1-3-3- La troisième préoccupation de cette période: l'éducation et l'instruction des enfants.

"L'enfant". Une alternative: les châtiments ou la force de l'exemple. L'instruction des enfants, en France. Un rêve d'universalité pour l'école.

Quelle conception se fait-on de "l'enfant"? La Révolution n'a pas changé radicalement les idées concernant l'enfant. La "Déclaration des droits de l'homme et du citoyen", du 26 août 1789 affirme, entre autres, que tout sujet de droit est inaliénable. Mais l'enfant, ou infans, étant étymologiquement "celui qui ne parle pas encore", n'est pas considéré comme un sujet de droit, pas plus que l'aliéné lui-même, c'est-à-dire le fou, ou le "sauvage". Du latin alienare (rendre autre, rendre étranger), l'aliénation insiste sur le caractère étranger, énigmatique, de celui à qui on ne peut par conséquent donner la parole, ou de celui qui peut devenir la propriété d'un autre, deuxième sens du mot "aliéner". Jean Jacques ROUSSEAU avait été à l'initiative du "mythe du bon sauvage" que seule la société pervertit. Une assimilation persistante va se faire entre l'enfant, et une représentation que les hommes de l'époque se font du "sauvage". Il apparaît cependant que ce n'est pas la "bonne image" du "sauvage" de ROUSSEAU qui domine, puisque cet enfant, assimilé à "un sauvage", il va falloir le "civiliser" ou "l'éduquer", en en extirpant les mauvais penchants.

La conception linéaire du développement qui irait du "sauvage" à l'homme civilisé, du mauvais au bien, de l'inculte à la connaissance, explique bien des attitudes éducatives autoritaires et coercitives que nous verrons apparaître ici ou là, et pendant de longues années. La littérature cependant met en scène l'enfant "innocent", victime des pouvoirs politiques, de la société, des adultes, des établissements charitables dans lesquels il est placé 34 .

Parallèlement à cet intérêt naissant pour l'enfant, se développe une réflexion sur les problèmes de l'éducation. Une littérature destinée aux enfants est créée. La finalité de ces parutions est d'abord moralisatrice. Le texte est utilisé comme on utilise un fouet. Il s’agit d’éduquer par la peur du châtiment, afin de redresser les mauvais instincts qui sont en l'enfant.

Cependant, si l'enfant est un galopin dont seule une éducation sévère peut extirper les mauvais penchants, d'autres représentations commencent à apparaître. On commence à penser dans le même temps que l'exemple d'êtres bons, et l'affection du milieu familial, peuvent être éducatifs, peuvent contribuer à la socialisation, à la lente maturation qu'est l'éducation d'un enfant 35 . On voit poindre la reconnaissance de l'importance du climat affectif dans le développement de l'enfant, ainsi que les prémices de ce que l'on nommera plus tard les processus d'identification, processus fondamentaux dans la construction psychique de l'enfant. Certains, comme Lewis CAROLL, tentent de donner la parole à "l'infans". En 1865, paraît "Alice au pays des merveilles", voyage initiatique, transposition sous forme de rêve, de questions fondamentales de l'enfance. Est-ce une première approche de ce que sera une psychologie de l'enfant?

Qu'en est-il de leur instruction?

La Révolution de 1789 rêvait d'une instruction populaire, nationale, égalitaire, neutre et généralisée qui formerait des citoyens libres et égaux. Elle avait tenté à plusieurs reprises d'établir le principe d'un enseignement populaire, laïque, gratuit, sous l'impulsion de LA CHALOTAIS, DANTON, puis TALLEYRAND. Le droit à l'éducation populaire et nationale avait été réclamé dans les Cahiers des Etats Généraux: ‘ "Les enfants de l'Etat, doivent être élevés par des membres de l'Etat. "(LA CHALOTAIS). CONDORCET en 1792 y ajoutait l'idée de neutralité, déniant toute ingérence politique ou religieuse dans l'instruction publique, l'avènement de citoyens libres et égaux devant passer par leur instruction. DANTON ira jusqu'à affirmer: ‘ "Ne regardez pas trop à la dépense; après le pain, l'instruction est le premier besoin du peuple!". Mais rien ne put être réalisé, faute de temps, de moyens financiers et de maîtres formés.

De 1830 à 1882, l'évolution de l'école se fait surtout en faveur des jeunes enfants pauvres dont les mères travaillent. Depuis 1825, s'inspirant de l'initiative du pasteur OBERLIN réalisée en 1770, des salles d'asile se sont multipliées à Paris. Ce sont des établissements dits "charitables", administrés par le Comité des hospices. En 1865, beaucoup d'enfants ne fréquentent encore aucune école.Victor DURUY en 1867 réclame l'obligation et la gratuité scolaire.On sait qu'il obtint seulement la création d'une "caisse des écoles" pour faciliter la fréquentation de l'école par les enfants pauvres, et l'obligation pour toute commune de plus de 500 habitants d'avoir au moins une école de filles.

Friedrich FROBEL (1782-1852), pédagogue allemand, disciple de ROUSSEAU et de PESTALOZZI, créé en 1837 une école pour les petits, à Blankenburg en Thuringe, le "Kindengarten" ou "Jardin d'enfants". Il plaide, en particulier, en faveur d'un statut du jeu comme éducatif. Il insiste sur la relation adulte-enfant dans le jeu. L'élève doit prendre conscience, et faire confiance, en ses propres capacités, et dans celles des autres.

Notes
34.

En 1838, DICKENS publie Les aventures d'Oliver Twist. Sont dénoncés là pour la première fois les injustices et mauvais traitements dont sont victimes les enfants orphelins dans les institutions charitables. Le suédois ANDERSEN (1835-1872), élève sa voix lui aussi en faveur des enfants indigents lorsqu'il écrit le conte "La petite marchande d'allumettes".

35.

C'est dans cet esprit que la Comtesse de SEGUR écrit en 1858 "Les petites filles modèles" puis en 1864, Les malheurs de Sophie. En ce qui concerne la littérature enfantine, ou en faveur des enfants, du dix-neuvième siècle, en dehors des écrits eux-mêmes qui ont nourri l'enfance de nombreuses générations, un document nous a été précieux. Il s'agit d'un article de Michel HANSEN (1989), L'enfant dans la littérature du XIX ème siècle, paru dans Textes et documents pour la classe, CNDP, n° 514 du 12 avril 1989.