Des matériaux actuels, pour mettre en oeuvre et théoriser la pratique.

Les écrits de maîtres formateurs et théoriciens de la rééducation, des écrits de psychanalystes, en particulier, qui s'intéressaient à la rééducation, ont eu un impact considérable. Ils ont eu, et ont encore, un statut de véritable outil de conceptualisation de la pratique et ont jalonné l'évolution de celle-ci. Ils ont été des repérages quant à l'évolution de la rééducation et constituent des références pour les praticiens.

Dès 1975, Georges MAUCO 201 exprimait son espoir que la fonction de rééducateur, nouvellement créée dans l’école, reprendrait les conceptions et les approches spécifiques de la difficulté scolaire qui furent celles de l’équipe du Centre psycho-pédagogique Claude Bernard, en 1946. Si le livre de Jean-Jacques GUILLARME: Education et rééducation psychomotrices, paru en 1982, ou celui de Bernard AUCOUTURIER, Ivan DARRAULT, Jean-Louis EMPINET: La pratique psychomotrice, rééducation et psychothérapie, en 1984, paraissaient concerner les "rééducateurs en psychomotricité", d’autres écrits annonçaient ce que pourrait être une approche rééducative globale. Celle-ci prendrait en compte la totalité de la personne de l’élève dans ses dimensions affectives, cognitives, relationnelles et motrices. En 1980, Jacques LEVINE, collaborateur de l’équipe du Centre Claude Bernard, considérant "la" rééducation comme une entité, tentait de définir les champs respectifs de la Pédagogie, psychologie, rééducation, psychothérapie. Ivan DARRAULT soulignait, dès 1986, la question du "paradoxe institutionnel" posé par la présence des rééducateurs dans l’école 202 . La nécessité de définir la spécificité de ces différents champs était reprise en 1986 par Jean-Jacques GUILLARME dans un article portant le titre: "Education, rééducation, psychothérapie". Le livre de Yves de LA MONNERAYE, La parole rééducatrice, publié en 1991, proposait un "cadre rééducatif", en accord avec les directives données par la circulaire du 9 avril 1990, et intégrant des directions allant dans le sens d’une approche globale de l’enfant en difficulté scolaire. Il donnait à la parole de l’enfant le statut d’outil central d’une rééducation, conçue comme une relation d’aide à l’émergence de cette parole. En étayage sur des référents psychanalytiques, Yves de LA MONNERAYE proposait en particulier de rencontrer l’enfant comme un sujet mû et divisé par son inconscient. Il avançait la nécessité de libérer l’enfant d’une parole qui n’avait pu se dire. La difficulté de l’enfant, son non-désir d’apprendre, entendue comme un symptôme, conduisait à proposer un détour par rapport aux apprentissages, c'est-à-dire par rapport au symptôme. Yves de LA MONNERAYE proposait un cadre régi par des règles garantissant les conditions de sécurité nécessaires à l’émergence de cette parole, des conditions de la re-présentation, de la symbolisation des difficultés de l’enfant, de ses questions et d’une histoire insuffisamment élaborée. Il proposait de reconnaître les effets de cette parole: c’est elle qui est “rééducatrice”. Yves de LA MONNERAYE présentait cette rééducation comme “relationnelle”, en la différenciant nettement d’une rééducation fonctionnelle ou instrumentale qui se centrerait sur le symptôme, telle qu'elle avait été conçue à partir des années 1970. Le cadre rééducatif qu’il définissait alors, était adopté par une large majorité de rééducateurs.

Ces directions proposées par Yves de LA MONNERAYE ont été complétées, précisées, par d'autres auteurs. D’autres directions se sont dessinées depuis. Ces positions sont déterminées par des référents théoriques différents, qui sont principalement la théorie systémique et la psychologie cognitive.

Les rééducateurs, dans leur grande majorité, se sont peu à peu approprié les propositions de Jacques LEVINE, de Ivan DARRAULT, de Alain GUY ou de Yves de LA MONNERAYE 203 . Ils les ont remaniées, réajustées, à titre personnel, et en particulier au sein de la FNAREN, et dans les centres de formation. Des analyses nouvelles sont venues s’articuler aux premières propositions, en provenance souvent des mêmes auteurs.

