Première partie.

Se donnant pour tâche de répondre à l'interrogation générale:"Y a-t-il, dans l'école, une place spécifique pour une action qui pourrait être qualifiée de "rééducative", et laquelle?" ’, la première partie se structure à partir de deux grandes questions: Pourquoi ce fait de la rééducation? Quelle était la définition de la tâche des rééducateurs? Les tâches de recherche se centrent sur l'analyse des conditions "historiques" de l'émergence d'un besoin institutionnel, et sur l'évolution d'une pratique et d'une identité professionnelle, entre deux textes de loi.

Ce sont, en premier lieu, des écrits, qui constituent les "matériaux" des analyses de la "réalité" sociale et scolaire qui voit naître et se développer un nouveau problème: l'échec scolaire, et celui du contexte scolaire qui entoure celui de la création de la rééducation à l'école. Nous les avons organisés autour du "prescrit" institutionnel constitué par des textes de lois. Une abondante documentation, que nous avons recueillie, au fil du temps, était un "réservoir" qu'il fallait trier, sélectionner, pour n'en retenir que ce qui pouvait étayer notre propos. Des notes de lecture, réalisées à partir des écrits de pédagogues, de philosophes, de psychologues ou de psychanalystes, ou encore d'ouvrages en lien avec les Sciences de l'Education, en assurant la "multiréférentialité" de notre démarche, ont fait l'objet d'une sélection, en fonction des préoccupations très spécifiques que nous nous sommes données. Nous avions besoin de nous centrer sur ce qui avait trait à la difficulté de l'enfant, et aux réponses d'exclusion, de marginalisation, de prévention et de "rééducation", de la part de l'école, ou en lien avec elle. Nous pouvions repérer ce qui constituait les principes de ces différentes actions. Il devenait possible, dès lors, de constituer un "corpus" des idées et des pratiques pédagogiques, psychologiques, ou psychanalytiques, dans leurs différents mouvements d'aide envers l'enfant déjà exclu, déjà "en marge", ou en voie de l'être.

Dès lors que les rééducateurs entrent en scène, la question est posée de la manière dont l'institution leur demande de concevoir leur tâche, et de la manière dont ils se situent par rapport à ce "corpus", dont ils le prennent en compte, et l'intègrent à la conception de leur pratique. Nous avons spécifié avoir participé aux balbutiements de la profession de "rééducateur", et, en conséquence, nous nous sommes trouvée impliquée dans cette recherche d'identité professionnelle, et de définition de la pratique. A partir de cette phase de notre recherche, il est fait appel, à un "savoir théorique", dans les différentes dimensions décrites par Gaston MIALARET (1996, In BARBIER, p. 174). Quelles sont-elles?

Cette première partie fait appel à un "savoir théorique institutionnel", constitué de textes de lois. Ces instructions officielles ont insufflé des pratiques. Des théoriciens et des praticiens, ont pris position, au regard de ce "prescrit", et par rapport au contexte social et scolaire, et à l'évolution de ces derniers. Intervient donc, également, un "savoir théorique philosophico-historique". Ce "savoir" est constitué de ‘ "l'accumulation des analyses réflexives, théories, commentaires divers émis non seulement par des éducateurs, des philosophes, mais aussi par beaucoup d'autres spécialistes qui appartiennent aujourd'hui aux sciences de l'éducation..." ’ (MIALARET, id.). Deux autres formes de "savoir théorique" y sont présentes. C'est, en premier lieu, une forme "d'idéologie pédagogique", qui est celle des pédagogues qui ont consacré leurs efforts à lutter contre la marginalisation et l'exclusion de l'enfant. Les rééducateurs se sont inscrits, de par leur place et leur fonction institutionnellement désignées, dans cette mouvance. C'est en rendant compte de cette inscription, et de ces positions rééducatives construites à partir de la confrontation avec la pratique, qu'il est fait appel à un "savoir théorique issu de la pratique", ou "savoir d'action" (MIALARET, ibid., p. 175). Les connaissances, et ‘ "l'interprétation théorique de l'expérience acquise" ’ (ibid.), s'y trouvent intriqués.

