Ce texte de valorisation d'une recherche s'inscrit dans le cadre de nos travaux sur l'évaluation438, mais l'étude qui en est le prétexte et le support va bien au-delà "d'un banal travail d'évaluation" car elle ne visait pas à produire un jugement de valeur sur "la qualité des contenus et des intervenants" mais à mesurer, six mois après la sortie de formation, la professionnalisation des stagiaires. Ce texte est aussi une interrogation sur la notion d'effets en formation, déjà évoquée quant à l'utilisation de micro-ordinateurs et présentée ultérieurement dans le cadre d'une analyse des effets du tutorat. Il est également une illustration du lien nécessaire, en formation professionnelle, entre les activités réelles et l'éducation, car ce lien favorise une meilleure compréhension entre des univers encore éloignés. En outre, il démontre que la formation a pour effet, au-delà des apprentissages formels et de la production de compétences, la création de réseaux qui associent des individus et renforcent les organisations.
Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT)439 a créé à La Rochelle, depuis le 1er décembre 1987, une formation spécialisée dans le domaine des transports publics, destinée aux cadres et techniciens des collectivités territoriales : ingénieurs, attachés, cadres et techniciens des services "transports" des communes, des organismes de coopération intercommunale, des départements, des régions.
Cette formation "transport" est constituée d'une série de stages courts (thématiques) de perfectionnement répartis sur l'année ; d'un cycle dense de dix semaines réparties en trois séquences sur six mois, offrant une formation complète, tout en maintenant les stagiaires en activité professionnelle.
La première "promotion" de ce cycle dense, composée de quinze stagiaires, a terminé la formation en 1988. Le CNFPT a souhaité en évaluer les effets "à froid". Cette évaluation, dans le cadre du programme de travail de la Délégation à la recherche et au développement du CNFPT440 a été confiée à l'Institut national de formation et de recherche sur l'éducation permanente (INFREP). Nous en présentons les principaux résultats.
Les collectivités territoriales exercent une responsabilité importante en matière d'organisation et de financement des transports publics de personnes.
Les communes et leurs organismes de coopération intercommunale ont la compétence des réseaux de transports urbains.
Les départements organisent les transports interurbains et des transports scolaires.
Les régions interviennent dans les schémas régionaux et le financement des infrastructures lourdes.
Outre la participation directe des usagers par le biais de la tarification, les collectivités interviennent dans le financement par l'intermédiaire d'une taxe (le versement transport), à laquelle sont assujetties les entreprises ayant leur siège sur le territoire de la commune, ainsi que par une dotation budgétaire attribuée à l'organisme (le plus souvent une société privée) qui assure l'exploitation du réseau de transport (subvention d'équilibre)441.
L'importance croissante des financements consacrés à ce domaine, la reconnaissance du rôle de plus en plus déterminant des réseaux de transports dans les politiques urbaines et le developpement économique et social, ont conduit le CNFPT à envisager dès 1984 de mettre en oeuvre une formation spécifique destinée aux responsables administratifs et techniques des collectivités territoriales, chargés de la définition et de la mise en oeuvre de ces politiques.
Le CNFPT rejoignait ainsi les préoccupations de la principale association représentative des élus locaux, le GART (groupement des autorités responsables de transport).
Une enquête, entreprise auprès de l'ensemble des collectivités, suivie d'une analyse des besoins de formation des cadres concernés aboutit en 1987 à des propositions de formations.
L'accueil réservé au questionnaire adressé aux communes, aux organismes de coopération intercommunale, aux départements et aux régions témoigne d'une sensibilisation croissante du milieu professionnel sur ces questions, puisque près de 50 % des collectivités sollicitées l'ont rempli et retourné au CNFPT. Ce taux de réponse paraît élevé, compte tenu du contexte institutionnel de l'enquête.
