effets institutionnels que de productivité pédagogique ; d'autre part, d'une étude du rapport efficience/ efficacité des efforts engagés.

Une fois de plus, il convient d'éviter le piège ou le rêve de l'outil miracle permettant, à moindre coût, de réduire les difficultés d'apprentissage et de produire sans mal toutes les compétences souhaitées, voire de clarifier tous les enjeux qui traversent le champ de la formation.

Notes
418.

Caspar Pierre, in introduction à Kepler A., le Centre-ressources 25 fiches-action, 10 dossiers-débats, Lyon, Chronique sociale, 1992, p. 7.

419.

Voir à ce propos les récents travaux de l'ARDEMI.