Notre implication est double, en conséquence. La première dimension en est celle du chercheur qui tente de faire des liens entre des écrits, des textes officiels, des actes, dans ce qui en est rapporté, et qui cherche ainsi une logique, une cohérence, une connaissance. La deuxième dimension est celle du praticien, qui tente d'articuler, de toutes manières, cette première analyse à sa propre expérience, parce que c'est en définitive ce qui l'a poussé à entreprendre la recherche, c'est sa "motivation". Il ne s'agit donc pas de nier l'implication. Une exigence de rigueur, nécessaire à toute recherche, conduira à tenter de connaître et de définir la part de subjectivité et d'implication. Il ne s'agit pas de nier l'interprétation des faits, des écrits, qui s'éclaire, chaque fois que le besoin s'en fait sentir, et chaque fois que possible, de références théoriques. Ce référent théorique est principalement la théorie psychanalytique. Nous y recherchons principalement, dans cette première partie, ce qui peut nous aider à comprendre les phénomènes d'exclusion, de rejet, de cet enfant, qui se présente avec sa difficulté, comme ce qui peut éclairer les processus en jeu dans une création institutionnelle, et dans la construction d'une identité professionnelle. L'appel à la théorie, comme l'appel à des écrits professionnels, qui émanent d'un "discours de l'ensemble", devraient permettre de limiter, de tempérer, en partie, la subjectivité de cette démarche. Qu'est-ce que ce discours? Nous le reprenons dans le sens que PIERA AULAGNIER (1975, p. 184) donne à cette notion. Pour l'enfant, il s'agit de"l'ensemble de voix ou texte écrit dont le rôle de référent est nécessaire pour (qu'il) se libère de sa dépendance au premier référent: la voix maternelle". Pour un groupe social, il s'agit d'une série minimale d'énoncés, dits encore "énoncés du fondement", qui en constituent l'infrastructure, et lui permettent de se différencier du contexte. Ces énoncés ont le groupe lui-même pour objet. Ils en définissent ‘ "la réalité du monde, la raison d'être du groupe, et l'origine de ses modèles" ’ (id.). Piera AULAGNIER précise que, pour que cette fonction de fondement soit possible, il faut que ce discours soit reçu "comme paroles de certitude"(ibid.).

Nous nous donnons comme objectif d'analyser ce qu'il en était, en 1970, puis en 1990, de ce "discours de l'ensemble" des rééducateurs. Nous devrions pouvoir en dégager deux premiers "modèles" descriptifs de ce qu'il en était de la conception de la pratique, en articulant les directives données par les textes officiels, et ce qu'en ont compris les praticiens et les théoriciens de la rééducation, analysés à partir des écrits professionnels. A quoi correspondent ces deux premiers "modèles" de l'aide rééducative?

Si les Sciences de l'éducation tentent de dégager des ‘ "modèles d'intelligibilité de la chose éducative"(MEIRIEU et DEVELAY, 1992, p. 45), notre objectif est de rendre compte, sous la forme de "modèles" descriptifs, de ce qu'il en était des conceptions et de la pratique rééducative, en 1970, puis en 1990 9 .

Le premier "modèle" 10 reprend les prescriptions succinctes données par le texte de la circulaire de 1970, qui a mis en place les Groupes d'Aide Psycho-Pédagogique. Il tente d'articuler, en regard, ce qu'en ont compris et interprété, d'une part, les Centres de formation qui avaient mission de former ces nouveaux "rééducateurs de l'Education Nationale", ce qu'en ont interprété et transmis les instances hiérarchiques, d'autre part, par la voix de ce qu'en ont entendu et fait, les praticiens, qui est la manière dont nous en avons eu connaissance.

Le deuxième "modèle" 11 reprend les directives données par la circulaire du 9 avril 1990. C'est de ces directives que va naître une nouvelle conception de l'aide rééducative à l'école. Le travail d'élaboration ne fait que commencer pour les praticiens et les chercheurs. C'est la raison pour laquelle, dans un premier temps, nous ne chercherons, ni à le compléter, ni à l'interpréter. Notre intention est de rendre compte, de la manière la plus fidèle possible, de l'état du questionnement des rééducateurs, en 1990, et de la dimension de la tâche qui les attendait.

Notes
9.

Chapitre IV.

10.

ou "Modèle "adaptatif", fonctionnel ou instrumental, par la reprise des apprentissages (Texte de 1970 sur les GAPP."

11.

ou "Modèle" rééducatif (1) (descriptif), élaboré à partir des directives données par la circulaire du 9 avril 1990."