1-1- Difficulté de nomination, difficultés d'identité?

1-1-1- Une profession en difficulté de nomination, à la recherche de son identité.

Quand on sait l'importance de la nomination dans la construction de son identité par l'enfant, on peut, par analogie, anticiper sur ce que seront les problèmes d'identité professionnelle du rééducateur. La nomination par ses parents est la marque de la première inscription sociale d'un nouveau-né. Puis elle devient confirmation, reconnaissance de l'existence de son être séparé, comme le souligne par exemple Christian GUERIN (1984, p. 96): ‘ "La nomination est bien l'instrument de séparation de la relation fusionnelle à la mère, l'instrument de l'objectivation, de la mise au dehors, de la pensée."

Depuis 1960 99 , et la circulaire de 1970 le confirmera, il a été nommé "rééducateur", "chargé de rééducations", mais son diplôme porte la dénomination d'une option de "réadaptations psychopédagogiques" ou de "réadaptations psychomotrices". Le terme de "réadaptation" coexiste en particulier avec celui de "rééducation" puisque c'est ce dernier qui continue à figurer alors dans la dénomination du CAEI, diplôme professionnel 100 . En 1964, une circulaire évoque la fonction d'un "enseignement d'appoint" 101 .Dans la circulaire du 25 mai 1976 102 , l'intention évidente est de rappeler au rééducateur ses attaches et ses origines, voire ses fonctions enseignantes. Il devient un "maître chargé des réadaptations psychopédagogiques" ou un "maître chargé des réadaptations psychomotrices".

Ouvrons une parenthèse anticipatoire, afin d'éviter des redites plus loin, puisque la question du nom se reposera plus tard....Lors du décret du 15 juin 1987, et de l'Arrêté du 7 janvier 1988 qui précise les programmes et l'organisation du CAPSAIS (Certificat d'Aptitude aux actions Pédagogiques Spécialisées d'Adaptation et d'Intégration Scolaire) 103 et remplace le CAEI, le terme de "rééducation" réapparaît. La circulaire de 1990 104 enfin, qui substitue les RASED ou Réseaux d'Aides Spécialisées, aux GAPP, désignera des "maîtres chargés d'aide à dominante rééducative", seule option G qui remplace les deux options RPP et RPM. Une seule lettre, pour désigner une fonction, c'est réduire au minimum la spécificité, et surtout la rendre incompréhensible aux "non-initiés". Certains enseignants "ordinaires" eux-mêmes, huit années après, interrogent encore sur le sens de cette lettre, ou l'ignorent, la lettre G correspondant en effet à une classification et n'étant pas porteuse de sens.

Même si elle ne leur convient pas tout à fait, les rééducateurs ont choisi de conserver leur premier nom, pourtant équivoque, et de se présenter ainsi à leurs partenaires. Ils ont renoncé à proposer autre chose, peut-être pour ne pas risquer de voir redilué dans une nouvelle appellation les constructions identitaires laborieusement élaborées 105 .

Nous pouvons nous demander si cette difficulté de nomination d'un corps d'enseignants "intermédiaires", et les fluctuations même de cette nomination, ne sont pas liées à la difficulté de définir un "entre-deux"? Ne sont-elles pas liées également à la difficulté éprouvée par les praticiens à se définir eux-mêmes? Etre nommé est un acte de reconnaissance sociale et symbolique. Les difficultés à nommer les "rééducateurs" sont-elles liées aux difficultés à reconnaître ce qui devrait être nommé et reconnu par l'ensemble? ‘ "La nomination constitue un pacte, par lequel deux sujets en même temps s'accordent à reconnaître le même objet. Si le sujet humain ne dénomme pas - comme la genèse dit que cela a été fait au Paradis terrestre - les espèces majeures d'abord, si les sujets ne s'entendent pas sur cette reconnaissance, il n'y a aucun monde, même perceptif, qui soit soutenable plus d'un instant. Là est le joint, la surgissance de la dimension du symbolique par rapport à l'imaginaire. " ’ (LACAN, 1954-1955, p.202).

Comment exister lorsqu'on n'a pas, ou plus, de nom? ‘ "Le sujet est ce qui se nomme" ’, dit encore Jacques LACAN. Comment se différencier de l'autre, quand on n'a pas, ou plus, de nom? ‘ "Le nom opère comme ce qui ouvre les clôtures imaginaires; il désigne l'Autre de l'image, le trait de la différence." ’, énonce Francis IMBERT (1994, p. 35).

Notes
99.

Circulaire du 15 février 1960. Organisation de la première formation de "rééducateurs en psychopédagogie, au Centre de formation de Beaumont-sur-Oise.

100.

Décret n° 63-713 du 12 juillet 1963 et Décret n° 64-217 du 10 mars 1964. Création et Organisation du CAEI (Certificat d'Aptitude à l'Education des enfants et adolescents déficients ou Inadaptés). Circulaire du 28 avril 1970 (même objet).

101.

Circulaire du 28 octobre 1964 Organisation de la première formation de rééducateurs en psychomotricité, au centre de formation de Beaumont-sur-Oise.

102.

Circulaire n° 76-197 du 25 mai 1976. Organisation et fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires. Il y est question des rééducateurs, parmi les autres points évoqués.

103.

Décret n° 87- 415 du 15 juin 1987. Création du certificat d'aptitude aux actions pédagogiques spécialisées d'adaptation et d'intégration scolaires. Journal Officiel du 17 juin 1987 et Bulletin Officiel de l'Education Nationale, 10 septembre 1987, et Arrêté du 7 janvier 1988. Programmes et l'organisation du CAPSAIS (Certificat d'Aptitude aux actions Pédagogiques Spécialisées d'Adaptation et d'Intégration Scolaire.

104.

Circulaire n° 90-082 du 9 avril 1990. Mise en place et organisation des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté. Bulletin Officiel de l'Education Nationale, 19 avril 1990, n° 16, p 1040 à 1045.

105.

La dénomination "logopède" a été proposée, qui ferait ressortir que l'adulte accompagne l'enfant sur son parcours, comme le "pédagogue", esclave de l'antiquité, accompagnait l'enfant sur le chemin de la maison du maître, à l'école. Les canadiens ont constitué un corps professionnel "d'orthopédagogues". Cette appellation, bien plus encore que "rééducateur", nous semble-t-il, est connotée de "redressement" de "ce qui n'est pas droit".