9- L'enfant n'est pas prêt et/ou refuse une aide. Changement de place et "acte rééducatif", avant même qu'il y ait rééducation?

C'est ce qui s'est passé pour Ismène , dans un premier temps. Le contenu de l'entretien avec la mère et sa fille 296 , conduisait l'intervenante, rééducatrice en l'occurrence, à proposer la mise en place de séances préliminaires en vue d'une aide éventuelle pour la fillette. Cependant, la mère rapporta l'expérience "négative", l'année précédente, d'entretiens psychologiques, extérieurs à l'école, auprès d'Ismène, qui furent interrompus à la demande de la fillette. "J'aimais pas parler à la dame". Bien que l'aide proposée devait être différente, il ressortit de l'entretien, que la fillette n'était pas prête à s'engager pour l'instant dans un nouveau travail dans lequel, au vu de ses préoccupations actuelles, exprimées par la fillette elle-même, la parole sous toutes ses formes serait privilégiée. Un des objectifs premiers de ce travail, en effet, aurait consisté à l'aider à représenter, à symboliser, ses peurs, et ce qui pouvait la rendre indisponible en classe actuellement.

Il a été dit à Ismène le besoin qu'elle semblait avoir actuellement,. d'exprimer ce qui la préoccupait. Elle a écouté attentivement. Il lui fut dit également, qu'elle ne semblait pas prête à faire ce travail, et que l'on respecterait cela. La mère, confirmant le besoin de sa fille, à son avis, d'un travail de ce type, mais approuvant également le fait qu'il ne s'agissait pas de contraindre qui que ce soit à cette forme d'aide, il fut décidé ensemble d'attendre un peu, assortissant cette décision d'une invitation à la mère et à sa fille de "faire signe" dès qu'Ismène le souhaiterait, ou si un événement nouveau se produisait, ou encore si l'inquiétude de la mère augmentait.

Ce ne fut pas "une stratégie" de la part de la rééducatrice, mais simplement le fait de respecter une éthique qui fait considérer l'autre, quel que soit son âge, comme un sujet responsable, qui peut, et qui doit donner son avis en ce qui le concerne.

Est-ce le fait de lui avoir donné la parole en tant que sujet? Est-ce le fait qu'elle ait pu constater que l'adulte tenait parole et ne la contraignait pas? Quelques jours après, Ismène était près de la rééducatrice dans la cour, et venait lui parler...Le lendemain encore, elle venait l'embrasser, avant de rentrer en classe. Etaient-ce des "signes", des appels? Y a-t-il eu "Changement de place" et "acte rééducatif" avant même qu'il y ait eu rééducation? La suite de la relation avec Ismène, et ce que l'on peut considérer comme une démarche personnelle de demande d'aide, de la part de la fillette, pourrait le faire supposer. Si "l'acte", au sens psychanalytique du terme, se reconnaît à ses effets 297 , on pourrait penser qu'il y a eu "acte".

Se positionner vis à vis d'un enfant dès le premier contact, à une place de rééducateur, paraît avoir eu des effets. Décaler, déplacer d'emblée, aux yeux de l'enfant, la démarche volontaire ou acceptée (donc pouvant être refusée), de l'aide par rapport à l'obligation scolaire, et le prouver en mettant en actes ses paroles, c'est-à-dire en respectant son refus éventuel, est un premier changement de place par rapport au maître, et par rapport aux parents. L'enfant y est sensible, très jeune. Cela semble le premier acte possible pour qu'il puisse se sentir considéré d'emblée comme un sujet, comme un "inter-locuteur" que l'on écoute, que l'on entend, dont on respecte la parole. Peut-être portera-t-il lui-même sa demande d'aide, s'en faisant responsable, s'en faisant sujet, comme l'a fait Ismène...? Demande qui a, on ne peut plus de valeur, alors...

Notes
296.

évoqué au point 6-3 de ce chapitre.

297.

Augustin MENARD (1994): " D'une manière schématique on peut formuler que la parole est du côté de l'enfant, l'acte qui autorise cette parole du côté du rééducateur"( p. 76)..."Dans l'acte, il y a un avant et un après, et cela est irréversible." (p. 78).