Ce texte se situe à la frontière de deux champs de réflexion, celui de la formation aux métiers de la formation et celui de la qualité501. Il reprend donc l'idée que la qualité est d'abord celle de "l'homme au travail" et soulève un paradoxe celui "de la rareté de la réflexion (...) en matière d'évaluation des formations de formateurs" qui se soucient généralement peu des compétences et des effets produits. Il souligne la contradiction, pour ne pas écrire la rupture, entre le discours sur l'évaluation en formation de formateurs et les pratiques souvent constatées. Il évoque l'utilisation, dans les formations de formateurs, des situations de travail, de l'alternance et du tutorat.
Même si l'évaluation des formations de formateurs est pour nous une préoccupation ancienne502, cette contribution s'inscrit dans le cadre de la démarche qualité engagée au CEP (centre d'éducation permanente) de l'université Paris X. Rappelons que, pour nous, la qualité dépend au moins autant de la précision de la commande et de la pertinence de l'offre que de "la qualité et de la qualification des acteurs et du même coup que la dysqualité devient un acte partagé. Ainsi, on ne peut tendre à l'amélioration des processus et des produits qu'en augmentant la compétence collective"503. D'où la nécessité de faire de cette démarche une démarche éducative afin que chaque acteur maîtrise mieux ses actes de travail et ce, en lien avec l'amont et l'aval du procès de formation, et en conscience de leurs exigences. Une réflexion, dans ce cadre, sur un acteur essentiel de tout dispositif, sur les formations de formateurs et leur évaluation prend tout son sens ; d'autant que notre démarche favorise, avant tout, la mise en place de conduites d'amélioration anticipatrices et autorégulées par les acteurs eux-mêmes. Elle ne s'inscrit pas dans une logique procédurale de contrôle a posteriori, mais dans une logique de responsabilisation et de professionnalisation des acteurs, et en tout premier lieu des formateurs. Formateurs, dont dépend pour une large part la qualité du face-à-face pédagogique et que nous souhaitons associer de plus en plus à un travail de co-conception et de co-pilotage de nos filières de formation504.
Ce texte, même s'il se veut critique, n'a pas prétention à donner une quelconque leçon ni à alimenter, voire à faire naître, une mauvaise conscience du formateur de formateurs. Son but serait plutôt d'attirer l'attention sur un paradoxe assez général : la rareté de la réflexion et de pratiques en matière d'évaluation des formations de formateurs ou, de manière plus nuancée, l'écart entre la théorie (le discours) et la pratique. Cette contribution abordera l'évaluation des formations de formateurs comme un élément constitutif de la qualité en formation. Espérons que ces quelques réflexions permettront d'alimenter un débat empreint de contradictions. En effet, la plupart des dispositifs lourds de formation de formateurs traitent de l'évaluation en général ou en particulier dans leurs contenus pédagogiques ; elle apparaît comme l'un des noyaux durs de la professionnalisation. Pourtant, un travail de fond sur l'évaluation de ces mêmes formations de formateurs et sur la mesure des compétences produites ne semble qu'à peine ébauché. Nous sommes arrivés à cette étonnante constatation après avoir consulté deux centres de documentation spécialisés, celui du C2F-CNAM et celui de l'AFPA505, qui font apparaître une absence de textes significatifs sur cette question. Le tout récent ouvrage506 publié à la Documentation française, les Métiers de la formation n'aborde d'ailleurs pas cette question. Le rapport Goasgen507, lui-même si soucieux de l'utilisation des ressources, ne se préoccupe pour ainsi dire pas de ce poste principal de dépenses et des qualifications requises pour occuper un emploi de formateur. En bref, les formateurs de formateurs abordent la qualité en formation, initient à l'évaluation mais rarement, pour ne pas dire jamais, ne mesurent avec précision les capacités et les compétences produites. Ils ne procèdent pas toujours à une évaluation rigoureuse de leurs propres dispositifs, ou s'ils le font, ils ne le communiquent malheureusement pas à la communauté professionnelle, de manière à lui permettre de faire évoluer ses pratiques.
