Chapitre V.
Qu'en est-il de "l'échec" ou de la "difficulté scolaire", aujourd'hui?
Recherche de repères.

A la question générale: Y a-t-il, dans l'école, des enfants relevant spécifiquement d'une rééducation? le texte officiel de la circulaire du 9 avril 1990 instituant les réseaux d'aides spécialisées aux enfants en difficulté, apporte des éléments de réponse. Les interventions du réseau d'aides spécialisées, sont destinées aux ‘ "élèves en difficulté scolaire, globale ou particulière 228 ." (p. 1042). ‘ "Les aides spécialisées s'insèrent dans l'ensemble des actions de prévention des difficultés ’ ‘ 229 ’ ‘ que peuvent éprouver les élèves à l'école." ’ (p. 1040) (id.). Dans son discours du 15 février 1990, le ministre de l'Education Nationale, évoquait ‘ "ces enfants qui échouent à l'école, alors que leurs possibilités sont réelles." ’ (p. 602). Qu'est-ce que cette difficulté scolaire "globale ou particulière"? Comment s'exprime-t-elle, dans l'école, aujourd'hui? Quelle est la nature de cette difficulté? Que va-t-on tenter de "prévenir"? Qu'entend-on par "possibilités" de l'enfant, autrement dit, comment situer ces difficultés par rapport au handicap, à la pathologie? Quelles en sont les conséquences pour l'enfant?

C'est surtout à partir des années 1960, que l'échec scolaire a tenu une place de plus en plus importante dans les discours, et selon des acceptions sensiblement identiques à celles d'aujourd'hui. L'échec scolaire commence, dit-on dès la maternelle...Quelle est la forme, la place, et l'incidence de ce phénomène, aujourd'hui? Quelles "explications" sont données à ce phénomène? Quelle "connaissance" peut-on en avoir? Nous disposons de quelques chiffres significatifs qui donnent une indication de l'importance de ce phénomène aujourd'hui.

Tout enfant en difficulté, l'est d'abord par rapport à des normes. L'école n'est pas intemporelle, c'est une institution on ne peut plus ancrée dans un contexte économique, social, culturel, historique, philosophique, etc...Ce sont ces normes que, dans un premier temps, il nous faut interroger. Quelles sont-elles? Comment situer l'enfant par rapport à elles? Comment entendre "la déviance" de l'enfant par rapport à ces normes? Se questionner sur les normes scolaires, conduit à analyser des concepts: "norme", "normalité", "adaptation", "inadaptation", handicap, "pathologie", et à s'interroger sur la question du sens de ces concepts, et des frontières.

Le "savoir institutionnel", donné par les textes officiels, ne fait que confirmer la complexité de la question de la définition de la difficulté scolaire. Dans les deux textes officiels (la circulaire du 9 avril 1990 mettant en place et organisant les réseaux d'aides spécialisées, et le discours du ministre de l'Education Nationale du 15 février 1990), nous relevons le terme de "difficulté", répété à plusieurs reprises, et celui "d'échec à l'école". On peut cependant constater que le mot "difficulté" a remplacé peu à peu celui "d'échec" 230 . Quel sens cela a-t-il? D'autres expressions, construites autour du mot "difficulté", désignent ces enfants qui "dérangent" ou "inquiètent" les maîtres et les parents. Quelles sont les représentations évoquées par ces expressions? A quelles "réalités" correspondent-elles pour l'enfant? "L'échec scolaire", concept on ne peut plus flou, recouvre souvent des difficultés qui peuvent aller de la difficulté passagère, à un échec global qui s'accompagne de sentiments d'échec et d'incapacité, allant souvent jusqu'à s'intégrer à l'identité du sujet, à ses propres yeux ou au regard des autres, parents, enseignants et pairs. Qu'implique, pour un enfant, d'être en échec ou en difficulté à l'école, aujourd'hui?

Un questionnement, qui ne nous quittera plus désormais au cours des analyses de cette recherche, nous guide: "Comment mieux connaître, comment mieux comprendre ce qui constitue, aujourd'hui, la difficulté d'un enfant, à l'école? Comment se repérer, comment disposer d'éléments pertinents, pour apprécier la nature de cette difficulté, les besoins et les ressources d'un enfant, qui permettront de lui apporter une aide, au sein même de l'école, ou de lui conseiller d'entreprendre une démarche pour requérir une aide, en dehors de l'école? Si l'hypothèse est posée d'une aide possible, à l'intérieur de l'école, quelle aide sera la plus pertinente pour lui permettre de dépasser ses difficultés? Qu'est-ce que j'ai besoin de savoir, de connaître, à propos de cet enfant, de son parcours et de sa difficulté, pour être rééducatrice aujourd'hui?"

Une enquête, réalisée par Joëlle PLAISANCE et Fabienne SCHERER (1994), est un des moyens possibles d'élargir le champ d'une seule pratique, en apportant le point de vue des rééducateurs sur la question de la difficulté scolaire. Se référer à cette enquête, constitue une voie pour réguler notre subjectivité, tout en restant dans le cadre d'une démarche clinique. L'appel à des théoriciens d'horizons différents, alors que l'on souhaite faire un point, même rapide, sur une question qui préoccupe autant de champs divers que peut le faire la difficulté scolaire, devrait permettre de tenter une approche "multiréférenciée" dans les analyses.

Notes
228.

Souligné par nous.

229.

id.

230.

Marie-Jeanne BOMEY (1995) situe en 1983, l'apparition de cette notion d'élève "en difficulté", dans les textes de l'Education Nationale.