L'urgence d'une question.

Depuis sa création officielle en 1970 1 , de multiples projets de transformation, allant jusqu'à remettre en cause l'existence même de la rééducation à l'école, se sont succédés, et ont entretenu une inquiétude au niveau du devenir de cette structure d'aide. La transformation des GAPP en Réseaux d'aides spécialisées, en 1990 2 , a marqué une étape décisive dans l'évolution des conceptions "rééducatives", sans pour autant faire cesser les remises en question. Par un texte en date du 8 mai 1997 3 , le rééducateur est tenu d'être "capable de définir et d'argumenter sa spécificité professionnelle (auto-définition, rôle, fonctions) auprès des différents partenaires du système".

Les textes assignent les rééducateurs à se définir. L’imprécision de la définition "officielle" de leur fonction, amène une méconnaissance de la part des partenaires et des autorités hiérarchiques qui ont mis en place cette profession. Les termes même de "rééducateur" et de "rééducation", sont ambigus. Leurs connotations renvoient à des champs fondamentalement différents. Le rééducateur de l'Education Nationale, soumis à une pression permanente, est mis dans la situation “impossible” d’être interrogé chaque jour sur sa fonction et de devoir justifier celle-ci:

  • dans le cadre de l’école où il intervient, auprès des enseignants;
  • vis à vis des parents;
  • vis à vis des partenaires extérieurs;
  • vis à vis de ses autorités hiérarchiques.

Il est donc amené à définir d’une manière précise, auprès de chacun de ces interlocuteurs:

  • qu’il n’enseigne pas;
  • qu’il répond à des besoins précis dans l’école, dans un “créneau” dans lequel l’enseignant ne peut répondre;
  • qu’il apporte autre chose à l’enfant en difficulté, dans l’école;
  • que son intervention se différencie d’une aide médicalisée, et permet d’éviter celle-ci, dans la mesure du possible.

Si se définir est une nécessité pour tout professionnel, cet impératif de définition, dans les termes dans lesquels il se pose aux rééducateurs aujourd’hui, est porteur d'une tension qui risque d'être préjudiciable à l'aide apportée aux enfants en difficulté. Les remises en question quasi permanentes de la part des autorités hiérarchiques, ont comme conséquences une mise en doute de leurs propres orientations chez certains rééducateurs, une perte des repères, et certaines oscillations inquiétantes pour la cohérence de leurs positions face à l’enfant.

Cette “auto-définition”, telle qu’elle est exigée par le texte de mai 1997, pose trois problèmes principaux qui mettent le rééducateur dans une situation “impossible” :

  • S’agit-il de définir des pratiques individuelles, hétérogènes, voire contradictoires? Un consensus est-il déjà réalisé, ou possible?
  • Cette méconnaissance généralisée et cette nécessaire et constante redéfinition, mobilisent une quantité d’énergie importante, un temps considérable, de la part des praticiens. On peut, de ce fait, craindre que cette énergie et ce temps deviennent indisponibles pour l’intervention directe auprès de l’enfant.
  • La parole individuelle, si elle n’est pas relayée, reprise avec suffisamment de force et d’autorité par les instances hiérarchiques, a peu de chances de se faire entendre de tous les partenaires.

Elle a encore moins de chances d’être prise en compte, chacun opposant alors, à titre individuel ou à titre de défense corporatiste, ses propres urgences, ses propres arguments, ses propres impératifs. L’enseignant admettra difficilement la différence de statuts, de rôle, de fonctions, alors qu’il est confronté aux problèmes d’apprentissage et de comportement de tout un groupe d’élèves. Le politique, suivi de l’administratif, pensera budget, et voudra réutiliser cette “réserve” “d’enseignants qui n’enseignent pas”, qui seraient sans doute plus “rentables”, face, en permanence, à vingt cinq ou trente enfants. D’autant plus que ces rééducateurs sont jugés parfois un peu encombrants, un peu trop “hors normes”, un peu trop à l’écart de la pédagogie...

