6-2- Rencontre(s) avec les parents et avec l'enfant.

Certains parents viennent porter eux-mêmes une demande d'aide pour leur enfant, à une personne précise du Réseau. Ce peut être parce qu'ils connaissent personnellement cette personne: ils l'ont rencontrée au cours d'une réunion de parents, elle a aidé un autre enfant de la famille, celui d'une voisine, d'une amie, la maîtresse leur en a parlé...

La plupart du temps, dans la démarche habituelle, dont nous avons rendu compte, suite à la demande du maître et à l'entretien avec celui-ci, c'est la personne de l'équipe qui a la responsabilité de la suite de l'analyse de la demande, qui va proposer une rencontre avec les parents. Certains réseaux d'aides spécialisées confient ces premiers entretiens à la psychologue scolaire. Cette pratique n'est pas généralisée, et elle peut être discutée 281 . Lorsque l'on a pris conscience que des choses capitales pour la suite du processus, se disent lors de ce premier contact entre un "aidant éventuel", la famille et l'enfant, que c'est aussi un moment fondamental de positionnement de cet "aidant" par rapport à l'enfant et à sa famille, on peut souhaiter pratiquer ou participer (pourquoi pas à deux?) (à) cet entretien. La rencontre avec ISMENE, apportera une illustration exemplaire de l'importance du premier entretien, et de la présence souhaitable de la personne supposée poursuivre le travail ensuite. Nous n'oublions pas que, de toutes façons, à cette étape du processus, rien n'est sûr, que l'indication n'est pas posée, et que cet entretien n'aura peut-être pas de suite ou pas une suite avec le rééducateur. Avant de parler d'Ismène, il nous faut préciser ce qui est attendu de ces rencontres avec les parents, quant à la connaissance de l'enfant et de ses difficultés.

Elles permettent de compléter, d'affiner les informations estimées nécessaires pour poser l'indication. Chaque fois qu'elles le concernent personnellement, les questions sont posées directement à l'enfant. Lorsqu'elles sont posées aux parents, l'enfant est sollicité pour donner son avis sur la réponse des parents. Ce qui compte, c'est de "faire tourner" la parole, que chacun puisse intervenir, de sa place. L'important est que l'enfant se sente pris en compte, lui et ce qu'il dit, et qu'il puisse faire l'expérience que son opinion est importante pour les choses qui le concernent. Quels sont les points abordés, avec l'enfant et ses parents? Comment est l'enfant à la maison? Y a-t-il eu un événement familial ou personnel qui pourrait le préoccuper? Quelles sont ses relations avec la fratrie? avec les parents? Qu'est-ce qui l'intéresse? Quels sont ses projets, ses ambitions (personnelles, professionnelles,...)? Y a-t-il des problèmes particuliers? Comment vit-il l'école? Comment se passe le moment des devoirs scolaires? Les parents ont-ils rencontré l'enseignant? A-t-il des copains? Est-il aidé actuellement, à l'extérieur de l'école, et/ou a-t-il bénéficié d'une aide, et sous quelle forme? etc...Il ne s'agit pas de reconstituer l'anamnèse de l'enfant, mais de tenter d'avoir une vision globale de sa vie actuelle, de son histoire, au présent 282 .

Souvent, l'enfant sollicité par une question de l'intervenant, hésite à répondre, regarde ses parents (sa mère le plus souvent), comme pour quêter l'autorisation de répondre. La mère doit intervenir "Mais oui, c'est à toi de le dire" Cette autorisation de la mère semble importante. C'est en quelque sorte une autorisation de parole qu'elle donne à son enfant 283 .

Rencontrer les parents, équivaut quelquefois à des "entretiens de prévention" , c'est-à-dire qu'une indication d'aide spécifique à l'enfant n'en découlera pas toujours. Il peut y avoir une ou plusieurs rencontres dans ce cas. L'entretien lui-même peut dédramatiser des difficultés entre la famille et l'enfant, faire que la communication circule, et qu'une aide spécialisée ne s'avère, désormais, pas nécessaire 284 .

Que se passe-t-il au cours de cet entretien? Souvent, les parents se plaignent de l'enfant qui n'est pas conforme à leurs attentes, à leurs désirs, à l'idéal de l'enfant qu'ils s'étaient forgé dans leurs représentations, à "l'enfant merveilleux" 285 que leurs fantasmes avaient fait attendre à sa naissance, fantasmes auxquels ils ont des difficultés à renoncer pour accepter l'enfant de la réalité qui est là. "Il désobéit", "il ment", "il vole", il "fait encore pipi au lit, à son âge", "il est lent", "il faut toujours être derrière lui", "les devoirs, c'est une corvée"...Ou bien ils apportent leur inquiétude: "il pleure pour venir en classe", "il dort mal", "il mange mal", etc...Ou bien encore, ils relaient une plainte scolaire: ils ont rencontré l'enseignant qui leur a dit que cela "n'allait pas en classe" 286 .

