Tutorat et effets sur l'organisation

Comme toute fonction émergente, le tutorat entraîne des modifications dans les organisations. D'abord, parce qu'il contribue à modifier l'image de certains acteurs, le tuteur, reconnu ou non, n'est plus le simple "producteur", il est un médiateur, voire un éducateur. Il est aussi, dans une certaine mesure, une image que l'entreprise donne à voir.

Ce rôle modifie sensiblement le regard que la hiérarchie porte sur le tuteur car celui-ci est porteur d'autre chose, il est investi d'une responsabilité d'accompagnement et de transmission - même si ce qui doit être transmis demeure flou - dans le cadre d'un dispositif pédagogique, le plus souvent "officiel" et qui associe d'autres acteurs, "étrangers" à l'organisation.

Cette posture particulière du tuteur amène à le considérer, soit comme "dangereux", soit comme un "élément à potentiel". "Dangereux" car le tuteur est en lien avec une culture exogène à l'organisation - qui plus est éducative - et qu'il est donc susceptible, tôt ou tard, d'introduire de nouvelles informations dans le système. Apports extérieurs qui, à terme, peuvent induire de nouvelles pratiques, impliquer de nouveaux fonctionnements et, pourquoi pas, modifier significativement la structure. "Elément à potentiel", si l'on considère qu'être tuteur est une forme d'évolution professionnelle et une prise de responsabilité. En ce cas, le tuteur, de part sa fonction et les liens qu'il entretient avec l'extérieur, devient une "ressource humaine" à valoriser, car il est en mesure d'importer des idées ou des pratiques nouvelles dans l'entreprise et donc de jouer un rôle dans son renouvellement et sa modernisation. Le tutorat donc, selon la pathologie de l'organisation, apparaît soit comme un apport positif, soit comme un élément déstabilisateur, selon qu'il est ressenti comme un agent de développement ou comme un agent inducteur de déséquilibre.

Ensuite, le tutorat a des effets de proximité. Il modifie sensiblement le rapport du tuteur à sa hiérarchie. Doté d'une image nouvelle, celui-ci souvent l'utilise dans la gestion de sa propre situation de travail. La fonction tutorale est d'ailleurs quelquefois revendiquée comme un élément nouveau de qualification dont la question de la reconnaissance se pose fréquemment.

Au sein même de son équipe de travail, le tuteur est perçu différemment. Il y est inclus mais sa fonction lui confère une "étrangeté" quelquefois suspecte, car "sur" ou "sous" valorisée450. Le tuteur, s'il n'y prend garde, peut être le sujet de remise en cause forte, il peut être vécu comme en rupture culturelle avec son groupe d'appartenance. Lorsque celui-ci exerce une forme d'autorité, il a été souvent constaté que l'exercice du tutorat, surtout si les tuteurs ont été formés, modifie sensiblement son management451. Les capacités d'écoute et de communication semblent celles qui sont les plus en mesure d'évoluer sous l'effet du tutorat.

Le tutorat oblige donc l'organisation à évoluer et surtout à se penser et à s'accepter comme un lieu d'apprentissage - au moins partiel - et à se faire reconnaître dans cette nouvelle activité. Il est sans doute une manière douce pour transformer nombre d'entreprises encore "taylorisées" en organisations qualifiantes.

Notes
450.

Souvent liée à l'image de l'enseignant, le tuteur "fait" ou "se prend" pour un professeur.

451.

L'évaluation d'un dispositif de lutte contre l'illettrisme, conduite à Strasbourg permet de confirmer encore cette réalité.