L’urgence, pour le rééducateur d’aujourd’hui, est donc:

  • de pouvoir situer son intervention dans un ensemble d'actions conçues et mises en place au sein de l'école, pour lutter contre l'exclusion;
  • d’être capable d’argumenter de la nécessité de la rééducation dans le cadre de l’école, en la différenciant des autres aides à l'enfant en difficulté, et en définissant les besoins spécifiques des enfants auxquels son aide va s'adresser;
  • d’être capable de définir la praxis rééducative; d'être capable d'argumenter le bien-fondé, la cohérence et la pertinence de ses méthodes;
  • d'être capable de rendre compte de "ce qui est rééducatif" pour l'enfant, c'est-à-dire, des "effets" de son action.

Ne s’agit-il pas aujourd’hui, d’une manière urgente , de parvenir à construire une praxis rééducative, qui permettrait une connaissance diffusée d’une manière plus large, et avant tout auprès des autorités hiérarchiques, du “rôle”, et des “fonctions”, de la rééducation dans l’école, mais aussi de ses méthodes, de sa place dans l'école, et de ses "effets"?

Dans ce contexte de mise en doute et d'incertitude permanentes, il apparaît nécessaire de pouvoir répondre à la question: "Y a-t-il, dans l'école, une place spécifique pour une action qui pourrait être qualifiée de "rééducative", et laquelle?". S'il est possible de constater une reprise du développement dans le sens d'un "devenir élève", chez "l'enfant-rééduquant", notre questionnement s'orientera vers les processus en jeu et cherchera à comprendre ce qui, des propositions de l'adulte, les aura permis, facilités, stimulés. La deuxième grande question de notre problématique générale, se formule donc ainsi: "Qu'est-ce qui est rééducatif ?". Repérer et analyser ce qui semble avoir été "rééducatif" pour l'enfant auquel a été proposé une rééducation, c'est-à-dire ce qui semble lui avoir permis, des propositions rééducatives qui lui ont été faites, de s'inscrire ou se réinscrire dans la collectivité scolaire et les apprentissages, devrait permettre de répondre de la pertinence de l'aide rééducative au sein de l'école, et au rééducateur d'être "capable de définir et d'argumenter sa spécificité professionnelle (auto-définition, rôle, fonctions) auprès des différents partenaires du système", comme le prescrit le texte officiel du 8 mai 1997.

Dans un premier temps, nous nous demanderons ce qui a conduit l'école à créer ce corps professionnel de "rééducateurs", en son sein. Quel était le problème posé, et comment pensait-on y répondre? La conception des réponses apportées à un problème, dépend étroitement des idées dominantes, dans le contexte "historique", idéologique, philosophique, institutionnel, dans lequel ce problème émerge. De même, ces réponses évoluent, en même temps que les courants d'idées, que les avancées des "savoirs".

Dans un deuxième temps, nous avons donc besoin de connaître comment se pose le problème de l'échec ou de la difficulté scolaire aujourd'hui. Que peut-on savoir de cet enfant et de sa difficulté? Comment appréhender cette difficulté, mieux la comprendre? Quelles réponses l'école peut-elle apporter? Comment concevoir des aides différenciées qui répondraient à des difficultés différentes, de l'enfant à l'école? Y a-t-il des enfants pour lesquels il est nécessaire de concevoir, au sein de l'école, une aide spécifique, différente, que l'on pourrait qualifier de "rééducative"? Quelle devrait être la forme de cette aide? Quelle devrait être sa place dans l'école, et vis à vis de la pédagogie?

Dans un troisième temps, nous avons besoin de connaître sous quelle(s) forme(s) cette rééducation conçoit, actuellement, et met en œuvre ses propositions à l'enfant. Existe-t-il une praxis rééducative? Quels en sont les effets attendus? Que peut-on constater, dans ce qui se joue pour un enfant, en rééducation? Y a-t-il des effets? Si oui, qu'est-ce qui, enfin, des propositions rééducatives, semble avoir eu "des effets" sur le devenir d'élève de cet enfant?

Comment organisons nous nos analyses, afin de répondre à ces questions?

