Quelle légitimité et quelle validité pour un "modèle" de la rééducation?

Nous ne perdons pas de vue que la construction d'un "modèle" ne peut être, par nature, que réductrice de la réalité complexe dont ce modèle est issu. Un "modèle" ne retient que les grandes lignes qui ont paru significatives, pour celui qui en rend compte, dans la complexité de la réalité observée et reconstruite. Le modèle apparaît, d'une part, comme une représentation, une synthèse des types de relations entre les composants d'un système, entre les fonctions qui ont pu être mises en évidence, comme une grille possible de lecture, simplifiée, de la réalité, un "modèle réduit", une maquette. Il voudrait, d'autre part, ‘ "représenter la structure sous-jacente, celle qui décrit les influences des composants les uns sur les autres et l'évolution de cette structure."(BERBAUM, 1982, p. 198). A partir des données de l'observation, nous tenterons d'élaborer une représentation organisée, dégageant les liaisons entre composants, les interactions entre l'enfant et le rééducateur, et tentant de mettre en évidence l'évolution du système, constituée de l'évolution du processus rééducatif de l'enfant, comme de son propre changement vers un devenir d'élève. A l'aide du modèle, nous tenterons donc de mettre en évidence les interactions, les modes de communication entre le rééducateur et l'enfant, qui ont permis les "effets" constatés, ou contribué à ceux-ci, puis nous tenterons de comprendre ce qui a pu se passer, affinant ainsi, peu à peu, le "modèle". ‘ "Le processus de modélisation se déroule dans deux champs distincts: un champ théorique qui est celui de la formalisation et de la conceptualisation, et un champ empirique qui est celui de l'observation. C'est à travers un véritable va et vient d'un champ à l'autre que le modélisateur va faire son travail: il procède en effet par approches successives, alternant observations et formalisations en vue de forger peu à peu le meilleur modèle possible pour le but qu'il recherche." ’(DURAND, 1979, p. 56). Nous proposons, ainsi, plusieurs "modèles" successifs, qui tentent d'affiner progressivement notre connaissance et notre compréhension de la réalité rééducative observée et reconstruite.

D'autre part, nous devons poser d'emblée la question de la légitimité d'un "modèle rééducatif", parce qu'elle détermine la possibilité même de notre démarche dans cette recherche. Interrogé à ce sujet à Valence, Yves de LA MONNERAYE (1994) exprimait son désaccord sur la construction d'un modèle ‘ "trop parfait": "...il serait évidemment tout à fait catastrophique que l'on arrive à construire un modèle de rééducation aussi parfait que possible, une identité du rééducateur aussi transparente que l'on peut souhaiter parce que l'on oublierait alors que chaque rééducateur aussi est un sujet. Et le premier acte du sujet est de refaire pour lui la synthèse du monde..."(p. 25).

Il est, sans aucun doute, DES rééducations, comme il est DES praticiens. Nous avons évoqué, cependant, les raisons pour lesquelles un praticien ne peut "résoudre pour son propre compte" et "provisoirement", la définition de son identité et la conception de sa pratique, comme le suggère cet auteur. Les craintes qu'exprime Yves de LA MONNERAYE sont fondées, si l'on ne clarifie pas suffisamment quelle modélisation est recherchée. Construire un modèle prescriptif pour l'action, correspondrait en effet à vouloir enfermer le professionnel dans le carcan de règles rigides, pour une intervention caractérisée par la fermeture, par l'application de "recettes", et non plus par les processus créatifs, que ceux-ci proviennent de l'enfant ou du rééducateur. La rencontre clinique, afin de conserver ses caractéristiques de "rencontre", afin de garantir toute la qualité de l'écoute de l'adulte vis à vis de cet enfant qui est là, afin de respecter l'énigme que cet enfant présente avec sa difficulté, ne peut et ne doit pas entrer dans des prescriptions. L'avantage de textes officiels peu directifs, comme ceux des circulaires de 1970 et de 1990, est de préserver toute l'initiative et la responsabilité du professionnel. Nous soulignions cependant, dans notre introduction, combien le praticien éprouve le besoin de repères, combien il doit pouvoir disposer de lignes générales pensées par l'ensemble, pour y référer son action. Une représentation sous la forme d'un modèle, si celui-ci n'est pas prescriptif, mais compréhensif, peut constituer un repérage utile au praticien qui cherche à se définir, et qui est assigné sans cesse à le faire.