Beaucoup de parents d'enfants en difficulté ont connu eux aussi une scolarité difficile, chaotique, et ils rejettent inconsciemment et en bloc, l'école, le maître et ses méthodes pédagogiques. Les enseignants se plaignent de ne jamais les rencontrer, soit individuellement, soit au niveau des réunions de parents qu'ils organisent pour leur classe. Ces rencontres entre une personne du réseau et les parents, permettent souvent de recréer des liens entre les partenaires éducatifs. Elles peuvent aider les parents à modifier leur regard sur leur enfant, mais aussi leurs représentations et leurs attentes concernant l'école, l'enseignant. Elles sont souvent incitation à leur faire rencontrer le maître de leur enfant, comme celui-ci pu être incité à rencontrer les parents pour les informer de sa démarche. Certains parents se désintéressent de l'école. Mais ce n'est pas la majorité. Pour d'autres, les difficultés de leur enfant ravive et réactualise pour eux des blessures anciennes, risquant de déclencher dans un premier temps des mécanismes de défense d'un narcissisme entamé. Le risque d'étiquetage, de stigmatisation scolaire de l'enfant comme "mauvais élève", est présent. Il est ressenti fortement par les parents. Il ne faut pas le minimiser, car c'est à l'intervenant spécialisé de faire en sorte qu'il ne devienne pas une réalité. Rien ne prépare les parents à différencier une difficulté normale d'une pathologie, des difficultés mineures d'adaptation, d'une inadaptation "déclarée".

L'enfant est invité à parler de lui, et on parle avec lui, de ce qui constitue sa vie à l'école et "hors l'école". Les deux registres principaux de sa vie d'enfant peuvent se rejoindre, leur existence et leur importance étant reconnues comme telles, dans la globalité de sa personne et de son histoire. Cet entretien permet de poser l'autorisation de principe, de la part des parents, pour une aide éventuelle de leur enfant.

Nous allons rencontrer à présent, quoique non exclusivement, des enfants pour lesquels une rééducation a été proposée, puisque nous avons choisi, comme nous l'avons annoncé précédemment 287 , de "classer" cette présentation, en fonction de la suite donnée. C'est à partir de la présentation de huit enfants, et en restituant les renseignements dont disposait l'équipe, à ce moment-là, à leur sujet, que nous allons conduire la suite de notre analyse concernant la pose de l'indication. Nous retrouverons certains d'entre eux lors de l'évocation de moments spécifiques de leur processus rééducatif 288 . Evoquer quelques uns de ces enfants, ne correspond pas à prétendre couvrir ici tout le champ des cas possibles, dans la mesure où nous savons que chaque situation d'enfant, est irréductible aux autres dans sa singularité. Nous chercherons simplement à posséder assez d'éléments pour pouvoir répondre à la question: Y a-t-il, dans l'école, des enfants relevant spécifiquement d'une rééducation?

Notes
281.

Echanges de pratiques entre rééducateurs de la Drôme, 1996-1997.

282.

Echanges de pratiques entre rééducateurs de la Drôme, 1996-1997. Nous nous sommes souvent référée, pour notre propre pratique, à l'ouvrage de Gérard POUSSIN (1992) et à celui de A. DEPAULIS (1992).

283.

Il s'agit ici d'une constatation clinique que nous avons souvent faite.

284.

Il semble que cet entretien prenne une forme spécifique en ZEP (Zone d'Education Prioritaire), selon ce qu'en rapportent les rééducateurs dont c'est le secteur d'intervention (Echanges de pratiques entre rééducateurs de la Drôme, 1996-1997). Des questions d'éducation, au sein de la famille, constitueraient souvent l'objet de ces échanges.

285.

Serge LECLAIRE (1975) décrit ces processus par lesquels tout parent doit passer

286.

Echanges de pratiques entre rééducateurs de la Drôme, 1996-1997.

287.

Dans le chapitre I: Méthodologie de cette recherche.

288.

Pour faciliter le repérage du lecteur, nous proposons en Index 2:"Cas d'enfants, par ordre de présentation", et en Index 3: "Cas d'enfants classés par ordre alphabétique."