Nous proposons trois grandes parties, qui correspondent globalement à trois approches différentes et complémentaires de ce questionnement.

Notre première partie : Une réponse de l'école à la difficulté scolaire: la rééducation. Un rééducateur à la recherche de son identité , se consacre à la recherche des conditions "historiques" de l'émergence de ce fait de la rééducation. Deux questions directricesla guident: Pourquoi ce fait de la rééducation? Quelle était la définition de la tâche des rééducateurs?

Il nous faut rendre raison de l'existence de la rééducation, en mettant en évidence ses conditions d'émergence, et en montrant à quelles "nécessités" son existence a répondu. En conséquence, une première "tâche de recherche" consistera à répondre à la question: Par quelles voies l'institution scolaire a-t-elle été amenée à créer un corps professionnel de rééducateurs?

Nous avançons une première hypothèse de travail (1):

La rééducation a été créée pour répondre à un besoin de l'institution scolaire. Elle était un des moyens mis en place pour enrayer un mouvement d'exclusion généralisé.

Une deuxième "tâche de recherche" devrait apporter des réponses à la question: Comment les rééducateurs ont-ils construit, historiquement, leur identité professionnelle? Il nous faut mettre en évidence comment, à partir des textes officiels qui leur ont donné une existence légale, les rééducateurs ont dû assumer "un vide" concernant l'objet précis de leur tâche, leur identité professionnelle, et la nature des difficultés des enfants qu'ils devaient aider.

Nous devrions pouvoir montrer que:

Hypothèse de travail (2): Les rééducateurs ont dû construire leur identité, dans l'espace de la confrontation dialectique entre les textes officiels et la pratique, contre la prégnance du modèle médical.

Nous construirons un premier "modèle" rééducatif descriptif, à partir des directives données par la circulaire de 1970, compte-tenu des directives officielles, et des interprétations qui en ont été faites 4 . Le texte de la circulaire de 1990, en proposant une conception radicalement différente de l'aide "rééducative", constituera l'ossature de la construction d'un "modèle" actuel de la rééducation, qui reste à construire 5 . Nous nous référons, pour cette élaboration, à ce que serait une praxis, nous réservant de vérifier l'appropriation de cette appellation vis à vis de l'ensemble des propositions rééducatives, et nous réservant également d'en vérifier la cohérence, lorsque nous pourrons préciser et compléter ces propositions, grâce aux analyses ultérieures.

Si nous parvenons à établir que la rééducation a bien répondu à un besoin de l'Institution scolaire à un moment donné de son histoire, lorsque nous aurons rendu compte de la manière dont le rééducateur a dû construire sa pratique et se constituer une identité spécifique, nous pourrons nous interroger sur les besoins actuels de l'école, comme sur les besoins actuels et spécifiques, de l'enfant auquel la rééducation est supposée répondre. Les réponses apporteront des arguments complémentaires, quant à la pertinence de la présence de la rééducation dans l'école, et quant à la place qu'elle doit y assumer.

En réponse à une question: Y a-t-il, dans l'école, des enfants relevant spécifiquement d'une rééducation? qui a comme corollaire: A quels besoins de l'enfant celle-ci devrait-elle pouvoir répondre?, le problème se pose de définir, d'une manière plus précise, le profil des enfants auxquels la rééducation va être proposée, et la place que doit assumer la rééducation, au sein de l'école, compte tenu des besoins de ces enfants.

Nous proposons donc une deuxième parti e: Un enfant "en panne" sur le chemin de l'école...à la recherche de son identité d'élève. Mettre en évidence la nécessité de la présence de la rééducation dans l'école, c’est montrer qu’elle répond à des besoins auxquels les autres partenaires ne peuvent répondre. D'où la nécessité de définition de ces besoins.