A leur décharge, il est vrai qu'en matière de formation de formateurs, les normes AFNOR, si attentives par ailleurs à satisfaire les besoins des clients, restent très évasives. Elles ignorent la plupart du temps les acteurs au profit de la terminologie, des procédures... C'est seulement dans celle consacrée au service et à la prestation de service (X50-761), qu'apparaissent des termes renvoyant à une pratique professionnelle, à des aptitudes et à une maîtrise permettant de définir les moyens humains à employer. Ainsi, dans le cadre de l'action intitulée "Déroulement du programme" (point 7.3 de la norme), le formateur est supposé maîtriser "la discipline enseignée, des techniques de transfert de savoir et de savoir-faire, des techniques d'animation et de dynamique de groupe, l'utilisation des outils, équipements et moyens pédagogiques prévus (...)" et posséder l'aptitude508 "à évaluer la progression des stagiaires et à adapter la progression pédagogique au vu des résultats". Ensemble de termes généralistes et consensuels sans véritable apport d'information pour qui essayerait d'améliorer le service qu'il se propose de rendre.
Quant à la formation de formateur, elle est définie dans la norme X50-750 comme un "enseignement qui peut comprendre des connaissances disciplinaires, psychopédagogiques, sociologiques, des connaissances relatives aux publics de formation, à l'entreprise, au dispositif de formation professionnelle continue". Autant dire aucune information significative favorisant la mise en place d'une formation de formateur de "qualité".
Compte tenu de ces remarques liminaires, dans une première partie, nous traiterons de l'évaluation pédagogique et de l'évaluation des dispositifs tandis que dans une seconde, nous essaierons d'interroger la notion d'évaluation des formations de formateurs au regard de la qualité et d'ouvrir modestement quelques pistes.
Il s'agira dans cette première partie, de questions d'ordre général, d'interrogations en vrac qu'un travail d'étude systématique pourrait enrichir, confirmer ou infirmer. Elles ont pour but essentiel de lancer la discussion.
Le mode d'évaluation le plus usité et le plus répandu dans les formations de formateurs comme ailleurs, mais est-ce le plus valide, demeure celui de l'évaluation de satisfaction (Meignant 91)509 : toute fin de module ou de séminaire concède à ce rite. Cette "évaluation" largement critiquée/décriée comme peu fiable, peu révélatrice du réel de la formation est des plus utilisées. N'est-ce pas paradoxal ? Nous évoquons avec suspicion une pratique sans toujours la repositionner dans notre activité de formateurs. N'est-il pas temps de nous interroger sur la fonction de ce rite, sur ses intérêts et ses limites dans nos dispositifs ? L'utilisation, ou non, de cette "évaluation d'impression" et son statut, après réflexion, ne pourraient-ils pas devenir un indicateur de qualité ?
Un autre élément du paradoxe concerne la mesure des acquis tant en matière de reconnaissance et de validation a priori, qu'à l'issue du parcours de formation de formateurs. Comment réaliser une évaluation-diagnostic, une mesure de pré-requis de qualité et avec quels outils : l'entretien est-il un outil fiable, le portefeuille de compétences une image crédible du réel, le certificat de travail une garantie de capacités mobilisables ? Malgré nos réflexions et nos propos, nous nous en tenons la plupart du temps à accepter et à valider une expérience toute déclarative. Ne pourrait-on pas imaginer un ensemble d'outils favorisant la réalisation d'un (auto)bilan professionnel510, permettant d'attester des compétences acquises et de leur niveau de maîtrise, de repérer les écarts à combler ? Ne pourrait-on pas mettre au point une procédure d'audit des pratiques professionnelles511 ?
