2-2- Des filières étanches.

Les classes de perfectionnement, en élargissant peu à peu les critères de leur recrutement, se sont avérées constituer une filière parallèle et quasiment étanche à la voie de la scolarité "ordinaire". S'y voient relégués et réunis, dans une grande hétérogénéité, nombre d'exclus de l'école. Les raisons en sont des capacités intellectuelles insuffisantes aux tests, ou des difficultés caractérielles, ou encore comportementales, les limites de la "normalité" se resserrant comme un étau, autour de celui qui ne paraît pas "adapté". Ne peut-on pas y voir recréé, d'une certaine manière, et à l'échelle de l'école, s'assortissant à un processus d'exclusion massif, un phénomène un peu similaire à celui qui s'était exercé au XVII ème siècle à l'égard de tous les marginaux de la société, lorsqu'une exclusion sociale avait été suivie d'un "grand renfermement" ou relégation dans le cadre de l'hôpital?

Les classes de perfectionnement semblent avoir joué, comme prototype de toutes les classes spéciales, d'une certaine manière, et pendant de nombreuses années, le rôle de "l'hôpital de l'école", accueillant les marginaux et blessés du système, sans grande distinction entre eux de ce qui avait pu les conduire à l'échec scolaire?

Les tests avaient conduit à catégoriser l'enfant comme arriéré, ou comme débile, selon la terminologie de la période considérée. C'était le marquer d'un déterminisme dont il aura bien des difficultés à sortir. Ce déterminisme est biologique, et aucun soin n'est même envisageable, puisque son arriération est inscrite dans le corps. Ce déterminisme est social, puisque l'orientation de l'enfant dans un circuit parallèle revient dans les faits à une orientation professionnelle extrêmement restreinte. Ce déterminisme est psychique. L'enfant a entendu dire qu'il EST débile. D'ailleurs, s'il ne l'était pas vraiment, par le processus des attentes et de l'effet Pygmalion" 70 , il le deviendra, afin d'être conforme à la représentation que l'on a forgé de lui.

Un constat s'imposait: le destin de certains enfants était quasiment joué dès les premiers échecs au Cours Préparatoire. L'admission en classe de perfectionnement, suivi quasiment automatiquement d'une admission en Section d'Enseignement Spécialisé de Collège, parcours qui ne parvenait pas toujours à déboucher, malgré les intentions affichées, sur un CAP professionnel, était un enfermement inéluctable de l'enfant, puis de l'adolescent, dans un cloisonnement étanche, sans lien avec les autres branches de l'enseignement. Certains enfants y entreront au CP pour en ressortir au collège, suivant en cela une filière dont l'aboutissement sera déterminé par l'évolution de la fin de la scolarité obligatoire. L'exclusion le désigne comme en échec aux yeux de sa famille, de ses copains, des autres élèves de l'école, à ses propres yeux: "il est débile, anormal, etc..." La classe de perfectionnement est quelquefois désignée par les élèves comme "la classe des dingues", assimilant folie et handicap intellectuel. Eux-mêmes intégreront très vite la stigmatisation que représente aux yeux des autres, le fait "d'être des perf", comme ils se nomment eux-mêmes, intériorisant et assimilant la structure à leur personne. On dénoncera ces déterminismes, non sans mal.

Notes
70.

Selon l'expression de Robert A ROSENTHAL et Lenore JACOBSON (1968) Pygmalion à l'école. Casterman, coll. "Orientations/E3", 5 ème ed. 1983, 293 p.