5-2- Une conception renouvelée de la difficulté scolaire?

Il est reconnu que des enfants se trouvent en difficulté dès l'école maternelle. Pourront être accueillis dans une classe d'adaptation des ‘ "enfants présentant des retards de maturation, enfants subissant des blocages affectifs, des troubles psycho-moteurs divers, enfants dont le milieu familial ou social a retardé le développement, principalement sur le plan de la communication, enfants présumés déficients intellectuels, handicapés moteurs ou sensoriels légers, déficients physiques..." ’ (BO, 1970, p. 690).

A relire cette liste mêlant symptômes et causes éventuelles de ceux-ci, on peut y reconnaître des éléments apportés par la psychologie, la psychanalyse, la sociologie et la psychosociologie. Est-ce une ouverture à une compréhension élargie du phénomène d'échec scolaire?

Les classes d'adaptation sont de trois types, à l'école maternelle:

  1. Celles qui scolarisent les handicapés physiques. Nous ne développerons pas ici ce qui les concerne, car cette approche dépasse notre sujet d'étude.
  2. Celles que l'on nommait souvent auparavant "classes d'attente", s'adressant à des enfants qui connaissent "un retard de développement". Les enfants qui y sont admis, par commission, sont "des enfants que leur quotient intellectuel conduirait à classer dans la catégorie des débiles légers mais pour lesquels l'anamnèse permet de formuler l'hypothèse que des causes circonstancielles ont provoqué une détérioration qui peut ne pas être définitive."(BO, 1970, p. 692). Ces classes sont une précaution prise contre une orientation massive et trop rapide. Ce n'est que si la difficulté intellectuelle se confirme, que ces enfants seront orientés en classe de perfectionnement. Ainsi, on admet que le QI n'est pas une donnée définitive, que d'autres causes, affectives et liées à l'histoire de l'enfant, peuvent fausser son efficience intellectuelle. Quelles sont ces "causes circonstancielles"? Il est fait explicitement référence à l'histoire de l'enfant. Cette histoire sera-t-elle entendue comme globale, ou bien seulement scolaire? Le mot "anamnèse", directement issu du registre médical, est utilisé. Le terme "détérioration" appartient très explicitement au registre défectologique: quelque chose a été endommagé, qu'il va falloir "réparer". A quelles réponses d'aide, cette approche de la difficulté de l'enfant va-t-elle conduire?
  3. Les sections pour enfants rencontrant des difficultés relationnelles ou de comportement, "en situation d'échec scolaire total ou partiel non imputable à des déficiences intellectuelles, sensorielles ou physiques caractérisées et dont les difficultés ne peuvent être réduites par des interventions éducatives ou rééducatives compatibles avec leur maintien dans une classe normale." (BO, 1970, p. 692). On admet que l'échec de ces enfants peut être imputable à des causes psychologiques (bien que le mot ne soit pas prononcé). Il peut s'agir de "comportements réactionnels à des situations familiales ou scolaires", de "troubles du comportement déjà structuré au niveau de la personnalité". (id.). Cependant, il s'agit, dans tous les cas, de "réduire" les difficultés de l'enfant.

Ces classes seront au nombre de deux à l'école primaire, recouvrant tous les "niveaux", du Cours préparatoire au cours moyen deuxième année. Cependant, les situations sont variables d'un département à l'autre, c'est-à-dire interprétées d'une manière différente, d'un Inspecteur d'Académie à l'autre. Les "classes d'attente" n'ont, théoriquement, plus lieu d'être.

Deux inconvénients majeurs surgissent très rapidement au regard de la mise en place et du fonctionnement de ces classes. On n'échappe pas, d'une part, à une ségrégation des élèves à l'intérieur de l'école, quelles que soient les précautions prises. Les élèves d'ailleurs le vivent ainsi, rapportant souvent de récréation: "Madame, il m'a traité de débile" ou bien "On nous traite de classe des fous, et ils veulent pas jouer avec nous" 95 .....Il s'est avéré d'autre part que l'indication de classe d'adaptation, prévue par les textes lorsque "le cas" de l'enfant est "plus grave" (BO, 1970, p. 690), rendait bien difficile la réinsertion en classe "ordinaire" de certains enfants en très grande difficulté, ou d'un enfant de cours moyen qui a intériorisé son échec au point d'en faire une composante de sa personnalité 96 .

La reconnaissance des risques renouvelés de ségrégation, sous couvert d'une volonté d'intégration, conduiront plus tard à rechercher d'autres formules plus ouvertes, tout en conservant le principe des classes d'adaptation. Le fonctionnement en "prises en charge" individualisées ou en petits groupes, d'enfants qui continuent à fréquenter une classe "ordinaire", semble permettre d'échapper à cet inconvénient majeur.

Notes
95.

Nous avons recueilli ces propos, alors que nous exercions la fonction de rééducatrice, en classe d'adaptation, de 1971 à 1975.

96.

A un degré moindre (?), parce qu'inscrit dans une situation peut-être (?) moins figée, moins structurée, on retrouve avec ces enfants de cours moyen, ce que Gérard WIEL (1992) a décrit comme "syndrome d'échec scolaire", chez des adolescents en échec scolaire très important.