Le rééducateur a besoin de repères, la rééducation a besoin de se constituer sous la forme d'une praxis explicitée. On n'invente pas à partir de rien.Il devrait être possible de rendre compte des directions générales de cette praxis, d'en repérer des effets suffisamment répétés chez un nombre suffisant d'enfants pour qu'ils puissent être considérés comme liés à cette intervention. La construction d'une représentation synthétique peut être une base de réflexion, d'analyse et d'échanges. Elle peut contribuer à une meilleure connaissance de la rééducation. En ce sens, construire un modèle est légitime. La mise en évidence de la cohérence éventuelle de la praxis que représente ce modèle, la pertinence de ses propositions au regard des besoins repérés de l'enfant en difficulté à l'école, auquel cette rééducation aura été proposée, devrait en vérifier la validité, ou non. Quant à la validité du modèle lui-même, ce sera aux praticiens de la juger, dans la mesure où ils reconnaissent, ou non, quelque chose de leur propre pratique, dans la mesure où ils estiment utile, ou non, cette élaboration pour leur propre repérage professionnel.

Le praticien est libre de s'inscrire, ou non, dans une praxis ainsi conçue et représentée. Il est libre de ne pas y reconnaître sa pratique. Il est libre d'en inventer une autre. Il est libre de ses référents théoriques, de ses stratégies et de ses méthodes, dans la marge qui lui est laissée, dans la mesure où il s'inscrit dans les directives des textes officiels. Mais, pour pouvoir réellement être "libre", il faut être en mesure d'avoir pu effectuer des choix. Pour être en mesure d'effectuer des choix, il faut connaître. Le rééducateur ne procédera pas autrement, lorsqu'il permettra à l'enfant de connaître les propositions qui lui sont faites, avant de pouvoir choisir d'être aidé en rééducation, ou non.

La rencontre avec un enfant, est toujours singulière. Le praticien y est seul, et doit laisser de côté, oublier pour un temps, celui de la séance, une grande partie de son "arsenal" théorique ou pratique, pour pouvoir entendre l'enfant, dans ce qu'il apporte et laisse entendre de son énigme. Comment s'assurer que cette subjectivité ne l'entraîne pas trop loin? Comment peut-il se donner à lui-même les "garde-fous" dont il ressent si souvent le besoin, lorsqu'il s'interroge sur ce qui se passe pour l'enfant? Comment trouver "la bonne distance"? Un paradigme clinique suppose l'implication du sujet. Nous avons souligné cette implication, à tous les niveaux de cette recherche. A quelles conditions la démarche clinique d'une recherche peut-elle être rigoureuse? ‘ "Soit on lui reprochera toujours d'être partial...Soit on fait de cette implication la base même de la production de son savoir."(CIFALI, 1994, p. 290). Elle peut prétendre à une certaine rigueur, quand elle prend en compte l'implication du sujet "praticien-chercheur" dans sa recherche. ‘ "Ici prennent place les phénomènes projectifs, identificatoires, transférentiels, dans leur complexité et leurs infléchissements...rien n'est fortuit, ou de peu d'importance: le sujet de la recherche, le sujet qui fait la recherche, les sujets concernés, les stratégies" ’ (REVAULT D'ALLONNES et al., 1989, p. 32). ‘ "Armés/désarmés...il n'y a de démarche clinique qu'à ce prix et dans cette contradiction assumée." ’ (id.).

Quels différents moyens avons-nous utilisés pour analyser notre transfert et notre implication?