Conclusion

L'enfant en difficulté à l'école conduit à interroger, inévitablement, les normes scolaires, puisque c'est par rapport à celles-ci que la difficulté de l'enfant est devenue manifeste, aux yeux de son enseignant. Les réponses à ces questions nous ont renvoyée à la notion de normalité ou de handicap. Si le handicap a été défini, quelles que soient les réserves que l'on puisse émettre, par des critères à la fois personnels et sociaux, nous avons vu que la frontière entre "normalité" et "pathologie" est on ne peut plus floue, variable selon les auteurs, et jamais stabilisée pour le sujet. Le critère "d'adaptation", tant dans le regard social qui estime qu'un sujet est, ou non, "adapté" à son contexte, que dans le sentiment subjectif d'être ou non "adapté", peut être considéré comme un indice de "normalité". Mais où se trouve "la frontière"? Encore faut-il, de plus, que cette adaptation soit active et créative, et ne soit pas soumission sans examen au contexte. C'est dire la très grande complexité de ces questions et la difficulté à les "opérationnaliser" de manière à les entendre comme aptes à fournir des indicateurs "objectifs" d'une quelconque catégorisation des sujets, entre "pathologie" et "normalité". C'est pourtant de cette distinction que nous pourrons avancer une indication d'aide rééducative pour un enfant.

Où en sommes nous dans la connaissance de cet enfant en difficulté à l'école, auquel, peut-être, sera proposée une rééducation? Nous savons qu'il est à l'école, et qu'il "a des difficultés", ou bien qu'il "est en difficulté". Nous avons saisi toute la marge qui sépare un point d'achoppement bien délimité, d'une difficulté qui diffuse son malaise, atteignant l'intégrité du sujet. Nous avons ressenti l'importance de l'enjeu que constitue pour un enfant le dépassement de ses difficultés actuelles. La réussite de sa vie sociale, de sa vie professionnelle, et de sa vie privée en dépendent.

On constate un échec, mais on surmonte des difficultés, on les dépasse. On prend acte d'un échec, on en souffre, et on ne fera peut-être rien d'autre que de fuir cette situation. Par contre, on s'affronte à des difficultés, on peut les dépasser, même si la souffrance est présente. Parler de "difficultés scolaires" plutôt que "d'échec scolaire", selon l'usage actuel, semble donc permettre de dépasser un constat figé, et des explications rédhibitoires. Le terme de difficulté paraît pouvoir être porteur d'une dimension plus dynamique: on va tenter de comprendre ce qui se passe, et le pari est posé que le sujet pourra dépasser sa difficulté, s'il trouve les conditions favorables pour le faire. Le champ que recouvre ce terme n'en est pas moins large que celui d'échec. Ces "difficultés scolaires" pourront être dues à de "simples" difficultés dans les apprentissages - sont elles "simples" quelquefois? -, ou résulter de la conjugaison de difficultés à entrer dans les apprentissages, ou à intégrer ceux-ci, avec des difficultés d'origine familiale, psychologique ou culturelle. Il s'agit alors de pouvoir offrir à l'enfant "ces conditions favorables", pour s'interroger au plus près sur ce qui constitue SA difficulté, dans la singularité de son histoire.

Nous sommes convaincus qu'il nous faut quitter les discours généraux sur "la" difficulté scolaire, pour nous interroger sur la difficulté spécifique d'un enfant, dans l'interaction entre le contexte scolaire dans lequel il est tenu de s'inscrire, son contexte familial, son histoire privée et scolaire. Nous avons confirmation que des difficultés émotionnelles, relationnelles, affectives, réduisent sa disponibilité dans les apprentissages. Nous comprenons que sa difficulté à l'école met en jeu la totalité de sa personne consciente et inconsciente, et la totalité de son histoire. Nous admettons que sa difficulté scolaire peut avoir le sens et la fonction d'un symptôme. Nous sommes prêts à écouter le sujet qui est en l'élève. Nous sommes disposés à essayer de l'entendre, c'est-à-dire à tenter de comprendre quelque chose de son mal-être. Notre fonction d'éducateur, de pédagogue, d'aidant dans l'école, nous désigne pour le faire. Elle nous assigne également à faire quelque chose pour tenter de l'aider à dépasser la situation difficile dans laquelle il se trouve.Nous avons compris qu'il nous faut nous garder "d'adjectiver" l'enfant, de "l'objectiver", d'en faire "un objet d'observation", et qu'il nous faudra trouver d'autres voies pour le connaître, lui et "sa" difficulté. Il a été relevé que cette connaissance ne peut se concevoir, parfois, et ce, en particulier, lorsqu'elle concerne le fonctionnement psychique du sujet, qu'au sein d'une rencontre clinique avec l'enfant.

S'il existe des représentations spécifiques, différentes, de la difficulté scolaire, au sein même de l'école, comme le constatent à leur tour Joëlle PLAISANCE et Fabienne SCHERER , comment faire pour que ces approches ne se contredisent pas, n'entrent pas en concurrence, ce qui reviendrait à les annuler, mais se conjuguent, s'articulent, s'apportent mutuellement la richesse de points de vue différents, parce qu'émis de places différentes? Autrement dit, comment introduire et mettre en oeuvre, puisque nous venons de l'évoquer au sujet de l'élève et des méthodes pédagogiques qui le préconisent, le "conflit socio-cognitif" au niveau d'une équipe pédagogique? Un "conflit socio-cognitif" qui ait comme objectifs de mieux connaître l'enfant en difficulté et ses besoins, et de déterminer l'aide la plus appropriée à offrir à un élève en difficulté à l'école?

Les questions qui pourraient fédérer leur réflexion commune pourraient être: que se passe-t-il pour un enfant qui éprouve des difficultés face aux apprentissages? Mais aussi, paraphrasant "le petit Paul", frère de Marcel PAGNOL, dont nous avons rapporté les paroles en exergue: que se passe-t-il pour un enfant qui "ne joue plus à apprendre" à l'école, parce qu'il perd (presque) toujours)?

"‘ L'échec scolaire est un phénomène complexe, multifactoriel. S'il suffisait d'apporter un peu plus de lecture ou d'orthographe, il y a beau temps qu'on n'en parlerait plus. ’"
(DUCOING, 1987, p. 26).