Comment en rendre compte?

Toute représentation est une reconstruction du "réel". Comment appréhender "le réel" de la rééducation aujourd'hui? Comme nous l'avions fait pour le "modèle" de la rééducation issu des textes de 1970, nous proposons de rendre compte, de synthétiser, et de représenter, sous la forme d'un "modèle", la réalité de la rééducation d'aujourd'hui. Nous procéderons cependant d'une manière différente.

Le premier schéma proposé, prenait en compte les interprétations qui avaient été faites de la circulaire de 1970. Il rendait compte d'une pratique qui s'était élaborée à partir d'un texte fort peu explicite. Nous nous proposons à présent de considérer la circulaire du 9 avril 1990 comme un point de départ, la fondation "officielle" de cette construction qui doit se faire. Nous représenterons, dans un premier temps, sous forme d'un schéma, le cadre proposé par cette circulaire. Respectant notre "position clinique", nous nous placerons dans la situation du rééducateur engagé dans une pratique rééducative, en 1990, lorsqu'il prend connaissance, avec beaucoup d'intérêt, de ce texte. Nous ne chercherons pas à combler, pour l'instant, ces manques. Ils sont là, et font partie de la réalité rééducative de 1990. Nous référant aux différents types de modèles décrits par Charles HADJI (1992), il semble que ce soit un modèle descriptif "qui dégage et décrit des formes", qui convienne le mieux pour répondre à la question: "Qu'est-ce qui est donné aux rééducateurs, concernant leur pratique, par la circulaire de 1990?". Il n'est question à cette étape, ni d'expliquer, ni d'interpréter. Cette explication et cette interprétation, le rééducateur tentera de les réaliser à partir de 1990, et nos analyses tenteront de le faire, progressivement et de notre place, dans cette recherche.Comment construire ce schéma, ce "modèle", afin qu'il soit un repère pour la suite de nos analyses?

Nous nous sommes interrogée sur ce que doit être une pratique pour pouvoir être considérée comme une praxis. Philippe MEIRIEU et Michel DEVELAY (1992, p. 45) proposent trois axes d'analyse:

  1. Le pôle axiologique qui "renvoie à la définition des fins et mobilise la réflexion philosophique et politique". Yves de LA MONNERAYE insiste sur la nécessité de la référence à une éthique: "Une théorie se juge à sa pertinence quant au champ d'investigation qui est le sien et à sa cohérence interne. Dans le domaine qui nous concerne, le domaine humain, de la rééducation, elle ne peut me semble-t-il éviter d'être articulée à une éthique." (LA MONNERAYE 1991, p. 238).
  2. le pôle scientifique constitué des "étayages scientifiques des connaissances élaborées par les sciences humaines ou les sciences expérimentales" (MEIRIEU et DEVELAY, 1992, p.45). "Toute pratique éducative nécessite une base théorique pour prétendre à être une praxis et non une démarche à l'aveuglette ou un tâtonnement arbitraire."Winfried BÖHM (1994) Maria MONTESSORI (1870-1952), In Jean HOUSSAYE et al. Quinze pédagogues Leur influence aujourd'hui. (149-166), p. 151.. Reconnaître au mot praxis le sens étymologique d'action, ainsi que celui donné par la philosophie, d'une action coordonnée vers une certaine fin (par opposition à connaissance, théorie), conduit à y inclure la dimension de "pratique qui génère et intègre une réflexion sur elle-même"Cornélius CASTORIADIS (1975) L'institution imaginaire de la société,. Paris: Seuil, p 103. Cité par Mireille CIFALI (1994). Ce pôle "scientifique" comporte ce que nous avons également nommé, à la suite de Mireille CIFALI, les "savoirs constitués", ou les "savoirs théoriques" à la suite de Gaston MIALARET (1996, In BARBIER). (Dans le chapitre I: Méthodologie de cette recherche).. En accord avec cette définition, nous concevons le rapport pratique-théorie comme un aller et retour constant, l'un étayant l'autre, l'un éclairant l'autre, l'un permettant de comprendre l'autre. Le positionnement éthique, le choix des finalités, le repérage personnel du rééducateur dans des référentiels théoriques spécifiques, la cohérence entre ces différentes dimensions et leur pertinence par rapport aux besoins repérés chez l'enfant auxquels l'action est supposée répondre, devraient constituer le fondement de la praxis rééducative.
  3. "le pôle praxéologique qui renvoie à l'instrumentation possible et au registre de l'action régulée, tenant compte des contraintes et des ressources dont on dispose. Tentative d'articuler des champs radicalement hétérogènes" (MEIRIEU et DEVELAY, 1992, p. 45).

