2-1-3- Où l'on retrouve la difficulté de la psychopédagogie, comme carrefour entre disciplines diverses, à se définir...

Nous avions souligné combien il était difficile pour la psychopédagogie de se définir elle-même. Les "rééducateurs en psychopédagogie" se trouveront confrontés à ces difficultés, tirés par l'institution Education Nationale, vers "le pédagogique", tentant des avancées plus psychopédagogiques malgré tout. Ils tenteront d'innover, d'articuler déjà une approche plus psychologique et relationnelle à leurs tâches de remédiation. L'absence de directives officielles, l'absence d'une théorisation préalable de la pratique et du cadre rééducatifs, faisaient que tout était à inventer, avec toute la liberté, mais aussi tous les risques d'errements que l'invention comporte. Cette difficulté de définition concernera les deux options de la rééducation.

Nombre de psychopédagogues, par leurs propres conceptions plus ou moins bien dégagées de leur première fonction enseignante, par la date de leur formation initiale de spécialisation, et le courant pédagogique dominant à ce moment là dans leur Centre de formation, ont pratiqué des activités de soutien ou de reprise des apprentissages, s'apparentant plus de la leçon particulière que d'une "stratégie de détour" proprement dite. Leur action était de toutes façons conçue comme une action intensive, directement centrée sur les apprentissages fondamentaux.

Les rééducateurs en psychomotricité ont peut-être éprouvé moins de difficultés à prendre une certaine distance vis à vis des apprentissages. Bien que leur approche était elle aussi centrée sur les symptômes, leurs références étaient plus "corporelles". Leur approche de l'enfant était déjà plus "globale" et faisait obligatoirement entrer en ligne de compte tout le registre des émotions, des sentiments, et l'importance de la relation de l'enfant au monde. Le plaisir et le déplaisir, l'activité comme source de créativité et de construction intellectuelle, telle que les avaient expérimentés et théorisés les pédagogues de l'Ecole Nouvelle ou des méthodes actives, étaient l'assise de leur intervention. Leur fonction "officielle", les incitant à faire intervenir le corps comme médiation à la base des activités de l'enfant, leur permettait, par exemple, de mettre en oeuvre ce que FRÖBEL (1782-1852) ou Maria MONTESSORI (1870-1952), avaient préconisé: placer l'enfant dans les conditions les plus favorables à son activité, l'inciter à développer son potentiel, en manipulant pour intégrer le monde extérieur, en se connaissant mieux soi-même, dans un jeu considéré comme éducatif.

On peut faire l'hypothèse que c'est sans doute par la confrontation avec des situations en contradiction avec le "modèle" présumé de la rééducation de 1970, dans des situations "impossibles", que la rééducation a été contrainte d'inventer, d'évoluer . Le constat "clinique" d'un rééducateur confronté aux problèmes posés par sa pratique, conduit à retrouver une question déjà rencontrée, que l'on pourrait formuler ainsi: "En quoi les marges, les limites, au delà des oppositions et des tensions qu'elles supportent, et grâce à elles sans doute, sont stimulations à la créativité, à l'invention, à "aller de l'avant"?

Si l'on considère, comme FREUD l'affirmait, que l'on peut retrouver sensiblement les mêmes processus en jeu dans le domaine de la psychologie individuelle et dans celui de la psychologie collective, on peut faire un parallèle entre les processus en jeu sur le plan professionnel, et sur le plan du sujet "privé". Or‘ , "c'est par la crise que l'homme se créé homme, et son histoire transite entre crise et résolution, entre rupture et suture. Dans cet espace "entre", de vivantes ruptures en mortelles sutures, de fractures mortifiantes en unions créatives, dans cet espace du transitionnel - éventuellement espace transitionnel -, se jouent tous les avatars du social, du mental et du psychique qui tissent ensemble, quand on se place au lieu du sujet singulier, la singularité d'une personne." (KAES, 1979, p. 3).