Un jeu de questions guide nos analyses: Comment se pose, aujourd'hui, la question de la difficulté ou de l'échec scolaire? Comment peut le vivre un enfant, dans le contexte scolaire et social, actuel? Quels moyens se donner pour proposer l'aide la plus appropriée, quelles démarches mettre en œuvre, pour mieux connaître cet enfant, ses difficultés, et ses besoins? Comment démêler, dans ces difficultés de l'enfant à l'école, ce qui ressort de telle ou telle aide, dans le champ des possibles? Lorsqu'une aide pédagogique ne paraît pas appropriée, comment se donner les moyens de vérifier qu'une intervention soignante peut être évitée?

Une troisième "tâche de recherche" s'impose.Nous devons nous donner des repères, quant aux conceptions actuelles de la difficulté ou de l'échec scolaire, au sein de l'école, et quant aux aides possibles, proposées à l'enfant, dans l'école, et à l'extérieur de l'école. Pour le praticien, des démarches sont à mettre en œuvre pour analyser la demande d'aide concernant un enfant, pour mieux comprendre sa difficulté, et pour être en mesure de proposer l'aide la plus appropriée, compte tenu de celle-ci. Nous devrions être en mesure, pour notre recherche, de disposer des éléments significatifs pour déterminer, à quelles conditions, l'aide du maître, formulée sur un nouveau contrat de confiance, ou bien une aide pédagogique spécialisée, sont les plus pertinentes.

Pour d'autres enfants, la nature de leurs difficultés conduit à penser que ces deux aides, spécifiquement pédagogiques, ne paraissent pas convenir. Des séances préliminaires sont parfois nécessaires, afin de mieux connaître cet enfant en difficulté scolaire, et la nature de ses difficultés. Grâce à une meilleure appréhension de sa situation globale, il devrait être possible de disposer d'éléments pertinents pour lui proposer une aide, soit rééducative, dans l'école, soit thérapeutique, au sens de "relevant de soins", à l'extérieur de l'Institution Scolaire. La mise en oeuvre de la rééducation à l'école pose une question fondamentale, mais délicate, des frontières , entre pédagogie, rééducation et thérapie.

Trois séries de questions vont guider le rééducateur, tout au long de ces séances:

  1. De quelle nature est la difficulté de cet enfant? Quel sens et quelle fonction a-t-elle? Qu'est-ce qui se joue pour cet enfant dans le lieu de l'école?
  2. Quels sont ses besoins?
  3. Quelles sont les ressources de cet enfant? Quelles sont ses capacités "d'auto-réparation"?

Le rééducateur qui va rencontrer l'enfant lors de ces séances préliminaires, a besoin de repères qu'il doit rechercher dans des "savoirs constitués" 6 . Pour progresser dans notre recherche, un questionnement guidera nos analyses. Nous en suivrons les différentes dimensions: Comment se repérer entre "normalité" et "pathologie"? De quelles ressources un enfant doit-il disposer pour pouvoir s'inscrire dans la collectivité scolaire et les apprentissages? Que doit-il avoir construit?

Autrement dit:

  • Que signifie "s'adapter"? Qu'est-ce qui est nécessaire à un enfant pour s'adapter?
  • Qu'est-ce qui est nécessaire à un enfant pour s'inscrire dans les activités et la collectivité scolaire? Qu'est-ce qui fait, en premier lieu, que l'on désire apprendre?

Nous proposons une réponse anticipée, sous la forme d'une hypothèse de travail (3):

Ne pas faire fonctionner sa pensée est une souffrance pour l'enfant. Cette hypothèse s'accompagne d'une question: Est-ce, pour autant, et systématiquement, une pathologie?

Comment pourra-t-on déterminer que la rééducation sera le moyen le plus approprié pour aider un élève, ou que des soins lui sont nécessaires? Afin de pouvoir affirmer, ou non, la présence à l'école, d'enfants dont la difficulté pourrait relever d'une aide spécifique qui pourrait être qualifiée de "rééducative", qui ne soit ni pédagogie ni soin, nous devons avancer pas à pas.

  • Que veut dire "se séparer"? De quoi se sépare-t-on, et comment? Que permet cette opération de "séparation"?
  • Qu'attend l'école de l'enfant? Quelles capacités doit-il avoir construit et développées préalablement, pour pouvoir réussir son inscription dans le lieu scolaire et dans les apprentissages?
  • Que peut-on dire du parcours de l'enfant, de sa difficulté?