Les grands axes d'une praxis recouvrant respectivement ses finalités, ses référents théoriques, ses objectifs, ses moyens, ses méthodes, et ses techniques, nous faisons donc figurer ceux-ci sur notre représentation des éléments fournis par le texte officiel d'avril 1990. Les lacunes du texte, que nous avons relevées, apparaissent clairement sur le schéma. Les "manques" indiquent les premières grandes directions de recherche pour les rééducateurs, et pour nous-même, ici. C'est le cadre qui est donné au rééducateur par les textes. Il lui faudra le compléter 210 . Nos analyses devraient nous permettre de compléter ce schéma, afin qu'il devienne une représentation la plus fidèle possible d'une praxis qui s'est élaborée peu à peu. Nous chercherons à compléter les bases du "modèle théorique" construit à partir de la circulaire d'avril 1990, à partir des élaborations qu'ont pu en faire les rééducateurs, et de ce qu'ils se sont approprié d'autres champs, à partir de 1990. Nous trouverons ces élaborations dans les écrits professionnels d'une part, et nous chercherons à compléter les connaissances qu'ils supposent, en recherchant dans des écrits théoriques, d'autre part. Nous tenterons de dégager la présence éventuelle des trois pôles d'une praxis, la cohérence de leur articulation, la pertinence des divers éléments constitutifs, au regard de la connaissance des besoins de cet enfant en difficulté scolaire, avant d'en interroger leur traduction en termes de propositions faites à l'enfant par le rééducateur. Comme le tisserand qui monte "la chaîne" du futur ouvrage, notre intention est d'utiliser les grandes directions données par le texte de la circulaire du 9 avril 1990, pour continuer à nouer patiemment les fils de chaîne nécessaires pour qu'un quelconque ouvrage puisse se faire.

De descriptif, le modèle devrait pouvoir devenir explicatif, et correspondre à un deuxième niveau de représentation du "réel rééducatif", constitué des idées et des pratiques rééducatives 211 : "Que propose le rééducateur à l'enfant, et pourquoi? Quels sont, chez l'enfant, les effets attendus des propositions?" Nous pourrons ainsi interroger la cohérence et la pertinence de la praxis au regard des difficultés de l'enfant, dont nous aurons pris connaissance au préalable. Nous devrions aboutir, en fin de parcours, à une modélisation, c'est-à-dire à une représentation synthétique, compréhensive et interprétative, de la rééducation actuelle dans ses "effets" sur l'enfant, telle qu'elle est mise en oeuvre par une très grande majorité de praticiens.

Nous éprouverons, à l'aune de la clinique rééducative, dans notre troisième partie, l'instrumentation d'un certain nombre d'outils et de principes retenus pour la praxis rééducative. Nous en interrogerons les effets éventuels sur l'enfant. Inversement, nous chercherons si un lien existe entre un changement constaté chez l'enfant, et ce qui a pu être, à un moment donné, une circonstance, un événement de la rencontre rééducative. Selon la métaphore du tisserand, si le rééducateur est "l'aide" qui prépare le métier et tend la chaîne, à partir des matériaux et des outils dont il dispose, le maître d'ouvrage est l'enfant, la trame dont il est responsable est le processus rééducatif, et le tissage en tant que production, création, est ce qu'il fait de sa vie d'enfant et d'écolier. Ce modèle se doit d'être alors non seulement explicatif: "Qu'est-ce qui se passe, et pourquoi?", mais aussi interprétatif: "Quel sens cela peut-il avoir eu pour l'enfant?", "Pourquoi tel effet? Peut-on faire le lien entre telle proposition et l'effet de changement constaté chez l'enfant?" Nous devrions pouvoir rendre compte, sous la forme d'un modèle interprétatif qui tente de comprendre, et non de prescrire, à travers des cas cliniques toujours singuliers, certains "effets" que l'on retrouve fréquemment en rééducation.

Nous devrions pouvoir répondre à la grande question qui guide cette recherche: Qu’est-ce qui est “rééducatif”? Dans notre premier chapitre, méthodologique, nous avons qualifié notre projet à la fois de modeste et d'ambitieux. Quel est-il? Il vise à chercher à rendre compte de l'existant, tenter de le représenter, mais aussi tenter de réaliser une synthèse a minima des connaissances que, de sa place, le rééducateur doit pouvoir avoir à sa disposition pour entendre la difficulté de l'enfant, pour tenter de la comprendre, pour argumenter la manière dont il conçoit sa place, sa fonction, ses méthodes, pour tenter de repérer les "effets" de son action, sur l'enfant, dans son devenir d'écolier et d'élève.

Schéma : 1970, "Modèle" "adaptatif", fonctionnel ou instrumental, par la reprise des apprentissages.(Texte de 1970: Les GAPP).
Schéma : 1970, "Modèle" "adaptatif", fonctionnel ou instrumental, par la reprise des apprentissages.(Texte de 1970: Les GAPP).
Notes
210.

Cette première schématisation est proposée en fin de ce point 5.

211.

Selon les indications qu'en donne Charles HADJI (1992).