Mais d'après quel référentiel de métiers mesurer le degré de professionnalisme : doit-on utiliser la typologie des fonctions proposées par S. De Witte512, celle que B. Liétard évoquait au sujet des travaux du réseau RACINE qui avait identifié "huit tâches dans la fonction de travail des agents de la formation : gérer une organisation ; analyser l'environnement ; concevoir un dispositif ; construire des partenariats ; établir un plan opérationnel ; mettre en oeuvre la formation ; évaluer ; capitaliser/disséminer"513 ?
Tâches essentielles dont il s'agirait en formation de formateurs de mesurer l'acquisition avant ou en cours de formation. De vérifier, à l'issue, la transférabilité réelle qui se doit de dépasser le simple cas ou la simulation dont la valeur prédictive reste, malgré tout, incertaine. Mais encore faudrait-il en décliner les contenus en terme de tâches à effectuer et de savoirs à acquérir.
Doit-on utiliser le ROME (Répertoire opérationnel des métiers et des emplois) de l'ANPE514 décrivant les métiers de la formation ; la classification, les critères classants et le référentiel de compétences de la convention collective nationale515, etc. ? Cet ensemble de documents constitue autant d'entrées et de grilles d'évaluation possibles de nos pratiques professionnelles. A contrario, n'y-a-t-il pas un risque de bureaucratisation à vouloir évaluer les acquis par rapport à des nomenclatures, toujours artificielles et réductrices, au détriment de l'expérience et des histoires de vie ? Nous débattons depuis dix ans de la validation des acquis516 et nos territoires semblent vierges, n'y-a-t-il pas là matière à réflexion ou à échanges avec d'hypothétiques pionniers ?
La réflexion sur la professionnalisation du secteur avance, mais qu'en est-il de la mesure des acquis et des compétences produits du fait de la formation ? Nos outils d'évaluation nous permettent-ils toujours de pouvoir garantir une acquisition mobilisable sur le terrain de l'action ? Au moment où se mène le débat sur la transférabilité des compétences, ne serait-il pas pertinent de nous questionner, à propos des formations de formateurs, sur le caractère transférable des apports ou des acquisitions qu'elles sont supposées permettre. Il faut nous réapproprier le discours sur l'évaluation que nous produisons afin de le faire fonctionner dans les dispositifs de formation de formateurs dans lesquels nous oeuvrons.
Nous parlons aussi en matière de formation de mesure d'effets, de mesure d'impact sur les individus, les organisations, la structure, l'évolution des métiers. Ne pourrait-on pas mesurer à six mois, ou plus, les effets d'une formation de formateurs sur la pratique de tel ou tel individu ? Ne pourrait-on pas mesurer l'impact des formations de formateurs, depuis la création de celle du C2F-CNAM en 1974 par exemple, sur les acquis, sur la conception de la fonction, les pratiques d'entreprises, la constitution des DRH (direction des ressources humaines), la construction des dispositifs et pourquoi pas sur la transformation du discours et des pratiques de l'évaluation ? Un vaste champ de recherche s'ouvre devant nous. A quoi avons-nous volontairement ou non contribué, quels sont les effets sociaux et organisationnels de vingt ans d'activité ? N'y a-t-il pas, là encore, matière à indicateurs de qualité ?
Paradoxe toujours que la place laissée, concédée à l'évaluation sommative, surtout dans l'enseignement supérieur, qui de ce point de vue, est contraignant. Ne conviendrait-il pas de déplorer l'utilisation souvent discrète, sauf peut-être pour les DHEPS, de l'évaluation formative ? Celle dont nous vantons les mérites, si ce n'est l'efficacité, fait figure de parent pauvre. Ne conviendrait-il pas d'utiliser davantage la simulation répétée comme elle se pratique à Sipca ou à Lyon II ? Nous fonctionnons encore trop souvent sur le mode de la sommation en contradiction apparente, non pas avec l'institution, lorsqu'il s'agit de formations de formateurs diplômantes, mais avec le discours. Un débat, là encore, semble nécessaire : les formations de formateurs sont-elles compatibles avec toutes les formes de l'évaluation et quels effets peut-on en attendre, quelle place laisser à l'autoévaluation, etc. ? Ne se limitent-elles pas, la plupart du temps, à une simple affirmation prédictive des compétences produites, matérialisées sous forme d'objectifs à atteindre, sans préciser ni les critères ni le niveau de la performance.
