Des filtres se mettent en place puisque la représentation est reconstruction. ‘ "Connaître consiste à construire ou à reconstruire l'objet de la connaissance, de façon à saisir le mécanisme de cette construction." ’(PIAGET, 1975, p. 441 ). Reprenant des propos de FREUD (1915, p. 11), nous nous trouvons contraints de reconnaître que ‘ "dans la description, déjà, on ne peut éviter d'appliquer au matériel certaines idées abstraites que l'on puise ici ou là et certainement pas dans la seule expérience actuelle." ’
Il paraît indispensable de se donner les moyens d'effectuer une prise de distance à l'égard de l'observation qui, dans ses diverses formes, est à la base de nos outils de recueil d'informations. MUCCHIELLI précise: ‘ "La perception humaine ...est une sélection, un décodage, une reconstruction, où interviennent des limitations qualitatives et quantitatives, la mémoire, l'habitude, et chez l'homme, l'imaginaire sans parler de la structuration de l'espace et du temps " ’ (1974, p. 7). Cette sélection, ce décodage, cette reconstruction du réel, entraînent donc des erreurs et déformations systématiques. L'observateur fait appel à sa mémoire, à ses habitudes, à son imaginaire. L'observation est forcément partielle, liée aux facultés d'attention de l'observateur, à la localisation dans l'espace et le temps de ce dernier, dont le champ d'observation est limité. Les "attitudes pré-perceptives" influencent la perception par ‘ "des orientations et des dispositions mentales dans lesquelles se trouve l'observateur au moment de l'observation, par rapport à ce qu'il va ou doit percevoir" ’ (MUCCHIELLI, 1974, p. 16). ‘ "...Les attitudes pré-perceptives sensibilisent aux stimuli attendus, en abaissant le seuil perceptif. Elles peuvent aussi déformer la perception dans le sens d'un schéma pré-perceptif, modifier la perception de la forme, de la taille, de l'importance "objective" des données." ’ (id., p. 17).
Des erreurs sont donc inévitables, quelle que soit la bonne volonté de l'observateur: erreurs de centration, contrastes, assimilation, ancrage, effet de halo... (MUCCHIELLI, 1974, p.8). En quoi consistent ces erreurs? Rappelons-les brièvement, afin de les avoir à l'esprit, lorsque nous ferons nos propres observations cliniques.
Cette catégorisation spontanée est une opération naturelle de l'intelligence qui s'exerce sur la réalité "dans son effort naturel d'analyse de contenu des informations offertes." (ibid., p. 9).
L'appartenance sociale et socio-économique de l'observateur joue incontestablement un rôle sur son observation‘ ." Percevoir c'est catégoriser et découper le réel selon un code en grande partie social." ’ (MUCCHIELLI, 1974, p. 10). De même, et pour confirmer tout ceci, cet auteur ajoute: ‘ "Un rapport d'observation renseigne tout autant sur la personnalité de l'observateur que sur l'objet de son observation" ’.(id., p. 11). M.CENAC 25 , cité par MUCCHIELLI (ibid, p 11), va encore plus loin: ‘ "Il n'y a qu'une différence de degré entre les conditions de la perception dite normale et les conditions d'un test projectif" ’ .
De quelle manière la personnalité même de l'observateur intervient-elle dans l'observation ? Nous évoquerons la notion "d'équation personnelle de l'observateur", selon l'expression de R. MUCCHIELLI, selon laquelle chacun présenterait "un type d'erreurs" qui lui est propre. Son style perceptif: descripteur (minutieux, sec), évaluatif (tendance à juger, estimer, interpréter), érudit (appel à des théories...), imaginatif et poétique (laisse libre cours à son imagination en négligeant les données), sa tendance "nivelante" (un peu réductrice) qui s'en tient à sa perception actuelle, ou "accentuante" (risque de mêler souvenirs et perceptions actuelles dans son appréhension du réel), sa capacité à articuler le champ d'observation (saisie des rapports entre les données plutôt que les données elles-mêmes ), tout ceci entrerait en jeu dans l'équation personnelle de l'observateur, ainsi que les phénomènes de projection et d'interprétation . MUCCHIELLI, encore, cite les travaux de Léon FESTINGER 26 et la théorie de "la dissonance cognitive" par laquelle celui-ci montre que l'ensemble grâce auquel nous décodons l'information forme " "un système" qui intervient comme un filtre, un sélecteur et un transformateur des informations. ‘ "La résistance propre de ce système à la dissonance, fait que nous nous exposons de préférence aux informations confirmant nos idées et que nous ignorons les informations contrariantes. Dans le cas où l'information contraire est inévitable, le "système " réagit économiquement pour l'intégrer avec le minimum de variation de son équilibre interne." ’ (MUCCHIELI, 1974, p 17)
Dans la rencontre clinique, le praticien choisit, décide, met en place des stratégies qui lui sont personnelles, donc subjectives. Ses propres filtres, une certaine conception de ce que doit être sa pratique, une conception de l'éducation, de la vie, une conception de l'homme, donc une éthique et un choix de valeurs, de finalités, sont obligatoirement présents au moment même de l'action et orientent celle-ci à tous les niveaux, dans le style de communication, de relations, dans les interactions avec l'enfant, avec les différents partenaires, dans le choix des objectifs, dans les décisions de tous les instants, dans les réactions et réponses à l'enfant, au contexte, dans la conduite même de l'action et du processus rééducatif. Sans ces choix, cependant, il n'y aurait plus d'action possible. C'est la condition de toute praxis. Il est évident que ces choix au niveau de l'action se répercutent sur l'observation de l'acteur devenu observateur de sa propre action et tendent à renforcer les distorsions de celle-ci. Il sera donc nécessaire à cet acteur-observateur d'être doublement vigilant.
CENAC M. (1951). Médecine légale: le témoignage, sa valeur juridique. In Actes du congrès des médecins aliénistes et neurologistes. ed. Masson.
FESTINGER L. et KATZ D. (1963). Les méthodes de recherche dans les Sciences Sociales. PUF, 2 vol.