Les propositions issues de l'étude préalable tenaient compte du potentiel de cadres à former (environ 500 spécialistes) et précisaient les contenus à développer :
connaissance des montages budgétaires, des analyses financières, des problèmes de tarification, des différents systèmes de gestion (domaine financier) ;
maîtrise des enquêtes et des études préalables, systèmes d'aide à l'exploitation, gestion du trafic, aménagement des voiries (domaine technique) ;
comparaison des politiques de transport public, analyse des textes définissant le rôle des autorités organisatrices de transport et leurs relations avec les entreprises exploitantes (domaine institutionnel, juridique et social) ;
conception d'actions de développement en direction des usagers (domaine de la communication et de l'information).
Mais, outre ces objectifs spécifiques, l'étude préalable mettait particulièrement l'accent sur les enjeux importants touchant à cette formation, la liant avec la nécessaire émergence d'une "profession" de spécialistes des transports publics dans les collectivités territoriales.
Les responsables administratifs ou techniques jouent en effet un rôle primordial : par leurs connaissances, leur expérience, les moyens des services dont ils ont la responsabilité, ils sont, auprès des élus, ceux qui étudient, mettent en oeuvre, gèrent les politiques publiques... Ils en sont des conseillers, ils aident à leurs décisions.
L'évolution des quinze dernières années dans les transports, significative des changements qui traversent aujourd'hui le monde municipal et "paramunicipal", a conduit au développement important des moyens, lié à la création d'une ressource financière spécifique (le versement transport), et a permis la restructuration des réseaux et le début de leur redressement.
Cette évolution a éte accompagnée d'un transfert total du "coût" du transport vers les collectivités publiques, avec la quasidisparition du risque industriel, et d'un développement, contradictoire, du mode de gestion privée des réseaux (disparition quasi complète des structures publiques comme les régies).
Dans un tel contexte, et jusqu'à une date récente, les cadres des collectivités territoriales se sont relativement peu engagés dans ce domaine d'activité.
Le caractère dominant de la délégation de gestion aux sociétés privées, l'absence de grands travaux, de réalisations importantes (au moins jusqu'à la promotion des tramways et des métros) ; le manque de clarté dans les rôles respectifs des corps techniques et administratifs, la persistance, parmi les élus locaux, de la conception selon laquelle le transport a surtout un rôle "social", sans grand enjeu en terme d'aménagement et de vie locale, l'absence de profil de carrière clair pour les fonctionnaires s'engageant dans ces activités, peuvent expliquer ce faible intérêt.
On constate ainsi une insuffisance d'hommes, de compétences, de motivation, de responsabilités et une dilution des interventions publiques face à un secteur privé fort, organisé professionnellement pour être l'interlocuteur direct des élus locaux : résultats à la fois du caractère encore secondaire de ce domaine d'activité dans la vie locale et frein au développement même des transports publics.
Ces constats conduisent les responsables du CNFPT à mettre en place un dispositif visant à motiver, à former, à agir ; un dispositif qui cherche à induire une dynamique de professionnalisation à l'intérieur même de la fonction publique territoriale :
pour les fonctionnaires, par l'investissement (ou le réinvestissement d'un champ d'activité stratégiquement exemplaire ;
pour les élus, par la création d'une véritable fonction de conseil au sein du service public.
Cette dynamique peut, bien entendu, être vécue contradictoirement par les exploitants de réseaux de transports : émergence d'une concurrence professionnelle et crainte d'un contrôle accru sur leur gestion, mais aussi possibilité de meilleurs rapports de travail avec des interlocuteurs publics plus fermes et plus sûrs.
L'enjeu important autour de l'expertise locale "transport" a particulièrement été mis en évidence par Jean-Marc Offner, chercheur au Latts qui, dans un article paru en mars 1988442, note le rôle considérable qu'elle a joué dans la réhabilitation politique, économique et idéologique d'un mode de déplacement, voué quelques années plus tôt à la disparition.
