L'observateur-acteur construit son objet au niveau de l'analyse, de l'interprétation de l'observation: les cadres et modèles de référence, les présupposés théoriques de l'observateur.

La représentation de la réalité que se construit l'observateur, interfère non seulement dans la lecture de cette réalité et les démarches adoptées en vue de cette lecture, mais aussi dans son analyse, son interprétation, sa compréhension. Nous n'oublierons pas que le choix d'un paradigme de recherche quel qu'il soit, qui nous a semblé pertinent pour accéder à la représentation ordonnée de la réalité sous forme de modèle, n'est qu'un choix subjectif parmi d'autres. ‘ "Il ne peut y avoir de saisie de la réalité, sans qu'intervienne une conception initiale ’ ‘ , avance Jean BERBAUM (1982, p. 64) ’ ‘ , c'est à dire en fait, un ensemble de données théoriques, conscientes ou simplement intériorisées, par suite de la présence d'un contexte de vie donné. C'est donc bien à la fois la prise en compte d'un champ théorique et d'un champ empirique qui aboutit à la construction d'un modèle." ’.

Joël de ROSNAY 27 rappelle que dans toute étude d'un système, il s'agit de concilier la nécessité de tenir compte de l'objet (expression d'un réalisme), et de la conception de l'observateur (expression d'un idéalisme) sans se laisser enfermer dans l'un ou l'autre. Sinon, l'interprétation des données du réel est liée à un décodage de ces données en fonction d'un cadre de référence auquel on adhère: "un contexte référentiel", qui interdit pratiquement, par définition, toute dissonance mettant en cause le modèle. Ce cadre de référence est constitué par son éthique, sa formation personnelle, son expérience personnelle et professionnelle, les lectures, les recherches antérieures. Jean BERBAUM (1982), comme de nombreux auteurs, s'appuyant sur l'affirmation que toute observation suppose une reconstruction, en affirmant qu'un modèle théorique référent pré-existe toujours à l'observation, du fait même de l'observateur et de ses conceptions théoriques de départ (ou présupposés), insiste de ce fait sur la nécessité pour tout observateur de définir, expliciter ceux-ci.

Les convictions de "l'auteur-acteur-interlocuteur-observateur" entrent en jeu comme filtres, non seulement de ses observations, mais aussi sur l'interprétation de la "réalité" observée. Des expériences plus ou moins heureuses, satisfaisantes, le souvenir d'obstacles insurmontés, la satisfaction de constater, pour le praticien, l'effet positif chez l'enfant de ce qui a été vécu dans le processus rééducatif, viennent interférer avec la situation vécue ici et maintenant avec l'enfant et relatée dans l'après-coup des séances.

Ainsi, quelle que soit l'étape de cette recherche, une nécessité de repérage par rapport à soi-même, par rapport aux informations recueillies, y compris "historiques", mais vues par le regard d'un praticien d'aujourd'hui, la nécessité de clarification, conduit à expliciter ses présupposés théoriques, dans les trois dimensions de l'observation de la réalité du contexte, dans celle de la préparation et de la mise en œuvre de la pratique, dans celle de son observation et de son analyse. C'est ce que nous nous efforcerons de faire dans les différentes mises en visibilité de la praxis rééducative. La relation avec un enfant qui met l'adulte en difficulté, met en jeu des émotions et des interrogations. C'est ce qui fait qu'une rencontre est vivante et susceptible de générer dynamisme et changement. Nous pensons que le rééducateur doit disposer pour l'aider dans la lecture de sa pratique, et dans la prise de distance nécessaire vis à vis de le relation dans laquelle il se trouve obligatoirement "pris", des lieux d'échanges "tiers". Nous en avons cité plusieurs possibilités. Ce sont celles auxquelles nous avons eu recours, pour notre propre compte. Le recours à l'écriture, que nous avons cité également, est une autre voie pour ce nécessaire dégagement et cette analyse distanciée. Dans l'analyse de ce que l'enfant dit et joue en séance, nous avons tenté de préserver l'ouverture à diverses "lectures" de cette réalité, en proposant, la plupart du temps, plusieurs hypothèses de compréhension, de cette "réalité". Même si le "cadre référentiel" proposé demeure celui de la théorie psychanalytique, ces diverses interprétations possibles, qui n'ont pas pour autant été données à l'enfant, constituent, nous semble-t-il, une "garantie" contre l'enfermement dans une seule lecture subjective. Tout ce qui a été rapporté ici des diverses rencontres cliniques, n'a pu être soumis aux regards pluriels d'un groupe de contrôle, ou de l'équipe du réseau. C'est pourtant, nous semble-t-il, l'habituelle pratique de tels échanges, qui constitue une instance de formation pour le praticien. En intériorisant progressivement cette attitude de questionnement, il recherche, peu à peu, systématiquement, face à une situation clinique, plusieurs sens possibles, et apprend à ne plus se contenter d'une seule hypothèse. C'est ce dont nous nous sommes efforcée de rendre compte, en soumettant au lecteur diverses interprétations de la réalité, qui furent les nôtres. Nous les introduisons, en général, par: "Je pense que...", tout en précisant que nos hypothèses restent les nôtres, sont des repères éventuels dans la compréhension de la situation, et ne sont pas communiquées à l'enfant. La théorie de référence, quant à elle, est une source de repérages, un "garde-fou" de la pratique. C'est aussi une obligation de questionnement. ‘ "Dans l'orientation clinique, ’ ‘ avance Mireille CIFALI (1996, In PAQUAY, p. 125) ’ ‘ , chacun aurait également à savoir les limites des sciences humaines par rapport à l'action, non pas guide infaillible d'une pratique, mais repère pour un questionnement constant du vivant des situations. Cela exige le deuil d'une maîtrise rationnelle, le renoncement à une totalisation, et l'abandon d'une compréhension définitive."

Notes
27.

Joël de ROSNAY (1975). Le macroscope. Vers une version globale. Seuil coll. Points, 346 p.