Du côté de notre arsenal évaluatif, n'est-on pas trop souvent dans la misère, la reproduction : signe d'une incapacité ou d'un refus de mesurer les compétences à maîtriser dans l'activité concrète. La fiche de lecture, l'exposé, le dossier thématique, la bibliographie commentée, le mémoire ou le rapport, même inspirés par un stage pratique en entreprise, sont-ils de nature à attester, puis développer le professionnalisme ? Certes, ces outils ont leur intérêt, dans la mesure du "conceptuel", mais ils ont aussi des limites, sans doute renforcées ici, par le lieu de leurs exercices. Certes, les formations-actions, la micro-formation et l'autoscopie, la simulation existent et permettent l'expérimentation ; d'autres modes d'évaluation sont proposés, là ou ailleurs, mais un travail collectif sur l'outil, les conditions et l'objet de la mesure apparaît nécessaire. Un renouvellement de nos pratiques et de nos procédures, liées aux exigences du terrain, aux besoins du système client, redynamiserait d'autant le discours sur l'évaluation en formation des adultes et pourquoi pas, nous permettrait de délimiter des zones repérables de transférabilité. Transférabilité qui garantirait en quelque sorte une prestation pédagogique et/ou organisationnelle de qualité.
Nous n'aborderons pas ici la question du suivi des formateurs dans leur itinéraire professionnel mais cet accompagnement me semble fondamental en matière d'accès à un réel professionnalisme. Pourquoi, en la matière, mais avec des garanties à préciser, ne développerait-on pas des pratiques de coaching, de co-animation, de formation sur le tas, en situation de travail, avec ou sans observation ? Enfin, pour conclure ce point, nous aimerions souligner qu'il visait à attirer l'attention, non pas sur une totale absence de réflexion ou de pratiques d'évaluation, qui existent ici et là et avec succès, mais sur une non-collectivisation de ces réflexions et de ces pratiques, sur l'absence de lieu d'échange et de théorisation. Aujourd'hui, nos activités dans ce domaine sont diffuses et nous gagnerions peut-être à les fédérer.
Quant à l'évaluation des dispositifs eux-mêmes et de leurs effets, hormis des travaux, là encore, ultra-confidentiels, notre fonds apparaît extrêmement pauvre et notre réflexion collective le plus souvent absente. Dans ce domaine, nous livrerons une série d'impressions et d'observations.
Depuis 1974, les formations de formateurs de niveau supérieur se sont multipliées (DUFA, DESS, cycle du Cési, IFACE...) : des cohortes non négligeables, d'étudiants-stagiaires, dont l'estimation précise reste à faire, sont "passées" par nos dispositifs et il serait intéressant d'engager un travail de repérage et d'analyse des parcours professionnels de tous ceux et celles qui, autrefois, se sont engagés dans ces cursus. Un regard sur ces formations nous permettrait peut-être de mieux évaluer et de mieux comprendre en quoi ces dernières favorisent ou non une carrière, professionnalisent ou non les individus, fidélisent ou non au secteur professionnel, améliorent ou non la qualité des prestations.
Par ailleurs, une telle étude pourrait faire apparaître les différences opérées, consciemment ou non, sur les profils d'entrée et de sortie d'hier et d'aujourd'hui, nous faire mieux appréhender les évolutions plus souvent vécues, subies ou choisies, nous permettre d'engager une réflexion globale sur la nature des dispositifs de formation de formateurs mis et à mettre en oeuvre.
