La question de l'éthique dans la formation

La question de l'éthique dans la formation, dans l'idéal, ne se pose pas tant elle est co-constituante de l'acte d'éduquer lui-même. Mais, sans doute n'est-il pas inutile de rappeler qu'elle occupe une place "irréductible (...) dans les pratiques et les réflexions éducatives"568, qu'elle renvoie sans tendresse le sujet au sens des actes qu'il pose. Surtout lorsqu'il s'agit pour un individu d'en instruire un autre ou de lui ouvrir les chemins de la connaissance, lorsque l'activité éducative "concerne les possibilités de l'émergence d'un sujet, c'est-à-dire de la constitution d'une liberté"569. Ainsi formulée, l'interrogation éthique implique de se poser la question de soi en tant que formateur, mais c'est aussi et surtout se poser la question de l'autre et des effets de sa pratique et de ses valeurs en actes sur son devenir. Elle revient à interroger aussi la question du pouvoir dans la relation pédagogique et la transmission du savoir, à s'interroger sur son rôle et sa volonté de puissance. Il s'agit d'oser se penser en actes au regard de ses propres valeurs et au-delà de ce qui, profondément, les irrigue. Car tôt ou tard, à l'occasion d'un propos, d'un acte ou d'une commande point la contradiction entre soi et soi.

En matière d'éthique, il s'agit pour le formateur, le facilitateur de se situer, de savoir qui on est, ce qu'on transmet et au nom de qui ou de quoi on le fait. Ce positionnement éthique est d'autant plus important que la formation des adultes inscrit la réflexion éducative "tout au long de la vie" et dans un contexte de marché où se brassent quelque cent trente milliards de francs par an en France. La formation des adultes, en raison de sa situation, amène à exercer l'activité éducative dans un champ où l'économie domine. Ce contexte contraint à repenser l'éducation et la promotion des individus dans un environnement qui, historiquement et culturellement, est étranger à l'éducation. Il oblige à repenser l'accès à la connaissance, et peu de formateurs acceptent de faire ce deuil, en des termes qui ne sont plus ceux de la pédagogie. Il renvoie à des questions sociétales qui ne se limitent plus aux grands projets idéologiques. Il impose les enjeux et les logiques économiques aux acteurs de l'éducation qui sont souvent peu réceptifs, pour ne pas dire aveugles et/ou hostiles à ce discours. Une fois resituée en terme d'enjeux de société, la question éthique exige aussi d'observer l'activité et d'analyser les pratiques pédagogiques afin que "les acteurs entendent quelque chose à ce qu'ils disent, qu'ils évitent les pièges de la démagogie et les lieux communs. [Et que] les participants sachent reconnaître les conceptions implicites qui se cachent derrière des décisions qui souvent semblent purement techniques"570. En d'autres termes, l'éthique revient à oser se demander : quel maître et quels intérêts suis-je en train de servir ?

Notes
568.

Meirieu Ph., le Choix d'éduquer, Paris, ESF éditeur, 1995, p. 11.

569.

Ibid., p. 13.

570.

Meirieu Ph., préface à la Pédagogie, théories et pratiques de l'Antiquité à nos jours, sous la direction de Gauthier C. et Tardif M., Montréal, Gaëtan Morin éditeur, 1996, p. XIV.