Une quatrième "tâche de recherche" consistera à interroger l'articulation entre ce qu'un enfant doit construire de son propre développement psychique, et les capacités requises pour s'adapter à l'école, pour s'inscrire dans la collectivité scolaire, pour pouvoir apprendre.

Une cinquième "tâche de recherche" consistera à mettre en évidence qu'il existe une "difficulté normale" de l'enfant, dans son parcours qui le mène de la maison à l'école. Nous avançons que c'est à partir de la connaissance précise de ce que l'enfant doit avoir construit pour pouvoir s'inscrire dans la collectivité scolaire et pour y apprendre, que pourrait être différencié plus précisément, ce qui constitue une "difficulté pathologique" qui requiert des soins, ou ce qui doit être traité à l'école, parce que la difficulté reste dans des limites "normales".

En fonction des résultats de nos analyses, nous devrions pouvoir répondre à ces deux questions: Quels seront les éléments pertinents conduisant à proposer une rééducation, à un enfant? Quelle place la rééducation devra-t-elle assumer dans l'école, pour répondre aux besoins de cet enfant? Nous rendrons compte, sous forme de schémas récapitulatifs, d'une part, de l'ensemble des démarches mises en œuvre en vue de la pose d'une indication d'aide, et des éléments repérés qui pourraient guider celle-ci, d'autre part.

Nous proposons de vérifier la pertinence de deux hypothèses de travail:

  • Hypothèse de travail (4): Il y a un rapport entre la construction de l'enfant, et celle de l'élève.
  • Hypothèse de travail (5): Certains enfants, dont la difficulté peut être considérée comme "normale", ne sont pas disponibles pour les apprentissages. Pour les aider à rendre leur pensée "disponible", l'école doit pouvoir leur proposer un lieu "entre-deux", entre pédagogie et soin.

Nous avançons que la construction de son identité par l'enfant, l'élaboration de son histoire et la construction des capacités requises par l'école pour pouvoir s'inscrire dans la collectivité scolaire et les apprentissages, sont en interrelations étroites. Tout enfant a un parcours difficile à accomplir pour pouvoir devenir élève. La rééducation s'adresse à un enfant dont la difficulté est normale. Il ne peut entrer dans les apprentissages, du fait que sa pensée, encombrée par des préoccupations envahissantes, n'est pas disponible pour apprendre. Il n'a pas achevé de construire le substrat nécessaire pour pouvoir s'inscrire dans la culture, dans la collectivité scolaire et dans les apprentissages, ou bien il se retrouve dans des positions qui devraient être dépassées, et dans lesquelles ces capacités préalables ne sont pas accessibles. Dans ces conditions, la rééducation devrait, pour répondre aux besoins de cet enfant, pour l'aider à construire ou à récupérer la disponibilité des capacités et des préalables en amont des apprentissages, inscrire son intervention dans un "entre-deux" entre pédagogie et soin, à l'intérieur de l'école.

Nous attendons des analyses de notre troisième partie, de vérifier la validité de ces articulations, et de leur effet "opérant", au sein de ce que construit l'enfant dans son processus rééducatif.

La troisième partie: "(Re) construire" son identité "d'enfant-écolier-élève", en se "(re)trouvant" dans un lieu et un temps "entre-deux", inscrit dans l'école , se consacre à l'analyse des propositions rééducatives actuelles, et à leurs "effets" sur "l'enfant-rééduquant", au sein des rencontres rééducatives.

Yves de LA MONNERAYE affirme: "c'est la parole qui est rééducatrice". Augustin MENARD ajoute que cette parole doit être accompagnée d'un "changement de place" du rééducateur. Jacques LEVINE insiste sur les "capacités d'auto-réparation" de l'enfant. Qu'est-ce qui, (en fin de compte) est rééducatif?