Un autre apport possible d'un travail d'évaluation visant à revisiter ces cursus serait de faire émerger ce qui tient de la formation initiale de base et ce qui tient de la formation continue des formateurs. Nos dispositifs tiennent fréquemment de l'une et de l'autre, ce qui, à notre sens, entraîne des confusions dans la nature des apports et le niveau des contenus de séminaires proposés, ce qui suscite et alimente des critiques pas toujours positives, mais souvent justifiées, de nos expériences.
Cette évaluation souhaitée et souhaitable permettrait de s'interroger sur les modalités de constitution des profils de sortie visés et peut-être de repérer des invariants favorisant, à terme, des pratiques attestant de la qualité de tel ou tel segment de notre activité.
En d'autres termes, sommes-nous, comme le déplorait Martine Aubry517 pour l'ensemble du secteur de la formation, victimes de nos savoirs et de nos savoir-faire ? Les profils sont-ils élaborés à partir d'une demande, d'un besoin social identifiables, d'un souci ultérieur de qualité ou en fonction de nos capacités à organiser une offre ? Produisons-nous des formations conformes à nos capacités et à nos désirs ou conformes aux exigences de qualification, nécessaires à satisfaire les besoins implicites et explicites des "clients" ainsi que le préconise une définition courante de la notion de qualité ? Ne sacrifions-nous pas trop souvent, en matière de formations de formateurs, aux effets de mode, au marketing, aux appellations pompeuses et aux contenus séduisants, au détriment des savoirs et des capacités de base, depuis longtemps repérés et connus518, dont la maîtrise garantirait sans doute un plus grand professionnalisme et une plus grande qualité aux actions de formation, tant en matière de face-à-face pédagogique que d'organisation ? Une réflexion autour de ces questions nous apporterait une information précieuse sur nos pratiques et une première mesure de l'intérêt des capacités théoriques et méthodologiques produites. Il serait en effet opportun de mesurer les compétences réelles des consultants, ingénieurs et autres experts que nous souhaitons et prétendons former. Appliquons aux formateurs en formation les outils dont nous les dotons.
Cette démarche critique et des échanges réguliers faciliteraient la mise en place d'un observatoire des métiers de la formation519 qui aurait pour mission non seulement d'évaluer les formations de formateurs mais aussi et surtout de repérer les évolutions dans les pratiques professionnelles et les besoins de compétences des dispensateurs de formation. Un tel observatoire permettrait l'adaptation des cursus proposés et au-delà, cette structure de veille pédagogique et professionnelle nous donnerait des capacités en matière de prospective quant aux profils de formateurs à venir, nécessaires et compatibles avec les exigences de la qualité en formation.
Evaluer nos dispositifs dans cette optique - avec quels moyens et quels systèmes d'acteurs-partenaires (Barbier J.-M., 1985)520? - c'est aussi nous interroger sur la place qu'y occupent l'innovation et la recherche. Ne sommes-nous pas, là encore, quelque peu frileux ?
Les formations de formateurs ne pourraient-elles pas davantage participer aux renouvellements des pratiques et des conceptions. Sans en faire des formations expérimentales, n'est-il pas possible d'y laisser plus de place à l'expérience et à l'expérimentation ? Les formations de formateurs ne doivent-elles pas aussi devenir des laboratoires d'idées ?
Chaque équipe de formateurs de formateurs a ses (des) opinions sur la "bonne manière" de concevoir et de construire un dispositif. Néanmoins, une confrontation collective sur ce point engagerait une réflexion évaluative sur les dispositifs-mêmes quant aux pédagogies utilisées, à la place des "apprenants", à leur durée, leur rythme, au bien-fondé du stage pratique en entreprise, au lieu et à la place de l'alternance (laquelle ?), à la définition du référent et à la mesure des écarts... Tous ces éléments constitutifs des dispositifs ont aujourd'hui besoin d'une visite de "contrôle". La plupart des formations semblent de conception souvent ancienne et identique. C'est la conclusion générale à laquelle une lecture des plaquettes de présentation des différentes formations conduit. L'imagination et l'innovation, ici encore, n'ont le droit de cité que fort rarement, et pourtant un renouvellement tonifierait ce secteur et permettrait peut-être à la qualité en formation de sortir du "normatif" et du "procédural".
