Troisième Partie
EXISTENCE ET REPRISE

Introduction

À partir du film Le Lien (1971), l’état confus qui régnait dans l’univers bergmanien se dissipe en quelque sorte et une nouvelle tendance s’amorce. L’atmosphère n’est plus aussi austère et aussi ténébreuse et surtout elle n’est plus chaotique. Presque tous les protagonistes sont des bourgeois qui mènent une vie relativement stable.

La situation que Karin vit dans Le Lien, film qui ouvre la troisième période, évoque typiquement celles des personnages de cette période. Karin est la femme fidèle dans un foyer bourgeois. Elle mène une vie tranquille et stable. Le film commence par la mort de sa mère suivie de la rencontre avec David, jeune archéologue égoïste, brutal mais passionné. Elle accepte son amour « ‘comme si la mort de sa mère, puis l’arrivée de ce bel inconnu brun étaient des signes annonciateurs de sa libération’ 292 ». Les protagonistes de la plupart des films de la troisième période parcourent des trajets quasi identiques pour se libérer de l’emprise de la normalisation, de la Vérité objective.

Et toutes les orientations que prennent les personnages, quelles que soient leurs situations, aboutissent à une interrogation sur le concept d’existence dans le sens d’être fondamentalement pour soi293. Même la conception de la Vérité dogmatique devient excusable en revêtant un visage plus humain. Mais, elle mourra inévitablement et la Vérité subjective la remplacera.

« Être sujet de sa propre existence » est un objectif en apparence atteint, mais Bergman décrit un monde sans âme, basé sur la valeur matérielle, dans lequel le protagoniste finit par s’abîmer. Cet aspect évoque la mort spirituelle. En ce qui concerne la mort physique, elle change aussi fondamentalement d’aspect dans cette nouvelle phase. Bergman l’affronte de face, met la mort-même en scène avec réalisme. En outre, il rend plus ténue la frontière entre la vie et la mort. Si celle-ci représente toujours l’autre côté de celle-là, leur séparation n’est plus aussi absolue.

Ainsi réapparaît le thème de la transcendance qui était totalement absent dans la période précédente. Dans ce sens, le retour de la musique extra-diégétique ne nous semble pas fortuit. Sa présence marque un élément transcendantal dans l’univers filmique de cette époque, contrairement à celui de la deuxième période dans lequel les films sont construits sur des éléments concrets (à l’exception de L'Heure du Loup, film de caractère fantasmagorique et de Persona, film dans lequel tout est ambigu). Mais la transcendance, apparue dans les films de la troisième période, n’est plus celle qui écrasait l’homme dans la première période. Elle se manifeste au sein des hommes, l’amour devient indicible et le mystère intervient dans les événements. Après avoir aboli les représentations dogmatiques de Dieu, la transcendance se montre au travers d’autre chose.

En revanche, l’angoisse est permanente chez ceux qui s’engagent ou sont poussés au gré des circonstances. Car, vivre sa propre existence nécessite naturellement la capacité de l’assumer, quelle que soit la réalité. Le temps est aussi l’une des sources d’angoisse pour Bergman ayant atteint un certain âge. Il est une marche lente vers le néant, le vieillissement se traduit comme déchéance physique.

Tout d’abord, nous allons examiner comment est représentée la mort. Il nous semble, en second lieu, indispensable d’étudier les différents indices indiquant l’appropriation du concept d’existence par les personnages. Ensuite, nous analyserons les facettes qui évoquent les personnages bergmaniens en tant que sujets, et également comment l’angoisse se manifeste chez les personnages. Enfin, nous verrons à travers quels procédés est suggérée l’action de la transcendance au sein de l’univers bergmanien.

Notes
292.

Peter COWIE, Ingmar Bergman, op.cit. p. 292

293.

Définit JASPERS, repris par Jean WAHL, Les Philosophies de l’Existence, op.cit. p. 43