Tutorat et effets sur le tuteur

Après avoir brossé à grands traits les effets du tutorat sur l'organisation, il convient d'évoquer les effets que l'exercice du tutorat peut induire chez les tuteurs eux-mêmes. A l'évidence, la fonction de tuteur affecte le processus identitaire de ceux qui la mettent en oeuvre car "la responsabilisation qui s'y attache joue sur la confiance en soi"452. Comment ne pas imaginer que l'identité au travail - et sans doute pas seulement elle - des tuteurs ne soit pas affectée par une pratique qui modifie sensiblement certains aspects de leur activité et de leur image. En quoi, en effet, assumer un nouveau rôle déstructure-t-il l'identité existante ? En quoi devoir accueillir et accompagner un apprenant, en quoi devoir lui transmettre des savoirs, en quoi devoir l'évaluer dans le cadre de sa propre activité professionnelle, entraînent-ils chez le tuteur une évolution identitaire ? En quoi communiquer "autrement" - dans le cadre d'une relation pédagogique - amène-t-il des modifications de l'image de soi ? En quoi participer autrement au travail d'équipe et/ou manager d'une autre manière remettent-ils en question une identité constituée ? En quoi encore, le fait de donner à voir une autre image de soi et d'être perçu différemment font-ils évoluer l'identité du tuteur ? Autant de questions qu'il conviendrait d'approfondir avec les tuteurs pour mieux comprendre ce qui se joue pour eux dans et autour de cette activité. Mais il semble évident, néanmoins, que le fait de devenir un référent professionnel pour le stagiaire, une "sorte" de formateur pour les collègues et la hiérarchie, ait un impact sur la représentation que le tuteur se fait de lui-même et le conduise, à certains égards et dans certaines circonstances, à modifier ses comportements et la conduite de son activité professionnelle.

Il apparaît donc que la fonction tutorale n'est pas neutre, qu'elle participe des évolutions identitaires des tuteurs dont nous savons par ailleurs qu'ils réinterrogent, dans le cadre de cette activité, leur rapport au savoir et au pouvoir. Rapport au pouvoir en situation de travail et dans la relation pédagogique, rapport au savoir dans l'analyse de leur propre activité qui oblige le tuteur à faire émerger et à nommer les savoirs qui alimentent les compétences qu'il exerce. Cette nécessité d'analyse du travail, essentielle à la transmission du métier, incite dans bien des cas le tuteur à "reprendre ses livres", à revisiter des savoirs enfouis, à réenclencher chez lui et pour lui des processus d'apprentissage qui bénéficieront à l'apprenant mais aussi à l'organisation.

De plus, pour le tuteur, l'exercice du tutorat lui-même impulse des activités métacognitives qui aboutissent à un "processus de renforcement des connaissances acquises par le tuteur (qui) tient à la manière dont elles sont revisitées pendant les séquences de tutorat"453. Il accroît, par ailleurs, "la capacité à apprendre des tuteurs tout en développant leurs capacités à enseigner, à expliquer"454.

Cet ensemble de bénéfices secondaires que le tuteur tire d'une activité souvent bénévole, conduit certains auteurs à se demander à qui profite le plus le tutorat : aux apprenants ou aux tuteurs ? A l'évidence, "l'effet-tuteur" montre "tout le bénéfice personnel (qu'un tuteur) peut tirer d'un enseignement qu'il donne lui-même à un groupe de pairs"455, mais il n'est pas niable non plus qu'il est fort utile aussi à ceux qui apprennent.

Notes
452.

Barnier G., Interactions de guidage entre pairs, revue Educations, n° 9, juin-octobre 1996, p. 45.

453.

Ibid., p. 46.

454.

Ibid., p. 47.

455.

Aumont B., Mesnier P.-M., l'Acte d'apprendre, Paris, PUF, 1992, p. 193.