Besoin d'évaluation de nos dispositifs afin de les faire vivre et évoluer et afin de mieux répondre aux attentes légitimes des formateurs et des futurs formés, besoin d'évaluation aussi au sens où l'entendent G. Berger et J. Ardoino (1991)521 quant aux valeurs qui les font fonctionner et qu'ils véhiculent. Valeurs sans lesquelles la qualité ne serait qu'un pur argument marketing, une illusion, un vaste bluff, une inacceptable manipulation, la qualité ne se limitant pas en formation, loin s'en faut, au tangible et au concret.
Repérer ce qui peut apparaître comme des dysfonctionnements, ou pour le moins des contradictions, est un exercice assez facile. Affirmer que les formations de formateurs participent au processus de la qualité en formation va de soi, diagnostiquer que nos formations de formateurs ne sont pas assez passées au crible des évaluations est aisé pour qui est familier du terrain. Remarquer que le travail et les réflexions des groupes de pilotage, des conseils de perfectionnement et autres instances de régulation ne sont pas satisfaisants, du point de vue de l'évaluation, est une constatation évidente. Faire des propositions, sans que la confrontation réclamée ne soit encore menée, est plus périlleux.
De quels outils (et de quel droit ?) se doter, pour mesurer la valeur de tel ou tel dispositif ? Nous entrons là dans le domaine de l'éthique, au minimum de la déontologie. Sans prétendre imposer en la matière une quelconque doctrine, il nous paraît important d'engager un travail d'analyse de nos pratiques de formateurs de formateurs afin de mieux comprendre ce que nous contribuons à produire et de manière à confirmer nos choix idéologiques, à les infirmer si nécessaire, à les nuancer si cela est souhaité. Au temps de la transparence "tous azimuts", il est bon de ne pas être dupe de l'action qui se mène.
Quant à l'évaluation des dispositifs au plan des objectifs et des compétences à faire naître522 dans cette logique de la qualité, peut-être pourrions-nous, à l'aide de l'observatoire des métiers évoqué plus haut523, constituer un référent commun afin d'ajuster nos idéaux professionnels aux exigences du réel, sans toutefois s'y soumettre, ou afin d'ajuster le réel à l'idéal. Ce référent en évolution intégrerait les "variations saisonnières" et permettrait collectivement d'étudier et de proposer des descriptifs des nouvelles fonctions en émergence. Il faciliterait de surcroît le positionnement, en termes de classification, de nos formations de formateurs par rapport aux textes conventionnels en vigueur et, en particulier, à la convention collective des organismes de formation étendue en 1989 et à l'accord de juillet 1994524 .
Ce baromètre de la profession permettrait d'anticiper sur les disparitions éventuelles de fonctions - évitons le phénomène d'obsolescence des CAP -, de prévoir les évolutions de la demande, et, pourquoi pas, d'innover en matière d'offre et de profils. Là encore cet outil, ce me semble, reste à penser et à construire car s'il existe, il existe de manière éparse et nécessite une action fédératrice. Concrètement, il pourrait nous servir de mètre-étalon (mais où le déposer ?) composé d'indicateurs multiples. Il serait pour nous un mode d'auto-validation de nos dispositifs, tant en ce qui concerne les individus à y inviter, les parcours à leur proposer, que les compétences à produire et les possibilités d'insertion et de carrière.