Nous connaissons les craintes d'un théoricien de la rééducation, Yves de LA MONNERAYE, de voir se construire UN modèle de la rééducation qui prendrait la forme d’un modèle prescriptif et qui constituerait un carcan pour le professionnel. Cependant, pour se repérer lui-même dans sa pratique, pour répondre aux demandes pressantes des autorités et des partenaires, le rééducateur doit disposer, dans un cadre défini, de repères construits, faisant de sa pratique un ensemble cohérent, répondant à des besoins définis. Cet ensemble doit être ordonné en vue d’une fin clarifiée, qu’il peut situer par rapport aux autres interventions, existantes ou possibles, auprès de l’enfant.

Afin de répondre à la question, Qu'est-ce qui est "rééducatif"?, il faut pouvoir rendre compte des méthodes rééducatives, et il faut pouvoir en montrer les effets supposés. "Etre capable de définir et d'argumenter sa spécificité professionnelle (auto-définition, rôle, fonctions) auprès des différents partenaires du système", comme le prescrit aux rééducateurs le texte de mai 1997, suppose de pouvoir démontrer leur cohérence et leur pertinence, par rapport aux besoins de l’enfant.

Les "moyens rééducatifs" peuvent être entendus dans l'articulation de deux dimensions:

  • celle qui est mise en oeuvre par le rééducateur. Si les objectifs généraux de la rééducation sont donnés par les textes, ses stratégies et ses méthodes, le projet et le cadre rééducatifs, sont élaborés et mis en oeuvre par le professionnel.
  • celle qui est mise en oeuvre par l’enfant.

A cette étape de notre recherche, nous disposerons d'un premier "modèle" rééducatif, élaboré à partir des directives de la circulaire du 9 avril 1990 7 , que nous pourrons compléter, grâce à ce que nous aurons pu apprendre de la difficulté de l'enfant. Un "modèle" rééducatif prenant en compte la difficulté spécifique mais "normale", d'un enfant en difficulté scolaire 8 , pourra donc constituer l'ossature de ce "modèle" compréhensif que nous cherchons à construire.

Trois questions s'imposent:

  • Question 1: Comment définir les propositions rééducatives, par rapport aux autres interventions, dans l'école?
  • Question 2: Y a-t-il une cohérence des propositions rééducatives? Comment peut-on en rendre compte?
  • Question 3: Ces propositions semblent-elles pouvoir répondre aux besoins spécifiques de l'enfant à qui elles sont destinées, quelle est leur pertinence au niveau des attentes formulées par les praticiens?

Une sixième "tâche de recherche" consiste àanalyser les différentes dimensions des propositions rééducatives, afin de les différencier des autres interventions auprès de l'enfant, dans l'école. Cette différenciation devrait permettre de les définir, et de les situer, d'une manière précise. Pour ce faire, il nous faut réunir en un ensemble ordonné, les "méthodes rééducatives" à partir des propositions consensuelles actuelles, construites à partir des directives données par les textes officiels, et à partir de la réflexion des praticiens et des théoriciens de la rééducation. Nous devons nous interroger sur la cohérence de l'ensemble ainsi constitué, et sur leur pertinence au regard des besoins de ces enfants. Nous nous proposons de rendre compte de cette cohérence dans un "modèle" explicatif de la praxis rééducative, dans ses propositions à l'enfant.

Nous proposons une réponse anticipée à ce questionnement:

Hypothèse de travail (6 ): Il est possible, actuellement, de définir une praxis rééducative cohérente.

On devrait pouvoir constater que l'ensemble des propositions rééducatives actuelles, constitue une praxis qui met en cohérence une éthique, des finalités, des objectifs généraux, des objectifs spécifiques, qui en donnent la direction, des stratégies qui sont leur mise en œuvre, des théories qui la guident et éclairent l'action. Il y a bien cohérence et pertinence entre les objectifs définis et les propositions formulées.

Connaissant alors les propositions rééducatives, connaissant les attentes du praticien, il nous faut interroger leurs "effets" au sein de la rencontre avec l'enfant. Nous pourrons alors estimer leur pertinence, d'une manière effective.

