Le vide, la béance des textes a constitué une source de tensions, d'angoisse éventuelles. Peut-elle être une condition de créativité?

C'est une situation paradoxale d'être mis dans une position "d'obligation de créer". C'est pourtant ce que les textes instituants ont toujours demandé implicitement ou explicitement aux rééducateurs.

Cependant, si contrainte et liberté s'avèrent être deux composantes nécessaires du processus créatif, du fait même des tensions qu'elles génèrent et de la nécessité dans laquelle se trouve le sujet de dépasser ces tensions, encore faut-il que celles-ci restent dans les limites du supportable. Le risque, sinon, est d'inhiber la pensée, et toute possibilité de recherche. Le vide, la béance, l'écart, s'ils sont nécessaires à la création, n'en sont pas des conditions suffisantes. L'angoisse ne doit pas être trop forte. Les diverses crises vécues par la rééducation, les mises en question de son existence, ont marqué des hésitations, voire des arrêts de la recherche, de l'élaboration de la pratique: "A quoi bon?" se demandaient les rééducateurs. Il s'agissait alors pour les professionnels de se mobiliser et de tenter de mobiliser les partenaires, pour argumenter de son utilité, pour survivre.

Une deuxième raison a toujours poussé les rééducateurs à tenter d'aller au-delà du "donné", que ce soit celui du contexte, ou celui de l'héritage laissé par les prédécesseurs. Cette raison, c'est l'énigme posée par l'enfant en difficulté , interlocuteur de la rencontre rééducative. La rééducation était une tâche inconnue, éloignée de leur fonction d'enseignement précédente, puisqu'avoir enseigné auparavant est toujours une condition de la formation spécialisée des rééducateurs. Ces derniers sont allés, et continuent à aller chercher, dans leur grande majorité, et au delà de leur formation spécialisée, des outils conceptuels et des pratiques déjà éprouvés ailleurs, des informations, des formations complémentaires. La restructuration de la profession par les textes, les y contraignait d'une certaine manière, mais c'est surtout la confrontation avec des problèmes nouveaux et difficiles, toujours différents, toujours spécifiques, car issus de la rencontre singulière avec chaque enfant, qui leur a imposé très vite, de chercher d'autres voies pour comprendre et aider cet enfant, souvent en grande difficulté, à l'école. Ces modifications progressives ont pu se faire en premier lieu grâce à la volonté de recherche personnelle des praticiens sur leur pratique, mais aussi grâce aux étayages divers qui ont pu soutenir leur processus créatif.

Jean-Louis DUCOING, dans le rapport de son enquête sur les GAPP, destiné au ministère de l'Education Nationale, relevait, en 1987, la présence d'un consensus rééducatif implicite. Cette pratique, confirmée dans son "esprit" par la circulaire d'avril 1990, a continué à se construire petit à petit, changeant profondément les modes d'approche de l'enfant et de sa difficulté, et les modes de réponses qui lui sont proposés. C'est cette pratique rééducative, qui s'est élaborée peu à peu, "inventée" par les uns, ou plutôt "trouvée-créée" 212 , car née d'emprunts qui ont été ré-élaborés, affinés, précisés, dévoyés, car pris dans un champ pour être utilisés dans un autre, dont nous proposons de rendre compte sous la forme d'une représentation: un "modèle explicatif" 213 .

Notes
212.

Selon l'expression de D. W. WINNICOTT (1971).

213.

La praxis rééducative dans ses propositions à l'enfant. "Modèle" explicatif de la rééducation (3)". Troisième partie de cette recherche.