En matière d'évaluation pédagogique, les instruments de la mesure n'apparaissant pas toujours pertinents d'un point de vue professionnel - même s'ils le sont pour l'enseignement supérieur ? - comment, avec quoi et où évaluer les qualités pédagogiques et relationnelles d'un formateur, mesurer la qualité de l'ingénierie d'un dispositif de formation, valider le bien-fondé d'un conseil ou d'un système de recommandations... La mise à l'épreuve du réel apparaît comme la meilleure solution mais sa réalisation est complexe. Pour ce faire, il est nécessaire525 de rechercher des situations de travail-type, éventuellement aménagées, où s'exerceraient les compétences professionnelles. Ce mode d'évaluation nécessite une analyse fine du travail des métiers de la formation afin de pouvoir, dans une situation complexe ou non, éprouver des compétences simples ou des combinatoires expertes ou afin de mesurer un niveau de maîtrise d'une ou plusieurs compétences professionnelles, en relation avec un niveau de situation de travail. Proposition qui implique sans doute de repenser et de rebâtir un certain nombre de formations de formateurs et de les réinscrire dans le cadre d'une alternance vraie et d'une fonction tutorale effective. C'est sans doute à ce prix que, sans concéder à un effet de mode, il sera possible de parler de formations de formateurs de qualité.
Une évaluation de cette nature amène à repenser les architectures de nos dispositifs, de manière à les ancrer davantage à des terrains d'expérimentation, comme cela se pratique déjà à l'IFACE526 par exemple. Elle conduit à redimensionner la nature des stages en entreprise, les formes de l'alternance, la place et les fonctions respectives des lieux de formation527, les équilibres toujours délicats entre la théorie et la pratique. Elle interroge l'exercice même des pratiques des formateurs de formateurs. Elle introduit une ouverture formative à nos sommations, en ce que l'action engagée est elle-même formatrice et productrice de "conseil", de modifications à apporter, de théorie à approfondir. Elle exige d'établir des rapports nouveaux - sans pour autant céder à la mode ou aux oukases du tout-produit-marché- entre les opérateurs de formations de formateurs et les entreprises où se trouveront les situations de travail souhaitées. Elle implique de repenser le système d'acteurs de l'évaluation et de donner un rôle authentique dans ce domaine aux tuteurs ou autres parrains du milieu d'accueil. Elle nécessite une implication plus forte du stagiaire - (pré)professionnel - dans l'appréciation finale... mais elle est aussi, à n'en point douter, un gage futur de qualité.
Ce texte, dont de nombreux éléments mériteraient d'être développés, apparaîtra à n'en point douter comme une généralisation excessive, ce qu'il est ; aucune institution ne s'y reconnaîtra complètement et c'est heureux. Son but, néanmoins, était de susciter le débat, de soulever un certain nombre d'interrogations qui restent en suspens et surtout d'insérer dans le processus général de la qualité les formations de formateurs qui en constituent, si ce n'est une pièce maîtresse, pour le moins un maillon essentiel. Il est aussi, un peu, une provocation... à la recherche de solutions nouvelles.
Pour terminer, nous émettrions trois voeux. Le premier viserait à ce que nous engagions une réflexion sur les formations de formateurs, comme celle qui fut menée pour la filière Decomps et les ingénieurs afin de permettre l'acquisition de compétences nouvelles et une évolution de carrière aux techniciens de la formation528 et du même coup une amélioration du service produit. Le deuxième est que nous établissions une carte des formations de formateurs, diplômantes ou non, afin de nous assurer que l'ensemble des besoins en la matière est couvert et afin de rechercher nos complémentarités, de refuser le "jeu" de la concurrence, de proposer une palette large et de qualité en matière de formation de formateurs. Le troisième serait que s'engagent une réelle réflexion et des actions significatives sur la formation continue et permanente des acteurs de la formation qui nous apparaît, là encore, comme un facteur important de qualité.
Ce texte est la version enrichie d'une contribution faite lors des 5es rencontres des responsables de formations de formateurs diplômantes, université d'Aix-Marseille, septembre 1992. Il a été publié sous cette forme dans Actualité de la formation permanente, n° 134, janvier-février 1995, pp. 12-16.
Voir supra.
