Des processus créatifs.

Un rapprochement peut être fait, nous semble-t-il, entre ce qui s'est passé dans l'école et qui a amené à créer des instances d'aides à l'élève comme la rééducation, et les processus qui ont conduit, et conduisent encore, les rééducateurs à inventer leur pratique et leur identité.

On constate qu'un besoin ressenti, un manque constaté, une tension née de l'écart entre l'objectif recherché et les réalisations, lorsqu'ils atteignent un niveau difficilement supportable, peuvent déclencher des processus qui seront peut-être des processus de création. Se trouvent ainsi réunies et réalisées les conditions d'émergence et les différentes phases d'un processus créatif tel que le décrivent WINNICOTT (1971, p 19 à 24), ou KAES (1979), par exemple...

  1. Une phase d'illusion, de certitudes, marquée par l'imaginaire, est interrompue par
  2. un écart, un manque, une rupture, une défaillance, qui ouvrent à
  3. une phase de désillusion, de crise, d'errance, traversée de tensions qui doivent être suffisantes pour contraindre à la recherche d'une issue à la crise.
  4. Peut alors s'ouvrir une phase de reconstruction, d'élaboration, marquée d'une nouvelle "capacité à s'illusionner" (WINNICOTT, 1971).

Le texte de la circulaire de 1990 semble indiquer que c'est à un enfant qui ne parvient pas à devenir élève, qui ne parvient pas à apprendre, que s'adresse l'aide rééducative. Nous proposons de considérer que cet enfant qui ne parvient pas à devenir élève, qui ne parvient pas à assumer le statut social d'écolier et d'élève qui est le sien, est "en difficulté d'identité scolaire". Nous devons "mettre en réserve" pour l'instant, ce que nous avons appris en ce qui concerne les processus en jeu dans l'élaboration de son identité par le rééducateur. Ils pourront peut-être éclairer ce qui se joue pour "l'enfant en difficulté d'identité scolaire".

Nous le rappelions dans l'introduction de cette première partie: un "savoir des origines" est toujours une reconstruction de l'après-coup, qui exige une certaine distanciation par rapport au passé, et au présent. C'est ce "savoir" qui donne son ancrage à un futur possible. Notre propre cheminement, qui a suivi l'évolution de la rééducation, à partir de ses origines, nous confirme dans la nécessité, pour le rééducateur d'aujourd'hui, de réaliser, à un niveau collectif et pour son propre compte, la démarche de se "(re) trouver" dans sa pratique, d'élaborer son identité professionnelle en l'ancrant et la reconnaissant dans une histoire qui intègre le passé, le présent et l'avenir.

Evoquer l'histoire de la rééducation dans sa généalogie et ses origines, retracer son évolution depuis sa naissance, c'est-à-dire:

  • l'inscrire dans le temps passé et présent tout en la projetant dans le futur par son projet identificatoire ,
  • y retrouver l'empreinte des identifications primaires puis secondaires,
  • Reconstruire cette histoire dans une élaboration
    • qui tente de s'abstraire, de se distancier de ses attaches trop émotionnelles,
    • qui libère l'énergie liée dans le registre émotionnel,
    • qui élabore les émotions en affects ,
    • qui se constitue en un récit,

peut aider le rééducateur, nous semble-t-il:

  • à se séparer de ses premières attaches idéologiques et des premiers habitus 218 ,
  • à s'en désengluer, en symbolisant cette séparation.
  • à le rendre plus disponible à l'accueil de l'autre, cet élève en difficulté qu'il va rencontrer, dans la réalité psychique et dans la réalité des difficultés et de l'histoire de celui-ci,
  • à ouvrir l'espace à son inventivité, à la création d'un espace-temps rééducatif destiné à accueillir et accompagner cet "enfant-élève- écolier" en difficulté.

Nous nous sommes engagée, dans cette première partie, sur ce chemin, en analysant le parcours passé. Il nous faut à présent nous consacrer au présent de la rééducation.

Notes
218.

"L'habitus" du rééducateur est celui de sa fonction enseignante première; c'est aussi la formation reçue dans un centre de formation spécifique et à un moment donné. L'origine professionnelle d'enseignant, permet sans doute un meilleur ancrage dans l'école, une meilleure compréhension de la réalité scolaire des enfants, et de la réalité vécue par les maîtres, dans une relation pédagogique en difficulté, avec certains enfants. Mais elle peut-être aussi un "frein" parfois, source de difficultés à s'en distancier, à changer de place par rapport au maître, par rapport à l'enfant.