Produire et faire produire du savoir

L'année 1988 est celle de mon embauche, par Gérard Ignasse - Charles Fourier y fut sans doute aussi pour quelque chose-, au centre d'éducation permanente de l'université Paris X Nanterre. Cette dernière période me permit de mettre en oeuvre, dans le cadre d'une grande autonomie, ce que mes expériences antérieures m'avaient apporté en les approfondissant pour certaines d'entre elles. Cette période est aussi celle où je renoue avec les logiques institutionnelles de l'enseignement supérieur et de l'Université. Logiques dans lesquelles ma nouvelle activité va devoir s'organiser dorénavant et qui marquent sans doute, à la fois un retour, mais aussi un changement de culture, tant de mon activité professionnelle que personnelle. En effet, cette période et ce lieu modifient la place et le statut du savoir dans mon activité d'ingénierie éducative, qui sans sacrifier à l'efficacité des formations, retrouve une image positive et une fonction noble, non immédiatement ou pas seulement opératoire. La formation professionnelle s'y affirme comme un lieu de la pensée et de l'action. Quant à mon activité propre, elle prend, je crois, un caractère de plus grande rigueur et une distance critique plus affirmée, mais la liberté de l'espace universitaire y contribue aussi pour beaucoup, tant dans le cadre de mon activité de formateur d'adultes que dans celui de mes productions écrites.

Ces huit années au service commun de la formation continue de l'université de Nanterre furent pour moi l'ouverture de nouvelles opportunités et la possibilité d'affirmer et de consolider certaines pratiques.

Ma fonction au CEP, en qualité de chargé de mission, me permit de développer mon activité d'ingénierie de formation dans un système, celui de l'université, plus exigeant, d'une part parce qu'il s'agit d'enseignements et de formations de haut niveau et d'autre part parce qu'il faut y concilier démarche scientifique et recul critique sans nuire à l'opérationnalité des savoirs transmis. Les universités de Paris X et de Lyon II me donnèrent l'occasion de tenter cette "association" et d'y exercer ce "talent" pour reprendre, une fois encore, des termes chers à Charles Fourier.

Ainsi, je fus amené à participer à la construction ou à construire de toutes pièces plusieurs dispositifs de formation, les uns s'inscrivant strictement dans le cadre de la formation professionnelle continue, les autres, sans rien renier pour autant, dans un cadre universitaire, permettant l'accès à un niveau et à un titre de l'enseignement supérieur. C'est dans ces circonstances que j'ai oeuvré à Lyon II avec Monique Léonhardt à la mise en place et à l'animation, durant plusieurs années pour une grande banque lyonnaise, d'un dispositif lourd de formation : Ulyce (université lyonnaise des cadres européens545). Cette action visait à former l'encadrement de cette banque au management, et dans celle-ci savoirs méthodologiques et discours savants se conjuguaient. Dans le même temps au CEP, j'eus la chance de pouvoir construire et conduire plusieurs dispositifs ambitieux. Il y a quelques années d'abord, à l'ANPE dans le cadre d'une formation modulaire s'inscrivant dans un cycle de formation initiale d'agents nouvellement embauchés, et aujourd'hui dans celui de la formation des responsables des ressources humaines de plusieurs régions de la SNCF.

Néanmoins, ce sont les diplômes d'université construits au CEP qui firent le plus évoluer mes façons de faire. En effet, si pour les actions précédentes je prenais le soin d'associer des universitaires et des professionnels à leur conception, les cursus diplômants exigèrent plus de rigueur dans leur mise au point pour répondre à la double exigence déjà évoquée. Plus de rigueur dans la mesure où la place et la qualité des savoirs apparaissaient prioritaires, ce qui ne manquait pas d'entraîner quelques difficultés et critiques de la part des praticiens. La construction de ces titres (médiateur familial, gestion et administration des structures du spectacle vivant...) m'apprit à entrer dans des logiques quelquefois contradictoires et à les conjuguer tout en veillant aux intérêts des partenaires, en particulier ceux de l'Université (mais sans exclusive), et des futurs apprenants. C'est en partie de ces expériences, et de la réflexion qu'elles suscitèrent chez moi, que j'ai trouvé matière à deux textes Enseignement supérieur, formation continue et développement (1994) et Interculturel et formation continue supérieure (1994).

Notes
545.

Cf. L'Odyssée formative, texte rédigé avec M. Léonhardt, l'Année de la formation 1991, Païdeia, 1991.