Dépasser des enjeux affectifs, des fantasmes d'échec, pour être à nouveau disponible pour cet enfant.

L'enjeu de la réussite scolaire est parfois vécu d'une manière très personnelle par certains enseignants. Dédramatiser ensemble la situation de difficultés scolaires d'un enfant, permet de sortir de cette peur de l'échec et d'une situation de crispation dans lesquelles le maître se trouve englué, lui aussi, quelquefois, se considérant comme seul responsable et coupable de cet échec (1).

"Je ne sais plus comment faire. J'ai tout essayé. Il "n'accroche pas" avec moi. Je n'arrive pas à trouver les mots qui conviennent. Il se bloque dès que je tente de lui expliquer quelque chose, ou à la moindre remarque de ma part. Je n'en peux plus, il m'épuise.", explique Christine, maîtresse de CE1. Cette situation, on le conçoit aisément, ne peut qu'être préjudiciable au maître, à l'enfant, et à leur relation.

Il nous faut ajouter qu'il est normalement décidé, à la fin de cet entretien, si nécessaire, des stratégies à mettre en place, afin de disposer d'éléments complémentaires d'information, concernant la situation de l'enfant (rencontre avec l'assistante sociale, contact avec une psychologue "extérieure" qui a suivi l'enfant, observations complémentaires de l'enseignant, etc...).

Le travail en collaboration, en articulation, des partenaires éducatifs, permet souvent au maître, de se sentir moins seul face aux difficultés de l'enfant, d'en comprendre mieux les manifestations et la logique, d'ouvrir le champ de son acceptation et d'en repousser les limites 267 Ce qui se passe pour l'enfant, se passe pour tout sujet. Lorsqu'il est préoccupé, l'enfant voit entamées ses capacités créatives. Il en est de même pour tout adulte. La pratique montre que le dialogue avec le collègue enseignant rassure souvent celui-ci, et permet de dédramatiser certaines situations dans lesquelles il se trouve "pris" affectivement. La distanciation par rapport à ses propres processus affectifs, peut permettre à l'enseignant, qui récupère ainsi ses possibilités de créativité, de trouver lui-même d'autres voies pour rendre plus viable la cohabitation avec cet élève. Le fait de "mettre des mots" sur ce qui se passe avec un élève, permet au maître de clarifier pour lui-même ses réactions, en s'interrogeant à leur propos devant un tiers.

Ce fut la remarque formulée par Laure, maîtresse de CE1, qui, à l'issue d'une rencontre pendant laquelle elle avait "fait le point sur les élèves de sa classe", a déclaré à la rééducatrice: "Cela m'a fait beaucoup de bien de parler de mes élèves. Je ne pensais pas pouvoir dire autant de choses de chacun d'eux." C'est ainsi que les paroles émises lors de cette rencontre, permettent quelquefois, ainsi, à l'enseignant, d'approfondir sa connaissance de l'enfant, en rendant simplement explicite pour un autre qui écoute, en faisant énacter, une connaissance qui était là, mais floue, parce qu'implicite 268 . La réflexion en commun peut aider le maître à trouver des voies nouvelles pour aider cet élève. Cette rencontre préalable est, de fait, quelquefois suffisante pour que quelque chose se déclenche, conduisant à ne pas proposer une aide spécialisée à l'enfant, pour l'instant, du moins.

Où en est-on du processus d'analyse de la demande, et de quelles informations dispose alors l'équipe du réseau pour poser une indication?

Notes
267.

C'était déjà ce que signalaient les enseignants interrogés, lors de l'enquête menée par Jean-Louis DUCOING en 1987, enquête que nous avons relatée dans le chapitre IV, point 3-3-3.

268.

Francisco VARELA cité par Philippe MEIRIEU (1989, p. 8): "L'idée fondamentale est que les facultés cognitives sont inextricablement liées à l'historique de ce qui est vécu, de la même manière qu'un sentier au préalable inexistant apparaît en marchant" "les connaissances ne sont pas prédéfinies, mais énactées: on les fait émerger."