Les normes peuvent être statistiques, définies "scientifiquement" par rapport à une moyenne: normes de productivité en économie; normes de performance, en éducation: celles réalisées dans un domaine défini, et à une époque déterminée, par une population du même âge. Par exemple, d'après les normes du développement actuel dans notre culture, un enfant acquiert la marche et la propreté diurne, entre douze et dix-huit mois.
Les normes scolaires sont d'abord celles des programmes officiels, des niveaux de performances ou de "compétences" requis selon chaque classe ou à la fin de chaque cycle, au niveau de chaque "progression" mise en place au cours de l'année par les maîtres. Certaines normes sont donc nationales, le niveau des enfants concernés étant vérifié par des évaluations nationales elles aussi (évaluation de CE2, évaluation en classe de 6 ème, ou en classe de seconde des lycées). L'énoncé d'un objectif pédagogique opérationnel peut rapidement prendre valeur de norme. Ce peuvent être les échéances variables d'un maître à l'autre, ou d'une école à l'autre, pour que l'enfant "sache lire": "pouvoir résumer sommairement un texte lu" à l'issue du Cycle II (CNDP, 1991, p. 42). Nous avons évoqué l'intention scientifique qui avait présidé à l'élaboration des tests d'intelligence depuis le début du vingtième siècle. La question des normes y est on ne peut plus claire, puisqu'il s'agit de comparer d'une manière statistique un enfant avec d'autres enfants de son groupe d'âge, d'évaluer en particulier sa progression par rapport à une population donnée.
De nombreuses questions, présentes depuis les premiers tests d'intelligence de BINET et SIMON, se posent encore et toujours de manière insistante: qu'est-ce que "l'intelligence"? Peut-on, va-t-on la réifier?, Peut-on la mesurer? Que va-t-on mesurer? Quels vont être les critères de "normalité" ? Qui va évaluer, mesurer cette "normalité"? Par quels moyens? Ceux-ci seront-ils fiables 233 ? Des questions éthiques sont d'ores et déjà posées: peut-on faire de l'enfant un objet d'étude, d'observation, d'estimation, de statistiques? S'il s'avère que c'est nécessaire, avec quelles précautions, quelles réserves, quels objectifs? Est reposée dès le départ, en même temps que la question de la norme, celle de l'exclusion du système, des enfants dont l'intelligence ne sera pas estimée "normale". On pourra toujours s'interroger sur la validité, la fidélité, la sensibilité 234 des tests, sur ce qu'ils mesurent vraiment et de quelle manière. Pourra-t-on éviter, en particulier, de confondre performance et compétence, c'est-à-dire l'utilisation ponctuelle et observable de cette intelligence, dans une situation précise et à un moment donné, la seule chose à laquelle on puisse accéder, et les potentialités de la personne, ce qui échappe à l'observation 235 ? Prendra-t-on en compte tout ce qui, de l'histoire du sujet ou de la situation présente, peut entraver son efficience 236 ? Evitera-t-on de confondre le sujet et ses productions, de figer durablement l'individu dans des classifications ponctuelles? La "fièvre évaluative" qui agite depuis plusieurs années le monde de la pédagogie, se heurte aux problèmes soulevés par l'évaluation de ce qui repose sur des critères, reconnus, par nature, subjectifs, en opposition aux performances ou aux comportements concrets et directement observables, bien délimités et définis par des indicateurs, qui se voudraient "objectifs" et "scientifiques". Une question se pose: Est-ce que tout est susceptible d'être mesuré, d'être objet d'évaluation?; elle a comme corollaires: Est-ce que tout est susceptible d'être normalisé? Que serait cette "normalisation? Que peut-on entendre par "norme"? A quelles normes se réfère-t-on?
Lorsque l'on tente de mesurer les résultats, et c'est la seule chose vraiment mesurable, on valorise ceux-ci au détriment du parcours que le sujet a effectué pour y parvenir, errance qui est souvent ce qui a le plus accru son savoir, y compris son savoir sur lui-même. ‘ "...notre société de contrôle propose des formes d'enfermement qui nient la valeur du savoir du parcours." ’ (Alain GUY 1995, p. 56). C'est ainsi que Alain GUY décrit les ‘ "tentatives pseudo-démocratiques de contrôle généralisé." ’ (id). Privilégier les résultats revient à ignorer l'ensemble des processus, des tâtonnements, des errances, qui ont conduit vers ceux-ci. Juger un élève d'après sa réussite actuelle, ne dit rien sur les obstacles qu'il a dû surmonter pour y parvenir: ‘ "Qu'est-ce qu'un élève "épanoui" ou un élève "donnant le meilleur de lui-même" sinon un sujet qui parvient à s'insérer dans des paramètres posés au préalable et dont on ne dit rien sur la genèse? " ’ , demandent J.C. DESCHAMPS, F. LORENEZI-COLDI, et G. MEYER, (1982, p. 14).
Le "Guide pour les enfants et adolescents en difficulté" (NERET, 1981, p. 7), nous a paru résumer assez bien l'ensemble de ces normes: ‘ "Le système éducatif - celui d'aujourd'hui comme celui d'hier - est construit avec méthode pour des enfants d'intelligence normale (c'est-à-dire la moyenne des capacités et des chances de la plupart des individus vivant dans une même société) jouissant d'un bon équilibre et dont la progression psycho-motrice et affective ne présente ni retard ni avance sur les étapes pédagogiques." ’ Relevons ce qui concerne les normes, notre objet n'étant pas ici de réaliser un commentaire de ce texte. Est posée ici la question de la norme par rapport au programme qui régit chaque année scolaire - ou chaque cycle à présent - , et de la norme scolaire par rapport aux capacités intellectuelles de l'élève. L'école a pour mission première d'instruire les enfants et ce, selon des conceptions et des contenus liés à la culture dans laquelle elle est insérée. Elle se donne également pour mission d'éduquer et de transmettre aux enfants un certain nombre de règles de vie qu'elle estime nécessaire à la vie collective du groupe scolaire, et à la vie en société d'une manière plus générale. De ce fait, l'école obéit à des normes qu'elle reproduit et transmet. Elle est structurellement normative 237 .
Cependant, à côté des normes statistiques, il est des normes que l'on peut qualifier "d'idéologiques".
A ce sujet, les interrogations de Charles HADJI (1992).
En psychométrie, on exige d'un test:
fidélité ou reproductibilité, dans des conditions de passation identiques;
sensibilité ou finesse discriminative;
validité ou garantie que le test mesure bien ce qu'il est sensé mesurer.
Charles HADJI (1992, p. 64).
Comme l'ont montré les travaux de René ZAZZO et de Michèle PERRON-BORELLI, concernant la question de la "pseudo-débilité" (cités dans le chapitre IV, point 3-1-2).
"...il ne s'agit aucunement de nier norme, code, contraintes et déterminations sociales. Ce "déjà-là" est nécessaire... Le travail d'un enseignant serait de ne privilégier ni la norme dite sociale, ni la poétique de chacun, mais leur articulation." (CIFALI, 1994, p. 228).