Les années 90

Dans cette dernière période, toujours sous l'influence des facteurs juridico-institutionnels, socio-économiques, techniques et scientifiques, vont naître ou se constituer des compétences et des savoirs nouveaux, générateurs de politiques de formation adaptées.

Certains prolongent ceux des années antérieures, d'autres pas. Ces années marquent l'apogée du discours, si ce n'est des pratiques réelles, de la formation-investissement. Concept fortement teinté d'économisme, s'inscrivant dans une recherche générale de gain de productivité et/ou de réduction des coûts.

De cette tentative naîtront une rationalisation plus grande des politiques de formation en entreprise et une maîtrise plus affirmée de l'utilisation des budgets qui y sont consacrés.

Dans le même temps, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences bat son plein. Elle a pour conséquence, d'intégrer davantage encore les directions et les services de formation aux politiques de gestion des ressources humaines. La formation devient, encore plus, un outil de management et d'accompagnement des évolutions organisationnelles et technologiques, mais perd dans ce mouvement une partie de son autonomie. La logique de formation s'inscrit désormais dans une logique de production et d'entretien des compétences individuelles et collectives.

Les besoins en formation s'inscrivent dans les dispositifs d'appréciation des personnels et le rôle formateur de l'encadrement est réaffirmé.

Les pratiques mécaniques qui asservissaient la formation à une utilisation dogmatique de la pédagogie par objectifs, peu à peu s'estompent, sans toutefois disparaître complètement. Une réflexion de fond s'engage et incite à dépasser la seule évaluation et à s'intéresser à la mesure des effets de l'effort de formation sur l'individu, sur l'organisation et le travail. Ce mouvement marque une convergence d'intérêt de préoccupations pédagogiques et économiques.

Ces dernières années, où tente de s'imposer une logique de la demande en lieu et place de la logique de l'offre, sont aussi riches en textes, législatifs ou non, qui impriment aux politiques de formation de nouvelles orientations et qui génèrent de nouveaux métiers.

Le premier d'entre eux est la loi de juillet 1990 qui officialise les réflexions menées sur la notion de qualité en formation. Notion et pratique qui sont, encore aujourd'hui, au coeur de nombreux propos.

Le zéro défaut, les clients et les fournisseurs fleurissent. Les déclarations d'intention se multiplient sans toujours profondément modifier les pratiques. Les normes AFNOR, puis ISO et OPQCMF viennent rapidement renforcer ce mouvement.

Dans le même temps, le secteur patronal se regroupe et se restructure autour de la Fédération de la formation professionnelle (FFP).

Par ailleurs, cette loi affirme le droit pour tous, non seulement à la formation, mais évolution fondamentale, à la qualification.

La loi de 1971, déjà revue en 1984, est revisitée. La loi de décembre 1991 la remplace désormais. Elle intensifie l'effort financier, le 1,2 % passe à 1,5 %535. Elle réaffirme la place des formations sous contrat en alternance. Elle associe les entreprises de moins de dix salariés à l'effort de formation.

Mais surtout, elle instaure pour tous le droit au bilan de compétences, soit dans le cadre du plan de formation, soit dans le cadre du CIF.

Ce droit nouveau, précisé par la loi de mars 1992, aura pour conséquences la consécration de nouvelles structures, les centres de bilan agréés536, et l'apparition d'un nouveau métier, de nouvelles compétences et d'un nouvel acteur : le conseiller ou accompagnateur de bilan.

Le co-investissement formation, dernier aspect de la loi de 1991, souvent critiqué et dont les effets sur les politiques de formation d'entreprise et la gestion des carrières sont encore mal connus, voit le jour.

Un dernier texte de loi, malheureusement trop peu connu, marque cette période. Il s'agit de la loi de juillet 1992537 sur la validation des acquis professionnels dans l'enseignement supérieur. Loi dont l'application aurait, à n'en point douter, des effets considérables sur les pratiques des formateurs, mais aussi sur les reprises d'études par les salariés et sur la gestion des flux estudiantins dans les universités.

Application qui, par ailleurs, aurait des conséquences importantes sur les politiques de production de qualifications des entreprises dans le cas de formations lourdes et les politiques de gestion individualisée des congés individuels de formation par les OPACIF (organismes paritaires agréés pour la gestion du congé individuel de formation).

Les avancées technologiques, quant à elles, influeront aussi sur les politiques de formation et favoriseront l'émergence de nouvelles compétences, voire de nouveaux métiers de formateurs. Les centres-ressources, les formations multimédias prennent de l'importance, de la réalité et du sens. Ils influent et influeront encore plus demain sur la mise en oeuvre de politique de formation individualisée. Ils réinterrogent la notion de stage et démultiplient les lieux, les temps et les rythmes possibles de formation.

Ils permettent la définition de nouveaux outils et de nouvelles démarches pédagogiques. Ils intègrent de nouveaux supports aux progressions pédagogiques, obligent à repenser pour une part la relation pédagogique et l'évaluation formative, relancent le travail du facilitateur cher à C. Rogers.

Ils développent chez les formateurs de nouvelles aptitudes techniques et les obligent à sortir de l'isolement et à élaborer collectivement des produits pédagogiques coûteux. Ils incitent à travailler en équipe pluridisciplinaire, à coopérer entre didacticien, technicien, cogniticien...

Avancées techniques aux conséquences encore à venir et qui modifieront considérablement nos manières de faire et de penser la formation et seront productrices de nouvelles compétences. Au-delà, de tels bouleversements technologiques influeront, à terme, sur les politiques et la gestion de la formation.

Ces évolutions technologiques ouvrent, de plus, un nouvel espace économique, celui du marché des multimédias.

Pour conclure ce bref panorama des années 90, soulignons une modification importante dans les politiques de développement des grands opérateurs. Si nous n'avons pas assisté à une concentration-fusion des organismes, ni à l'assainissement du marché souhaité par certains, de profondes modifications apparaissent dans cette période.

En effet, les organismes de formation, sans délaisser le marché intérieur, ont engagé des politiques de coopération et d'implantation à l'étranger. Les uns dans l'espace de l'Union européenne en pratiquant le lobbying bruxellois, les autres en direction de l'Europe centrale ou du Canada.

Du côté des grands groupes industriels et commerciaux naissent, du fait de l'internationalisation de l'encadrement, des pratiques d'ingénieries pédagogiques interculturelles intégrées à des politiques de formation touchant de nombreux sites sur plusieurs continents.

Notes
535.

Il s'agit du pourcentage de la masse salariale brute que les entreprises de plus de dix salariés doivent consacrer à la formation.

536.

Même si les CIBC (centres interinstitutionnels de bilan de compétences) existaient déjà depuis quelque temps.

537.

Voir à ce propos : Lenoir H., la Reconnaissance et la Validation des acquis dans l'enseignement supérieur, Actes du colloque "L'avenir de la formation professionnelle universitaire continue", Paris, Païdeia, 1993.