Chapitre III
L'école en crise, et à la recherche de solutions.
Exclusion(s), errance, tâtonnements, création. "L'identité reçue des géniteurs". Genèse et naissance de la rééducation.

Pour répondre à la question: ‘ "Par quelles voies l'école va-t-elle être amenée à instituer la rééducation en son sein?", nous avons constaté qu'il nous fallait aller chercher, en premier lieu, du côté de la difficulté de l'enfant. Rechercher ensuite du côté des réponses apportées à cette difficulté, qu'elle soit scolaire ou non, donnait des directions, des pistes de réponses possibles, que ces pratiques et leur théorisation soient elles-mêmes intérieures à l'école, ou extérieures.

Quel est le contexte scolaire entre 1945 et les années 1960-1970, période de création de la fonction des rééducateurs de l'Education nationale? Comment appréhende-t-on la difficulté de l'enfant? Quels choix va faire l'école? Quels vont en être les effets? Que devient l'aide dite, à présent, "spécialisée"?

Une nécessaire réforme de l'école?

Qu'en est-il de l'évolution des institutions scolaires entre 1945 et les années 1960-70, date de l'apparition des premiers "rééducateurs" de l'Education Nationale?

Une forte expansion démographique, la nécessité de spécialisation accrue de la main d'oeuvre, l'échec scolaire grandissant, conduisent à vouloir réformer le système scolaire. Après 1945, la fréquentation des collèges et des lycées est en très nette progression. La scolarisation obligatoire connaîtra une nouvelle extension, puisqu'en 1959, une loi prévoit, à partir de 1967, la mise en application de la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans. Des analyses soulignent la ‘ "véritable lame de fond de l'évolution de la société française" 53 , qui a pris son origine en 1945. L'expansion technologique et économique des années de l'après-guerre, l'accroissement de la population, font que l'école accueille plus d'enfants, et doit les préparer à un monde industriel en pleine transformation. Ce dernier réclame une main d'oeuvre importante et de mieux en mieux formée. Les nécessités socio-économiques, une nouvelle fois, déterminent des urgences au niveau du système scolaire.

La Constitution du 27 octobre 1946 stipule: ‘ "La nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat." ’ La devise de l'école devient: "L'égalité des chances".

La problématique de l'échec scolaire devient l'enjeu de nombreux débats. L'école de 1945 n'est plus adaptée et connaît des situations en impasse face au développement considérable de ce phénomène. Un mouvement d'expulsion des élèves, du centre du système vers sa périphérie, s'intensifie. Un profond changement, une mutation du système éducatif, face à un public scolaire hétérogène, apparaît indispensable. Il s'avère urgent de renouveler l'approche pédagogique des élèves et de leurs difficultés. Le ministère de l'Education Nationale, conscient du problème, confie à une commission d'études la charge ‘ "d'une large enquête sur les problèmes relatifs à la réforme de l'Enseignement" 54 (p. 11).Ce sont Paul LANGEVIN, professeur au Collège de France, Président de la Société française de Pédagogie, et le psychologue Henri WALLON, qui en sont responsables. Le projet qui en résulta fut communiqué le 14 décembre 1944.

Les propositions de Messieurs LANGEVIN et WALLON réaffirment les principes démocratiques de l'école de Jules FERRY: "Tous les enfants, quelles que soient leurs origines familiales, sociales, ethniques, ont un droit égal au développement maximum que leur personnalité comporte." (1962, p. 17-18).

  • La pédagogie doit se fonder sur les connaissances nouvelles apportées par la psychologie, et doit prendre en compte chaque enfant dans ses caractéristiques. ‘ "L'éducation...prendra pour base la connaissance de la psychologie des jeunes, l'étude objective de chaque individualité." ’ (id. p. 18).
  • L'obligation scolaire devrait être prolongée jusqu'à dix-huit ans.
  • Il est nécessaire de revaloriser les professions techniques et manuelles.
  • La scolarité serait organisée en trois périodes:
    • un 1er cycle (de 3 à 11 ans): acquisition des techniques de base.
    • un 2ème cycle (de 11 à 15 ans); période d'orientation.
    • un 3ème cycle (de 15 à 18 ans); période de détermination.
  • Dans ses principes généraux, il s'agit pour l'enseignement:
    • "d'assurer aux aptitudes de chacun tout le développement dont elles sont susceptibles;
    • de préparer l'enfant aux tâches professionnelles qui lui sont le plus accessibles et où il pourra le mieux servir la collectivité;
    • d'élever le plus possible le niveau culturel de la nation." (id., p. 24).
  • Les méthodes pédagogiques devront tenir compte de la diversité des enfants enseignés, même dans les périodes où les contenus à enseigner sont semblables.

Les idées émises par le Plan LANGEVIN-WALLON, ne seront jamais mises en application.

L'Ecole se trouve au croisement d'un foisonnement d'idées qui préparent celles d'aujourd'hui. Des logiques quelquefois antagonistes s'opposent autour de la question de l'échec scolaire. Ces logiques tirent les conceptions de l'échec, et celles de l'aide, soit, vers le médical, soit, vers le pédagogique, soit encore, vers le psychologique.

Notes
53.

Nous empruntons cette expression à Philippe MEIRIEU et Michel DEVELAY (1992, p. 70).

54.

Arrêté, extrait du Journal Officiel du 10-11-1944. Le Plan LANGEVIN-WALLON, n'a pas été diffusé dans sa totalité, ni par le ministère en place, ni par les suivants. Il n'a été édité pour la première fois qu'en 1960 par l'Union Française Universitaire. La revue "L'école et la nation" l'a réédité en 1962, préfacé par Georges COGNIOT, dans le supplément au numéro 111 de cette revue (80 pages). C'est sur cette édition que nous prenons nos références.