  • Question 1: Qu’est-ce qui se passe pour l’enfant dans son processus, qui est rééducatif pour lui? Corrélativement, on s'interrogera sur:
  • Question 2: Qu’est-ce qui, des propositions rééducatives, paraît avoir été “opérant”, "rééducatif"?

C'est à partir de "cas" ou de "vignettes" cliniques" rencontrés en rééducation, que nous nous proposons de vérifier la pertinence et la validité des propositions rééducatives à l'enfant, à partir du repérage et de l'analyse de leurs "effets". Le processus rééducatif de l'enfant est questionné, éclairé, analysé, interprété, avec le recours à une théorie de référence, qui est la théorie psychanalytique. L'objectif est de repérer et d'analyser de ce qui semble avoir été "rééducatif" pour l'enfant (septième "tâche de recherche").

Notre visée est de construire un "modèle" de compréhension, interprétatif, du processus rééducatif, et de rendre compte de ses "effets" sur l'enfant.

On pourra inférer des signes de changement de l’enfant, les effets supposés des interventions rééducatives, dans un paradigme qui ne peut être que probabiliste, articulant une proposition faite au sujet et un effet constaté.

Mettre en évidence une cohérence entre:

  • des besoins existants dans l’école, besoins auxquels la relation pédagogique et la didactique ne peuvent répondre,
  • ce qui est proposé par la rééducation,
  • et les effets attendus de son intervention,

devrait pouvoir répondre de la pertinence, ou non, d’une praxis ainsi conçue.

Clarifier ses méthodes, devrait l’aider à définir sa place dans l’école.

Analyser et argumenter les raisons de sa différence, devraient permettre de clarifier et d’affirmer son identité.

Constater et interpréter certains effets paraissant articulés avec l’intervention rééducative, devrait permettre "d'argumenter" de la validité de cette praxis rééducative, ainsi conçue.

L'intérêt de l'enfant pour les apprentissages de la classe, sa capacité (re)trouvée à s'inscrire dans la collectivité scolaire, en fin de processus rééducatif, devrait permettre d'affirmer que:

Hypothèse de recherche, en deux propositions:

  1. Pour répondre à la difficulté normale d'un enfant qui ne parvient pas à devenir élève, il y a, dans l'école, une place spécifique pour une action qualifiée de "rééducative", située entre le soin et l'action pédagogique.
  2. C'est la possibilité donnée à l'enfant de reconstruire son histoire, dans l'entre-deux créé par le changement de place qu'opère le rééducateur dans l'école, qui permet à cet enfant d'élaborer les capacités nécessaires pour pouvoir s'inscrire dans la culture, dans la collectivité scolaire et dans les apprentissages.

Notes
1.

Circulaire n° IV 70-83 du 9 février 1970. Prévention des inadaptations. Groupes d'aide psycho-pédagogique. Sections et classes d'adaptation. Bulletin officiel du ministère de l'éducation nationale, n° 8 du 19-2-70. 689-695.

2.

Circulaire n° 90-082 du 9 avril 1990. Mise en place et organisation des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté. Bulletin Officiel de l'Education Nationale, 19 avril 1990, n° 16, 1040-1045.

3.

Rénovation du CAPSAIS (1997). Certificat d'aptitude aux actions pédagogiques spécialisées d'adaptation et d'intégration scolaires. Bulletin Officiel de l'Education nationale n° 3, 8 mai 1997, Hors série, Annexe: Référentiel de compétences.

4.

1970. Modèle" "adaptatif", fonctionnel ou instrumental, par la reprise des apprentissages.

5.

1990. Modèle" rééducatif (1) (descriptif), élaboré à partir des directives données par la circulaire du 9 avril 1990.

6.

Nous définissons ces différents "savoirs" dans le chapitre I: Méthodologie de cette recherche.

7.

Circulaire n° 90-082 du 9 avril 1990. Mise en place et organisation des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté.

8.

"Modèle" rééducatif (2) prenant en compte la difficulté spécifique mais "normale", d'un enfant en difficulté scolaire.