Autour des années 1960-1970, des sociologues et des psychosociologues s'intéressent plus particulièrement aux questions de l'éducation et de l'échec scolaire. Le système scolaire en place obéit-il à une logique d'oppositions duelles fondée sur le déterminisme et la sélection sociale? Le pédagogue doit-il constater son impuissance face à une "machine" sociale sur laquelle il n'a aucun pouvoir, de sa place de pédagogue?
Le livre "Les Héritiers", de BOURDIEU et PASSERON, en 1964, aura l'effet d'une bombe dans le milieu éducatif, et les remous causés par ces écrits laisseront des traces durables. La culture marxiste de ces deux sociologues, les conduit à étudier le caractère symbolique des rapports de force entre les classes sociales. Ils se réfèrent d'autre part à Emile DURKHEIM (1858-1917), qui s'était intéressé à l'intériorisation des rapports sociaux par les individus, et à Max WEBER (1864-1920), qui avait étudié en particulier les modalités de relation de puissance d'un agent sur un autre. Leur réflexion, dans "La Reproduction", a pour point de départ l'échec scolaire. Le mouvement de mai 1968 cristallisera des débats déjà ouverts: les facteurs sociaux sont appréhendés comme facteurs déterminants, dans la genèse de l'échec scolaire.
Avant l'entrée en scène des sociologues, et depuis la mise en place des lois instituant l'obligation scolaire, tout échec scolaire était plutôt référé à une cause individuelle attachée à celui qui était en échec: justification de l'échec par un manque de "dons", par la "paresse", ou l'incapacité"; tous ces facteurs personnels entraînant avec eux leur cortège de culpabilité. Les sociologues mettent en évidence, par des études statistiques, l'importance des facteurs sociaux et culturels dans le "terrain individuel" qui est celui de chaque enfant dès avant son entrée à l'école. L'importance de la maîtrise de la langue, outil privilégié de la pensée et de la culture scolaire; est soulignée. Ils insistent sur l'importance des attentes des parents vis à vis du devenir scolaire de leur enfant, attente transmise et intériorisée par l'enfant lui-même. Cette dimension dans la réussite ou l'échec scolaire de l'enfant, a été confirmée depuis, à maintes reprises. L'importance de l'écart entre les "habitus" 78 familiaux et scolaires, qui placent l'enfant dans une situation de facilité ou de difficulté quasiment irréductible pour acquérir le nouveau langage qui est celui de l'école, écart qui peut être source d'une très grande souffrance chez l'enfant, est mise en évidence, par les sociologues. ‘ "L'école est présentée comme sélective et sélectionniste", conduisant à "reproduire les structures sociales en condamnant à l'échec les enfants issus de milieux socioculturels modestes, rendus incapables de réussir scolairement." ’ (Guy AVANZINI 1972) 79 .
Dans les années 1970, le système des filières scolaires, instituant des "voies royales" ou des voies sans issue", confirmerait un système social organisé selon deux mécanismes opposés et complémentaires: bourgeois ou ouvriers et employés; réussite ou échec; diplômes ou aucune qualification. La sélection est reportée à un niveau supérieur que tous n'atteignent pas.
Dans le même courant de pensée, deux autres sociologues, Christian BAUDELOT et Roger ESTABLET (1971), ont sensiblement la même approche de l'échec scolaire. Ils dénoncent l'effet de division de l'école, un mécanisme de clivage prenant son origine dans la différence de départ entre les enfants, dans l'inégalité liée aux classes sociales, et soulignent l'inégalité entretenue par le système scolaire lui-même. L'école primaire joue tout particulièrement un rôle de sélection. Le dualisme du système en place est également mis en accusation par ces deux auteurs: au bon élève s'oppose le mauvais élève, au débile, à l'anormal, au déficient s'oppose celui qui est doué, au bon lecteur s'oppose le dyslexique...Cependant, ils pensent que les contradictions sont en même temps, inévitables, et normales, dans le système.
Nier les différences, ou les difficultés, ne permet pas plus d'avancer, ni d'aider l'enfant en difficulté, que de conclure, comme trop souvent à la suite de la diffusion des travaux de ces sociologues, que "rien n'est possible...vu le milieu socioculturel de sa famille...", parole trop souvent entendue dans les milieux de l'aide, comme dans le milieu scolaire. C'est se justifier peut-être à bon compte de son propre échec, ou de l'impuissance imaginaire ressentie, que de se réfugier derrière de tels arguments.
Par quelles voies cette école pourrait-elle éviter, ou du moins, réduire, ces biais? L'institution doit être au service de l'homme et non l'inverse; sinon, il vaut mieux l'éradiquer, affirme Ivan ILLITCH 80 , face à l'échec de l'école. Cette proposition a provoqué de vives réactions par la position radicale qu'elle soutenait. Beaucoup se sont retranchés derrière le fait "qu'il n'était même pas pédagogue"... Plutôt que de remettre en question l'école, on se tournera, à nouveau, vers une explication de la difficulté qui, en se centrant sur l'enfant, se réfère à un registre "scientifique".
l'habitus est l'ensemble des comportements acquis et caractéristiques d'un groupe social, qui deviennent inconscients. C'est un principe générateur et unificateur des conduites et des opinions.
Habitus primaire : caractéristiques de l'individu dues à la première enfance au sein de la famille (acquisition de la langue maternelle, manipulation des termes et des relations de parenté, dispositions logiques...Premières relations avec la mère, modèle de relation avec l'autre. (d'après BOURDIEU et PASSERON, 1970).
Guy AVANZINI (1972). Conférence (inédite) Grenoble.
Ivan ILLITCH (1971). Une société sans école. Seuil, 188 p.