Il décrit notamment comment s'est opérée cette apparition d'un nouveau "milieu professionnel" qui s'oppose en tous points (formation, références disciplinaires, insertion locale, rapport au politique...) aux expertises traditionnelles, qu'elles soient centrales (corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées ou des travaux publics de l'Etat) ou territoriales (ingénieurs des services techniques des villes), ainsi que la très faible participation des agents des collectivités territoriales à sa constitution.
Il analyse enfin comment l'absence d'institutionnalisation de ce milieu professionnel, mettant en cause son homogénéité et sa légitimité, fait peser des incertitudes lourdes sur son avenir. Ces réflexions ont amené le CNFPT à être particulièrement attentif aux effets de la formation sur la professionnalisation du milieu, pour un objectif plus général de valorisation du service public, dans le cadre des collectivités territoriales.
Les effets étaient attendus sur quatre registres :
sur les compétences professionnelles des stagiaires, par une affirmation de leur rôle dans les services des collectivités territoriales, un accroissement des responsabilités que leur confient les élus, en matière d'élaboration de projets et d'aide à la décision ;
sur le réseau professionnel, par la constitution d'un système autonome de relations entre responsables de services transport des collectivités territoriales exerçant dans le domaine urbain ou interurbain (les relations étaient jusqu'alors médiatisées par des associations d'élus locaux ou de professionnels dans lesquelles les fonctionnaires territoriaux avaient peu de place) ;
sur l'employabilité, en particulier le développement des perspectives de mobilité entre collectivités territoriales de niveaux différents ;
sur les enjeux du service public de transport, par la mobilisation, autour du cycle de formation, des milieux professionnels concernés.
En outre, l’enquête préalable, constatant une implication insuffisante des cadres territoriaux dans les transports, mais n'ayant pas permis de procéder à une analyse suffisamment précise de la fonction de responsable de service transport, il paraissait nécessaire d'obtenir des informations pour mieux définir les profils d'entrée et de sortie de cette formation.
Ce texte, rédigé avec J.-F. Pin, a été publié dans Actualité de la formation permanente, n° 107, juillet-août 1990, pp. 6-10. Il est le résultat d'une recherche conduite pour le compte de la Délégation à la recherche et au développement du CNFPT dirigé par J.-F. Pin. Il a été repris et enrichi dans les Actes des deuxièmes rencontres internationales du réseau Recherche en éducation et formation, Liège, 1991.
Entre autres : Evaluation du dispositif de perfectionnement des personnels de niveau II de la
CNAV-TS avec Lucien Petot, 1987, Evalution de la formation-action : groupe "illettrisme", 1992, ou le travail que je conduis à l'heure actuelle à Strasbourg.
Le CNFPT est un établissement public national regroupant toutes les collectivités territoriales (communes, départements, régions) ainsi que les établissements publics et leurs organismes de coopération. Financé par une cotisation obligatoire versée par les collectivités, il organise et met en oeuvre les formations destinées à la préparation des concours de promotion interne, les formations dispensées après recrutement et affectation des nouveaux fonctionnaires, ainsi que les stages de formation continue et de perfectionnement en cours de carrière. Il est responsable également de certains actes de gestion de la carrière des fonctionnaires de catégorie A.
CNFPT, 3, villa Thoreton, 75738 Paris cedex 15.
La Délégation à la recherche et audéveloppement du CNFPT conduit un programme pluriannuel d'études et de recherches appliquées a la formation. Elle édite une collection d'ouvrages tirés des résultats de recherches (Recherches et Développement), ainsi qu'une revue trimestrielle (Etude et Réflexions).
Pour les problèmes actuels du transport public, on peut se référer au Cahier du CNFPT, n° 26, novembre 88 : Transports urbains et interurbains.
Revue Politiques et management public (mars 1988, "l'Expertise locale en transports urbains entre logiques professionnelles et organisationnelles", par Jean-Marc Offner, chercheur au Latts (Laboratoire techniques, territoires et sociétes UA CNPS 1245 - université Paris-Val-de-Marne-Ecole nationale des ponts et chaussées).