Toutefois, avant cela, il convient de préciser le cadre de mon propos. Tout d'abord, je ne participerai pas à la discussion sur éthique et morale. En ce qui me concerne, même si elle est discutable, la distinction entre éthique et morale me semble favoriser le débat dans la mesure où l'une renvoie à l'individu et à ses oeuvres et l'autre à la profession et à la société. Comme le remarque Jean-Michel Baudoin - cette distinction est celle que propose Paul Ricoeur -, l'éthique renvoie à ce que "la personne estime bon de faire", tandis que la morale recouvre "ce qui s'impose comme obligatoire" et est délimité par des normes sociales à caractère universel551. Ainsi entendue "l'éthique désigne des valeurs adoptées librement par l'individu, tandis que la morale caractérise des règles imposées par une autorité à l'exemple des membres de la société"552. En d'autres termes, "la morale se réfère toujours au devoir-être et aux interdits - interdits qui ne sont jamais expliqués dans leurs causes profondes -, et par des jugements sur la conduite et les comportements (...). L'éthique (...) se réfère aux rapports entre l'individu et le social, entre le souci de soi, le souci d'autrui et le souci de l'ensemble de la communauté"553. L'interrogation éthique, de mon point de vue, s'inscrit dans le rapport du formateur à lui-même, à ses valeurs, à sa pratique et aux relations qu'il entretient dans son activité professionnelle, et non dans le cadre d'un système normé et normalisant, calqué ou produit par un système social dominant. Il s'agit donc d'une démarche individuelle, voire individualiste au sens stirnerien554 du concept, qui ultérieurement se doit d'être discutée et à terme, pourquoi pas, partagée. Le questionnement éthique est d'abord la quête intime d'un promeneur solitaire qui s'interroge sur lui et sur ce qui le meut, sur ses valeurs, leur place dans le réel de l'action et les conséquences produites par son activité sur les hommes et l'environnement. La réflexion éthique apparaît donc dans ce contexte comme une manifestation de la liberté individuelle en regard de l'attendu social, en d'autres termes, "l'engagement éthique diffère de l'obéissance aux règles"555. L'éthique est un regard de soi sur soi qui vise, pour paraphraser Emmanuel Kant556, à ce que mon action, par son exemplarité, puisse être érigée en maxime universelle. En conséquence, il est considéré ici que "l'éthique délie, dénoue les habitudes, vise l'existence hors des moules et des empreintes (...) là où la morale canalise, unifie"557.
Ensuite, je n'engagerai pas non plus la discussion sur éthique et déontologie qui relève d'un autre champ, celui de la constitution et du fonctionnement des professions. Néanmoins, afin de clarifier mon propos, je rappellerai la définition de Christian Vigouroux à laquelle je m'associe. Pour cet auteur, "l'éthique (...) correspond à la recherche d'une juste manière d'être, à la sagesse dans l'action. L'éthique relève du facultatif alors que la déontologie est sinon toujours obligatoire, du moins sanctionnable. L'éthique mène à l'interrogation identitaire d'une personne et aussi d'un métier. La déontologie est sociale, pratique et appuyée par le disciplinaire collectif"558. Une telle définition rappelle à juste titre qu'une déontologie mal pensée peut avoir plus d'inconvénients qu'une liberté individuelle bien conduite et qu'il est sans doute opportun de ne pas se précipiter, mais j'y reviendrai, dans une telle codification. En effet, toujours en référence à une autre activité, la sociologie, et afin d'éclairer mon propos, je reprendrai une longue citation de Louis E. Gomez en l'appliquant à la formation des adultes. Pour lui, "une éthique de la pratique sociologique (de la formation) n'impose pas forcément une déontologie formalisée sous la forme d'un code écrit. Le danger d'une codification déontologique générale de la discipline [de la formation] (...), consiste précisément à confondre morale et éthique, donc, à dériver vers le cas de figure d'une police de la pensée sociologique [de la formation] (...). A notre avis, il vaudrait mieux faire de l'éthique une valeur culturelle en préservant son caractère théorique (...) parce qu'il n'est pas acceptable qu'une déontologie mise sur papier en arrive à imposer un seul point de vue moral [et à instituer la bonne pratique] face à ce qui fait la force et en même temps la faiblesse de l'éthique [qui] s'attache plutôt à la construction d'une notion de responsabilité"559.
Baudoin J.-M., la Réflexion éthique contemporaine, Education permanente, n° 121, 1994-4, p. 20.
Leconte J., les Valeurs morales aujourd'hui, Sciences humaines, n° 46, janvier 1995, p. 12.
Gomez L. E., Culpabilité et implication, réflexion autour de la morale, l'éthique et la sociologie in Ethique, Epistémologie et Sciences de l'Homme sous la direction de Feldman J., Filloux J.-C., Lecuyer B., Selz M., Vicente M., Paris, L'Harmattan, 1996, pp. 51-52. Article dans lequel l'auteur reprend la distinction de Patrick Canivez.
Stirner M., philosophe allemand du XIXe siècle, auteur de l'Unique et sa propriété (1844).
Imbert F., la Question de l'éthique dans le champ éducatif, Vigneux, Matrice, 1987, p. 7.
Rappelé par Jacques Leconte in op. cit.
Peron Y., Ouverture éthique in Ethique et Pédagogie, Cahiers pédagogiques, n° 302,
mars 1992, p. 8.
Vigouroux C., Déontologie des fonctions publiques, Paris, Dalloz, 1995, p. 12 (souligné par nous).
Gomez L. E., Culpabilité et implication..., op. cit., p. 55.