4-3- La difficulté scolaire conduit souvent à une relation souffrante.

L'enseignant se retrouve souvent désemparé, et pris lui aussi dans cette difficulté, et bientôt, dans une relation en difficulté, si la situation n'évolue pas. ‘ "Il n'y a pas de recette miracle, s'il y en avait une, quoi qu'on en dise, cela aurait fini par se savoir. Il n'y a que l'effort, sans cesse à renouveler, pour essayer de comprendre, pour créer l'étincelle, trouver le "truc" dérisoire en apparence et qui, pourtant, va tout changer. Il n'y a pas de recette car le rapport éducatif échappe toujours à ce que l'on peut en dire de l'extérieur; c'est une histoire complexe qui met en jeu des énergies, où se fomente le désir, où s'éprouvent de l'amour et de la haine, où se côtoient presque en permanence, la tendresse et la colère." (MEIRIEU, 1987, p. 45). La souffrance de l'enfant devient ainsi la plupart du temps une souffrance partagée 274 . Le maître peut se sentir piégé dans une relation duelle qui devient enfermement réciproque. L'enfant qui est enfermé dans un symptôme, qui souffre, qui est en échec, cherche inconsciemment à entraîner l'autre dans une relation duelle, symbiotique, imaginaire. Cependant, à l'intérieur de cette relation, la parole n'est plus possible, et les partenaires de la relation se retrouvent dans une impasse 275 . L'adulte est pris parfois dans l'urgence de la situation, et il se donne ou on lui délègue (les parents, l'équipe des autres maîtres, l'enfant lui-même...), l'obligation de régler le problème de l'enfant, à la place de celui-ci. Il peut alors être utile, voire nécessaire, qu'un tiers intervienne dans la relation de l'enfant aux apprentissages, mais aussi dans une relation qui risque de s'être trop refermée sur elle-même 276 .

Il a semblé à l'équipe du réseau d'aides et à l'enseignant, que pour Céline par exemple, dont l'opposition à l'adulte, même si elle rejouait peut-être avec le maître quelque chose de la relation à la mère, ne bloquait pas actuellement les capacités de pensée et d'apprentissage. Le maître posait un pronostic favorable qui attestait de leur relation encore "ouverte" aux évolutions possibles. Il pensait possible d'explorer d'autres stratégies, pour aider Céline à dépasser ses difficultés. L'aide de l'enseignant pouvait suffire, du moins pour l'instant. Le fait d'être dans l'école, pour l'équipe du réseau d'aides, permet cependant de ne pas se crisper sur des solutions "définitives" du type "tout ou rien" et de pouvoir à tout moment reparler avec le maître concerné de la situation d'un enfant particulier, de son évolution, et d'envisager à nouveau le problème, si cette évolution ne semble pas favorable.

Il n'est pas question d'essayer toutes les solutions l'une après l'autre. Par contre, et le texte de 1990 le souligne, l'enfant doit déjà avoir bénéficié de "l'aide de son propre maître" 277 . C'est la raison pour laquelle, dès la "feuille de demande d'aide", et lors du premier entretien avec le maître, il est important de faire le point avec l'enseignant à partir de ce qu'il a déjà tenté pour cet enfant, avant d'engager une aide spécialisée, quelle qu'elle soit.

Quelle indication poser pour les autres enfants que nous avons évoqués?

L'hésitation était plus grande en ce qui concernait les autres enfants. Il apparut qu'il était nécessaire de tenter un autre type d'aide auprès de Jimmy , Jean, Priscilla, Jordane, Thomas, Camille, Christophe ou Jérémie , tout en s'interrogeant sur ce que pouvait bien signifier cette exigence, ce vouloir "trop bien faire", ce manque de confiance en soi de Thomas, Camille, Jérémie ou de Jean, cette "paresse" de Jordane, cette lenteur exagérée de Camille, ce mouvement incessant, chez Jimmy, ce reste de "pensée magique" devant l'apprentissage de Christophe, comme ses difficultés à passer d'une pensée concrète à une pensée plus formelle?

Si ‘ "l'aide spécialisée n'est requise que lorsqu'une réponse pédagogique suffisamment efficiente n'a pu être apportée ou que le recours à l'aide spécialisée s'impose, d'emblée, comme une évidence..." 278 , quelle aide proposer aux autres enfants? En fonction de quels éléments? Nous possédons à présent quelques éléments d'information à propos de cet enfant. Il nous faut savoir ce qui est possible, réalisable, dans l'école et hors l'école. Que savons-nous de ces aides qui existent à l'école, et, en premier lieu, de ce que cette aide, "l'aide spécialisée à dominante pédagogique", créée de toutes pièces par le texte de la circulaire d'avril 1990, offre à l'enfant en difficulté?

Notes
274.

Mireille CIFALI (1994), Une difficulté en question. Tirage à part, p. 1 à 6, annoncé alors par l'auteur comme à paraître dans Cahiers du Service du soutien pédagogique de l'enseignement primaire et enfantin, (1995) Lugano, décrit cette difficulté de l'adulte face à l'enfant en difficulté.

275.

Yves de LA MONNERAYE (1994) insiste sur cet enfermement réciproque.

276.

Francis IMBERT (1994) décrit avec force cet enfermement duel dans lequel enfant et enseignant peuvent se trouver piégés, sans pouvoir envisager une issue. La réponse qu'il propose, dans le contexte spécifique de la Pédagogie Institutionnelle, est la médiation et l'institution de lois par le groupe-classe.

277.

Circulaire n° 90-082 du 9 avril 1990, p. 1041, point 1-2.

278.

Circulaire n° 90-082 du 9 avril 1990, p. 1041, point 1-2.