Cf. Lenoir H., l'Evaluation dans tous ses états et état de l'évaluation, 5es rencontres des formations de formateurs diplômantes, Marseille, sept. 1992.
H. Lenoir, la Formation continue à l'Université face au défi qualité, Journal de la formation continue et de l'EAO, n° 269.
Ce propos repose à la fois sur les préoccupations d'un acteur en responsabilité dans un centre de formation continue et sur ses interventions et ses observations en formation de formateurs.
Constatation faite dès 1991 et toujours vraie aujourd'hui.
CNAM, Centre INFFO, Lille III, les Métiers de la formation, Paris, La Documentation française, 1994. Il en va de même pour l'ouvrage de J. Allouche-Benayoun et M. Pariat, la Fonction formateur, Toulouse, Privat, 1993.
Rapport de C. Goasguen du 18 mai 1994, JO du 15 mai 1994.
Que doit-on entendre par là ?
Meignant A., Manager la formation, Paris, Ed. Liaisons, 1991.
Sorte de bilan de compétences élargies utilisant des ENCP (évaluations de niveau de compétences professionnelles) adaptées aux métiers de formateurs.
Il ne s'agit pas de préconiser des pratiques, toujours détestables, d'inspection telles qu'elles existent à l'Education nationale, mais de favoriser dans un cadre déontologique et juridique strict, et à la demande du formateur une expertise, en situation de travail, de son activité professionnelle. Attention, là encore, de ne pas tomber, dans le déclaratif ou à l'autovalidation par ses pairs, au vu d'un simple dossier, du type OPQF ou CSFC.
Les Métiers de la formation, Paris, APEC, 1992.
Actualité de la formation permanente, n° 117, mars/avril 1992, p. 42. Référentiel dont les limites sont identiques à celles signalées pour la norme AFNOR.
Fiches métiers n° 22 211 à 22 215.
L'accord du 11 juillet 1994 sur l'évolution des carrières et des classifications concernant la convention collective nationale des organismes de formation fait état de six critères classants : l'autonomie, la responsabilité, la formation, l'expérience professionnelle, la polyvalence des compétences et l'approfondissement des compétences. Critères de maîtrise et d'appréciation s'appliquant aux compétences pédagogiques fondamentales, aux compétences pédagogiques associées et aux compétences institutionnelles.
Décret du 23 août 1985 et loi du 20 juillet 1992, par exemple, pour l'enseignement supérieur.
Propos tenus aux Entretiens Condorcet 1991.
Cf. circulaire de la Délégation à la formation professionnelle du 20 octobre 1985 où apparaît déjà un référentiel de compérences des formateurs "jeunes" très élaboré.
Que nous proposions dès 1992 et qui se concrétise aujourd'hui dans l'accord du 11/7/94 (cf. supra) par la mise en place d'un "groupe de travail sur l'analyse des métiers de la formation et l'évolution professionnelle afin (entre autres) d'identifier les compétences à mettre en oeuvre".
Barbier J.-M., l'Evaluation en formation, Paris, PUF, 1985.
Ardoino J. et Berger G., D'une évaluation en miettes à une évaluation en actes, L'Aigle, Andsha/Matrice, 1989.
Au sens de gestion prévisionnelle de la formation.
C'est peut-être dans ce sens qu'un "groupe de travail sur l'analyse des métiers de la formation et l'évolution professionnelle" a été créé dans le cadre de l'accord du 11/7/1994 puisque l'un de ses objectifs est de "proposer des outils d'évolution des emplois".
Voir note n° 31.
Cette proposition est le résultat d'un travail et d'une réflexion ébauchés entre Y. Minvielle
et moi-même il y a quelque temps.
Organisme de formation lié à la chambre de commerce de Paris, aujourd'hui disparu.
Par exemple, dans quelle mesure le concept d'entreprise qualifiante peut-il s'appliquer aux métiers de la formation ?
Les salariés de catégories D et E de la convention collective.