Les années 80

Les années 80 renforcent et approfondissent les pratiques et savoirs nés dans les années 70. Néanmoins, sous l'effet de la crise économique et sociale et de la professionnalisation du milieu, de nouvelles compétences (individualisation des formations) émergent ou sont importées de secteurs économiques voisins (audit et ingénierie).

Dans ces années, en effet, la formation est utilisée comme un outil de gestion sociale. Nous entrons, alors dans une période du "tout formation". Le nombre et l'importance des dispositifs publics se proposant de favoriser le maintien ou le retour à l'emploi se multiplient. A en croire certains, la formation est un remède parfaitement adapté à la crise de l'emploi et un outil de production de qualifications dont on détecte, dans certains secteurs, l'absence ou la rareté. Ce nouveau positionnement de la formation entraînera le traitement de nouveaux publics, la naissance de nouveaux profils de formateurs, l'apparition ou la ré-apparition de nouveaux outils.

Les années 80 marquent la montée en puissance des dispositifs publics destinés à favoriser l'insertion des jeunes en difficulté, puis des demandeurs d'emploi de longue durée (CLD). Dans le même temps, l'entreprise, face à la crise et aux évolutions technologiques, prend conscience de l'ampleur du phénomène BNQ (bas niveau de qualification). La crise et le conflit Talbot, en région parisienne, en sont l'un des révélateurs. Cette prise de conscience tardive des responsables industriels sera à l'origine de grands dispositifs de reconversion et de qualification des personnels ouvriers. L'opération "mille/mille" menée en Rhône-Alpes chez Merlin-Gérin ou les grands dispositifs de la chimie en sont les illustrations les plus spectaculaires.

Dans les deux cas, l'utilisation de la formation comme outil de traitement de ces difficultés permet l'émergence de nouvelles pratiques et de nouveaux acteurs. Les formateurs-jeunes et les formateurs-BNQ accèdent à une difficile reconnaissance sociale et développent de nouveaux savoirs pédagogiques. Les TRE, techniques de recherche d'emploi, se "pédagogisent" et se déploient tous azimuts.

Les premiers outils de remédiations cognitives ré-apparaissent (PEI, entraînement mental) ou sont mis au point et diffusés largement (ARL, Tanagra). Ils acquièrent leurs lettres de noblesse et font figure de panacée. Apparaissent dans le même temps, mais pas exclusivement pour ces publics, les premiers logiciels éducatifs.

L'informatique et les techniques de communication ouvrent un champ de pratique vierge aux marges de la pédagogie et des technologies. Elles percutent et interrogent la didactique, la psychologie de l'apprentissage, etc. Elles permettent la création de nouveaux outils, les EAO, la mise en place de nouvelles stratégies d'apprentissage assistées ou individualisées, quelquefois à distance.

Pour les servir, des profils de formateurs particuliers, aux compétences spécifiques, font leur entrée.

En parallèle, les dispositifs d'insertion et l'évolution de l'appareil législatif favorisent la réflexion et des pratiques organisationnelles innovantes.

L'alternance, déjà bien connue en milieu rural, devient une modalité dominante, même si elle n'est pas toujours dominée et trop souvent juxtapositive. Des pratiques qui tendent à combiner situation de travail et situation de formation se font jour.

Une réflexion importante sur l'analyse du travail et sur les modalités d'apprentissage par alternance s'engage, des méthodologies nouvelles532 sont tentées, des pratiques de gestion et d'organisation de l'alternance sont mises au point.

Un nouvel acteur pédagogique, avec lequel une coopération doit se nouer, surgit : le tuteur. Il apparaît rapidement comme un agent de transmission de connaissances théoriques et pratiques, comme un agent de socialisation et d'évaluation.

Dans le même temps sont mises en place des structures d'information à destination de ces publics : les PAIO (permanences d'accueil, d'information et d'orientation) et autres missions locales dans lesquelles se développera un ensemble de pratiques spécifiques.

L'entreprise est reconnue comme un lieu de production de savoir, ce qui ne sera pas sans conséquences : le débat actuel sur l'organisation qualifiante est sans doute l'une d'entre elles. Les dispositifs en direction des CLD, de leur côté, relancent le discours et les pratiques visant à individualiser les parcours de formation. Ils consacrent, à leur tour, la place et le rôle du stage en entreprise comme lieu de confrontation et de mémorisation des savoirs théoriques et pratiques, comme espace d'acquisition des savoirs pratiques533.

Pour les salariés et les entreprises, les textes de 1982 et 1984 donnent au CIF (congé individuel de formation) les moyens de fonctionner. Ils suscitent la création de nouvelles structures, de nouveaux modes de gestion de la formation, pour l'individu et pour l'entreprise. Les conseillers et les gestionnaires du CIF définissent et mettent en application de nouvelles compétences.

Les formateurs et les organismes de formation, dans le même sillage, font évoluer leur offre afin de mieux répondre à la demande de ces salariés en congé de formation.

Dans les entreprises, apparaissent des directions de la formation ce qui est significatif du rôle et du statut que cette fonction a acquis.

Dans et autour de l'entreprise se développent toute une série de pratiques et de savoirs nouveaux, au moins en ce qui concerne la terminologie. Il s'agit de savoir-faire, quelquefois importés d'autres secteurs d'activité, aujourd'hui, communément appelés : conseil, audit et ingénierie de formation.

Pour clore cette période, rapidement évoquée, soulignons qu'elle a pour conséquence une démultiplication et une évolution des contenus des formations de formateurs534. Qu'elle voit, du même coup, les acteurs de la formation se professionnaliser et ce malgré une grande précarité.

Qu'elle voit les métiers de la formation se constituer en profession et la négociation d'une convention collective.

Qu'elle voit l'activité du secteur et des formateurs s'inscrire dans et sur le marché, avec l'apparition d'une fonction commerciale.

Qu'elle voit signer les accords Durafour qui marquent pour les salariés de la fonction publique une réelle avancée en matière de droit à la formation, et pour l'Etat la mise en place d'une réelle politique de formation de ses agents.

Qu'elle voit s'organiser les premières "grand-messes", et en particulier, les Entretiens Condorcet. Autant d'éléments qui engendreront à leur tour de nouvelles pratiques.

Notes
532.

La mission et les opérations "nouvelles qualifications", conduites par B. Schwartz, en sont l'exemple le plus connu.

533.

Sur cette notion de savoir pratique cf. Malglaive G., Enseigner à des adultes, Paris, PUF, 1990.

534.

Apparaissent en particulier durant cette période les premiers DESS et les premiers DUFA.