4- Une première hypothèse concernant l'indication: L'aide pédagogique du maître.

4-1- Elle semble pouvoir être suffisante pour certains de ces enfants.

La mise en place des réseaux d'aides spécialisées a été simultanée à celle des cycles dans l'école primaire. Le texte de 1990 le rappelle: "la première aide à apporter aux élèves relève de leurs propres maîtres, dans le cadre d'une pédagogie différenciée. 270 " . La mise en place des cycles à l'école primaire, l'incitation faite aux enseignants de pratiquer une pédagogie différenciée, oeuvrent dans le sens d'une meilleure intégration scolaire, d'un public d'enfants devenu de plus en plus hétérogène, et donc participent d'une prévention de leurs difficultés, comme de la lutte contre l'échec scolaire.

Certains enfants, de par leur "habitus" familial, n'ont été familiarisés, ni avec le langage, ni avec les objectifs ou les modes de pensée de l'école. Leur milieu familial privilégie les modes d'une pensée concrète, plutôt que l'abstraction, valorise la force physique plutôt que celle de la pensée, les actes plutôt que la parole. La vie n'est pas parlée, ni les affects 271 . Peu ou pas de livres invitent certains enfants au monde de l'écrit. Ce manque de stimulation ne les prépare que bien peu à entrer dans le monde culturel que leur offre l'école, même si les parents, et ce n'est pas toujours le cas, leur répètent "qu'il faut bien travailler à l'école". La confrontation avec le monde des apprentissages, cristallise des difficultés qui n'apparaissaient pas auparavant. On peut penser, semble-t-il, que cette situation est typiquement celle qui relève d'abord de l'enseignant, et ensuite seulement d'une aide spécialisée, si cette première aide se révèle inopérante. Il semble avéré aujourd'hui, grâce aux études qui se sont consacrées à ce que les pédagogues nomment "le conflit socio-cognitif", et grâce aux travaux de VYGOTSKY redécouverts récemment, qui établissent le lien entre développement, intelligence, et certaines conditions didactiques favorisant ce développement, qu'il est possible de stimuler le développement intellectuel de l'enfant. Que ce soit par l'apport du groupe confronté à une situation-problème, et par l'enrichissement mutuel né des échanges, ou grâce aux propositions de l'enseignant situées dans la ‘ "zone proximale de développement" ’ de l'enfant 272 , le développement de l'enfant peut être stimulé par des propositions et des conditions adaptées.

Certains maîtres s'organisent pour aider individuellement et ponctuellement des élèves. Cette aide peut être "le coup de pouce" qui permet à l'élève de repartir. C'est ce qu'on pourrait désigner par le terme de "soutien ordinaire". Face aux difficultés particulières d'un enfant, ou d'un groupe d'enfants, le maître ajuste ses méthodes, ses stratégies pédagogiques. Une aide méthodologique, une reprise des notions par d'autres voies, d'autres méthodes, une attention soutenue à ses difficultés particulières, peuvent permettre à l'enfant de comprendre ce qui est attendu de lui, d'y répondre, et de reprendre confiance en lui et en ses possibilités, afin de continuer sa route d'écolier en se reprenant en charge. C'est ce que peut lui apporter le maître par une aide différenciée, plus individualisée.

Cependant, une modification seulement didactique peut-elle suffire pour répondre à la question de l'échec scolaire? ‘ "On ne peut négliger cette interrogation, car il faut prévenir les emballements propres à déboucher sur des déceptions démobilisatrices, comme on l'a constaté antérieurement à propos de tant d'autres formules qui, d'abord proclamées miraculeuses, ne se sont pas avérées à la hauteur de l'attente." ’ ( AVANZINI, 1989, p. 10). Les enseignants sont tout à fait conscients que la seule mise en place des cycles, assortie de l'application d'une pédagogie différenciée, ne peuvent résoudre les difficultés de tous les enfants.

Un travail collectif sur les règles sociales, sur l'intégration de ces lois, et l'amélioration de la communication au sein de la classe, peuvent aider un enfant en difficulté, et constituer un véritable travail thérapeutique 273 . La classe, avec ses activités variées, peut être un lieu d'expression de l'imaginaire, de réassurance de l'enfant sur le plan cognitif, affectif et relationnel. Il peut y trouver de nouveaux repères identificatoires, sous la forme d'adultes, maître et intervenants divers, mais aussi sous la forme de collatéraux. La classe, enfin, pour les enfants dont les familles elles-mêmes sont en difficulté, peut représenter un lieu protégé du milieu social, une sorte de "prothèse", lorsque ce contexte social est vécu comme perturbant, envahissant, plein de dangers.

Notes
270.

Circulaire n° 90-082 du 9 avril 1990, p. 1041, point 1-2. Souligné par nous.

271.

Nous nous référons à l'analyse qu'en fait Jacques LEVINE (1993-1). Colette PORTELANCE (1994, p. 57) s'intéresse aux différents facteurs qui ne permettent pas à une communication réelle de s'instaurer. Parmi ceux-ci, elle situe les problèmes de vocabulaire en première place: "Les problèmes d'incommunicabilité causés par l'incompréhension du code sont beaucoup plus nombreux et plus subtils qu'on peut le croire. L'une des causes d'échecs de certains élèves de milieux défavorisés est que ces derniers, dont le vocabulaire se limite à peine à mille mots, ne comprennent pas l'information transmise par certains de leurs professeurs dont le vocabulaire atteint trois mille mots et plus."

272.

In SCHNEUWLY B. et BRONCKART J.P. (1989, p. 95 à 117).

273.

C'est ce que démontre Francis IMBERT (1994), d'une manière particulièrement éclairante.