Il faudrait prendre garde à ne pas se contenter d'un discours sur l'éthique et veiller à ce que la réflexion éthique alimente et guide nos actes professionnels. Rien ne serait plus dommageable pour l'éthique que de devenir un bavardage savant, sans effet sur l'activité concrète. Veillons aussi à ce qu'elle ne soit pas un frein à toute action et que, sous prétexte d'éthique, plus rien ne se fasse ou que toute activité de formation ne se conduise que dans la culpabilité. Il s'agit de se réapproprier la dimension éthique de la formation pour redonner une dynamique à l'éducation des adultes et la libérer des "fausses-vraies" valeurs et des contraintes dans lesquelles elle s'exerce. Elle doit devenir, dans un environnement professionnel difficile, une force libératrice. Le débat éthique vise donc à redonner aux formateurs la maîtrise de leur action en renvoyant les individus à eux-mêmes et à leur responsabilité, et non à créer un quelconque "ordre des formateurs" garant des "bonnes pratiques" et reflet d'une forme instituée de "pensée unique". Le questionnement éthique ne se délègue pas. Mais il ne s'impose pas non plus, c'est pourquoi, il s'agit plutôt de développer chez les formateurs une culture, un réflexe éthique que de leur édicter une morale réductrice ou une déontologie contraignante.
Mais qu'on ne s'imagine pas non plus que l'éthique, une fois posée et construite, soit définitivement acquise. La question éthique est récurrente, permanente : chaque situation nouvelle, chaque outil, chaque public la relancent incessamment. Elle n'est ni prescrite dans les formations de formateurs, "ni délivrée avec les diplômes, (...) elle est une exigence difficile jamais définitivement conquise"584. Veillons aussi à ce qu'elle ne se pense pas seule, de manière désincarnée. La réflexion éthique, en même temps qu'elle est un travail d'élaboration individuelle, doit être mise en perspective et en lien constant avec un environnement économique et social producteur lui-même de valeurs. Elle est équidistante entre un souci de soi, de l'autre et de la société. Elle est une quête où l'individu dans un débat constant tente "de réconcilier le particulier et l'universel"585.
La question éthique est fondamentale, elle est un acte de conscientisation et un processus d'auto-formation, mais elle est aussi une prise de risque dans la mesure où elle oblige le formateur à renoncer à l'angélisme de ses pratiques. Elle lui rappelle, à chaque pas, qu'il n'est pas un pur esprit et que tout acte d'éducation engage non seulement sa responsabilité, mais aussi et surtout l'autre dans ce qu'il est d'Unique. Elle est aussi une garantie, une manifestation de la liberté individuelle qui, en s'affirmant, renonce à toute forme de contrôle autoritaire autoproclamé. L'éthique, c'est-à-dire l'engagement de soi dans des pratiques analysées, est la revendication de sa responsabilité individuelle. De plus, en responsabilisant l'individu, elle protège contre la tentation de promouvoir une quelconque "police de la pensée" orwellienne, réglementant le quotidien de la formation.
Une telle nécessité éthique dans un secteur professionnel en perte de repères soulève la question du lieu de production de ces valeurs. Au-delà de l'incontournable débat entre pairs, quel rôle peut y jouer la formation des formateurs ? Une telle question n'est pas neutre et fait très rapidement naître une contradiction majeure. L'éthique renvoie à l'individu et à ses valeurs, comment le laisser libre de ses choix tout en participant à l'élaboration d'un système de pensées. L'exercice est délicat. Comme le souligne Philippe Meirieu, "nous voici donc, sans doute, en face d'une des apories les plus critiques de la réflexion éducative : il nous faut, en effet, à la fois revendiquer pour l'éducateur, la liberté radicale de ses options éthiques et, pour dégager le projet d'éduquer de l'aléatoire et du dérisoire, imaginer qu'il existe des méthodes qui, en formation sont susceptibles, non de contraindre, mais de favoriser ces choix"586. La question est bien celle-là, comment faire émerger la réflexion éthique, comment outiller intellectuellement les formateurs en préservant la liberté des individus. La solution du débat éthique ouvert, de la confrontation tolérante apparaît comme une solution potentielle où pourrait se construire et/ou se reconstruire la réflexion éthique de chacun, en évitant de faire de l'éthique un enjeu et un objet de formation. Rien ne serait plus dangereux et contradictoire de céder à la tentation et de figer l'éthique en formation des adultes dans le cadre d'un contenu et de pratiques déterminés.
Meirieu Ph., le Choix d'éduquer, op. cit., p. 24.
Sauvagnargues A., l'Education selon Hegel, in l'Education : approches philosophiques, Paris, PUF, 1990, p. 265.
Meirieu Ph. , le Choix d'éduquer, op. cit., p. 174.