Un des axes principaux des analyses actuelles, concerne les relations entre les médiations, et les processus de symbolisation 204 . L’analyse que propose Augustin MENARD (1994), qui concerne un “changement de place” radical de la part du rééducateur 205 peut être considérée comme essentielle, tant pour déterminer ce qu'est, ou ce que pourrait être ce changement de place, dans la pratique actuelle, que pour en analyser les effets.

Cependant, l’intrication de ces analyses et de ces apports, en provenance des différents auteurs, est telle qu’il est parfois difficile aujourd’hui d’attribuer la paternité de telle ou telle position, de telle ou telle piste, à un auteur précis. Nous devons nous en excuser auprès du lecteur qui cherche des références précises, et auprès de leur auteur. Ces différents écrits constituent aujourd’hui les points d’ancrage principaux de ce que l’on pourrait considérer comme un “corpus professionnel commun” des rééducateurs, dans lequel ceux-ci vont puiser les différents éléments de leur pratique.

Notre choix méthodologique général, clinique, et notre inscription dans une démarche psychanalytique, qui implique l'observateur dans son analyse, limite nos analyses à ce que nous avons vécu.

Toute pratique comporte une partie préconçue par l'adulte, sous la forme d'un "cadre" plus ou moins explicite, avant la rencontre avec l'enfant, même lorsque cette rencontre est définie comme clinique. S'il existe un "consensus rééducatif" aujourd'hui, c'est sur le cadre proposé à l'enfant, c'est-à-dire sur la partie fixe de la pratique rééducative, mise en place par le rééducateur avant même la rencontre avec l'enfant, grâce à la connaissance qu'il a de sa fonction. Si le cadre proposé par Yves de LA MONNERAYE (1991), a rallié une grande majorité des rééducateurs, ce cadre n'est pas figé. Cet auteur se défend, d'ailleurs, avec force, d'avoir présenté un "produit fini".

C’est la direction générale proposée par Yves de LA MONNERAYE qui ancre notre pratique de rééducatrice, délimitant ainsi notre champ d’investigation concernant “la” rééducation, mais ne la fermant pas à d'autres apports, à la condition qu'ils respectent la cohérence de l'ensemble. Cette position, subjective, suppose des choix, dont nous affirmons la nécessité. C'est ce cadre, pris comme fondement et grandes directions donnés à une pratique, mais auquel nous tentons d'articuler principalement les apports de Jacques LEVINE et de Augustin MENARD, qui imprime sa marque à une conception possible, parmi d'autres, de la rééducation. C'est celui-ci dont nous tenterons de rendre compte, en un "modèle" rééducatif explicatif. C'est ce cadre, pris comme référence à notre pratique rééducative d'aujourd'hui, que nous interrogerons, cherchant à en approfondir certains concepts qui le sous-tendent, afin de vérifier la cohérence, la pertinence et la validité, de ce qui est proposé à l'enfant, au regard de ce que nous aurons appris au préalable des difficultés de cet enfant auquel est proposée une rééducation. C'est donc ce cadre également, que nous mettrons ensuite à l'épreuve de la pratique, dans la rencontre avec l'enfant.

Yves de LA MONNERAYE (1991) affirme: ‘ "C'est la parole qui est rééducatrice.Augustin MENARD (1994) ajoute: ‘ "Mais c'est grâce au changement de place du rééducateur" ’. Une question s'impose et nous guide: Qu’est-ce qui, (en fin de compte), est “rééducatif”? Une question, capitale, subsiste. Cet effet (de la parole) et ce positionnement de "l'aidant" (changement de place), appartiennent d'abord au champ thérapeutique. Ils en sont des caractéristiques. FREUD et LACAN se sont employés à le démontrer. Admettre, sans examen et recherche d'autres éléments constitutifs, que ces éléments caractériseraient l'intervention rééducative, ne justifie en rien que cette aide doive nécessairement se situer dans le cadre de l'école. Cette mise en doute rejoint, dans une de ses autres dimensions, qui est celle du processus rééducatif de l'enfant et de ce qui le favorise, la question fondamentale que nous posons: "Y a-t-il, dans l'école, une place spécifique, pour une action qui pourrait être qualifiée de "rééducative", et laquelle?"

Le rééducateur définit pour lui-même et pour sa pratique, une fonction et une place à l'intérieur et à l'interface de l'école. Il construit et propose un cadre à l'enfant, pour que celui-ci puisse réaliser son processus rééducatif. Nous avons vu que le rééducateur est contraint de le faire, puisque rien n'est "donné", d'emblée, institutionnellement. C'est l'analyse du processus rééducatif de l'enfant, au-delà des besoins institutionnels que nous aurons pu dégager, au-delà de ce que prescrit le texte officiel, au-delà de ce que met en place l'adulte pour l'enfant, et de ce qu'il attend de ses propositions, qui devrait nous permettre d'apporter des réponses décisives à cette question.

A l'aune de la clinique, et de la restitution de moments considérés comme significatifs de "changements" de l'enfant, nous interrogerons ces "effets" supposés, des propositions faites à l'enfant. Cette interrogation devrait nous permettre d'évaluer ce qui a pu, entre autres, "être rééducatif", et nous permettre de répondre plus précisément à la deuxième grande question de notre problématique: Qu’est-ce qui, (en fin de compte), est “rééducatif”?

Notes
201.

Les travaux et positions de l'équipe du Centre Psycho-Pédagogique Claude Bernard, méconnus de la plupart des rééducateurs, paraissent pourtant annonciateurs, quarante cinq ans avant, de ce que sont les positions des rééducateurs d'aujourd'hui...

202.

Cet article sera, pour nous, le point de départ de l'analyse de l'institutionnalisation nécessaire de la rééducation dans l'école.

203.

Ces différents auteurs ont écrit depuis longtemps à propos de la rééducation. Ils sont intervenus à de nombreuses reprises dans les congrès FNAREN ou dans des conférences organisées par les associations départementales de rééducateurs. Notre bibliographie témoigne d'un certain nombre de ces apports. Nous choisissons de ne citer ici, que les écrits qui nous apparaissent comme ayant été de nature à apporter quelque chose de fondamentalement nouveau dans le domaine rééducatif, à un moment donné. Ce choix est bien inévitablement subjectif. Parmi les écrits les plus récents, citons ceux qui ont été pour nous une référence constante, non seulement pour cette recherche, mais pour notre pratique rééducative: Jacques LEVINE (1993-1), Ivan DARRAULT-HARRIS et Jean-Pierre KLEIN (1993). Bien que centrée sur le champ thérapeutique, la méthodologie expérimentée, qui vise à favoriser les processus créatifs de l'enfant, est transposable, semble-t-il, dans le champ rééducatif. Nous aurons l'occasion de l'expliciter, lorsque nous analyserons différentes voies possibles pour proposer les médiations à l'enfant, au niveau de la conception du cadre rééducatif; Alain GUY (1995); Yves de LA MONNERAYE (1993), Yves de LA MONNERAYE (1994), et Yves de LA MONNERAYE (1995).

204.

Le 9 ème Congrès FNAREN, en 1993 à Strasbourg, avait pour titre: " Dans le monde des symboles...l'enfant." (2,3,4,5 juin 1993). Parmi les articles récents consacrés aux liens entre symbolisme et rééducation: Jean-Marie GILLIG (1994), et Jean-Marie GILLIG (1995). Annick FRIGARA, Paul FERNANDEZ (1988). Les deux auteurs y interrogent particulièrement les liens entre processus de symbolisation et processus rééducatif. L'analyse de l'intervention des registres imaginaire et symbolique, par rapport aux médiations rééducatives ou au sein du processus rééducatif, est un thème qui revient fréquemment dans différents écrits actuels, même s'ils ne la prennent pas directement pour objet. La bibliographie, au cours de nos analyses, devrait en témoigner.

205.

Cette conceptualisation, apparaît comme plus difficile à aborder, car elle fait appel à la théorie lacanienne des "quatre discours" comme à la conceptualisation de "l'acte" (analytique) et à ses conditions d'émergence. L'acte se produit grâce au changement de discours, et au changement de place de "l'aidant". Ce point nous paraît particulièrement fécond quant à la compréhension d'un changement de place nécessaire, du rééducateur et de la rééducation, par rapport à la place du pédagogue et de la pédagogie, dans l'école. Nous serons amenée à tenter d'explorer cette dimension, tant au niveau de la praxis mise en place, et aux "effets attendus" de certains positionnements de l'adulte, que de l'interrogation de ses effets éventuels, constatés, au sein de la rencontre rééducative (dans la troisième partie de cette recherche).