Conclusion

NOTRE question: Y a-t-il, dans l'école, des enfants relevant spécifiquement d'une rééducation? nécessite de pouvoir différencier les difficultés de l'enfant, à l'école. Le problème se pose de définir, d'une manière la plus précise possible, s'il est des enfants dont la difficulté requiert une aide spécifique, au sein de l'école. Nous nous sommes interrogée sur les moyens que se donnent les partenaires éducatifs, pour mieux connaître cet enfant, pour mieux comprendre sa difficulté. Nous avons pu constater, qu'au-delà des variations entre les pratiques rééducatives, un consensus se dégage, pour mettre en œuvre une stratégie d'analyse de la demande d'aide, concernant les enfants en difficulté à l'école.

Qu'avons-nous appris, concernant cet enfant en difficulté à l'école?Connaître quelque chose de l'enfant et de ses difficultés, passe d'abord par prendre en compte les représentations qu'en a le maître, personnage fondamental dans la vie d'un enfant, et par entendre ce que ce maître peut en dire. ECOUTER et ENTENDRE le maître, au-delà du symptôme inquiétant ou dérangeant de l'enfant qui se donne à VOIR, permet d'instaurer une collaboration entre l'enseignant "ordinaire" et les intervenants spécialisés. Le maître n'est plus tout à fait seul face à la difficulté scolaire de cet enfant, même si une aide spécialisée ne se met pas en place d'une manière systématique, suite à la demande qui en est faite. Il sera toujours possible, d'ailleurs, de modifier les décisions, si la situation de l'enfant évolue. Cependant, "un objet tiers", qui est cet enfant et sa difficulté, existe désormais, entre eux. Ils pourront en reparler, y réfléchir ensemble, tenter d'analyser ce qui se joue. Passer de la PLAINTE à la DEMANDE est porteur de l'espoir que quelque chose est possible.

Pour l'enfant, le fait que le maître parle de lui à un tiers, le fait qu'il soit aidé, par cette démarche de parole, à dépasser l'enveloppe formelle du symptôme et les manifestations visibles de celui-ci, créé une ouverture dans laquelle son enseignant peut modifier des représentations figées, bloquées. Une impulsion à la relation entre eux, un dynamisme, peuvent en découler.

Lorsque l'enfant éprouve des difficultés par rapport aux objets d'apprentissage, lorsqu'il essaie, veut faire, même quand il ne réussit pas; quand les relations avec son maître ne sont pas bloquées, et que le désir d'apprendre est intact , l'enseignant est le mieux placé pour aider cet enfant. L'échange, la collaboration, avec l'équipe pédagogique et avec celle du réseau d'aides spécialisées, peuvent aider l'enseignant à renouveler son approche didactique, et à trouver de nouvelles voies pour aider cet enfant. L'attention est portée cependant sur les risques "d'acharnement pédagogique", toujours possibles.

Pour d'autres enfants, c'est la mise en oeuvre des apprentissages, qui pose problème. Ils ne parviennent pas à ajuster leurs processus de pensée, leurs techniques, leurs méthodes d'apprentissage. Des difficultés relationnelles avec le maître complexifient parfois la relation pédagogique. Pourtant, ils n'ont pas renoncé, ils désirent apprendre, et veulent réussir, malgré des échecs répétés. Ils peuvent parler de leurs difficultés et solliciter une aide . L'intervenant spécialisé de l'aide à dominante pédagogique va leur proposer son aide, au sein, le plus souvent, d'un petit groupe d'enfants, et sous la forme d'un "dialogue socratique", qui constitue un détour, vis à vis de la transmission des apprentissages. Cette aide devrait permettre à l'élève de mieux apprendre, en classe, avec son maître 308 .

Une énigme est posée par la difficulté d'autres enfants, laquelle apparaît, comme étant d'une autre nature. Nous avons réalisé, à partir du corpus dont nous disposions, un rapide "inventaire" des manifestations symptomatiques dérangeantes ou inquiétantes qui motivent le plus souvent une demande d'aide à l'endroit de ces enfants. Il va être nécessaire de rechercher des éléments d'information complémentaires, pour tenter de comprendre ce qui se passe pour eux à l'école, et, éventuellement, leur proposer d'autres formes d'aides. L'hypothèse est posée que des éléments de la vie personnelle de l'enfant interviennent peut-être dans la construction de ses difficultés à l'école. Rencontrer l'enfant avec ses parents est le premier acte qui va resituer l'enfant dans la globalité de sa vie scolaire et de sa vie privée, dans la globalité de sa personne et de son histoire. La rencontre avec les parents a pu éclairer d'un jour particulier les difficultés scolaires de l'enfant, et, en particulier, faire avancer l'hypothèse d'un lien "causal" entre la vie privée et familiale de l'enfant, et une vie d'élève et d'écolier, qui ne parvient pas à s'instituer. Lors de cette rencontre, les parents autorisent le rééducateur à rencontrer leur enfant, sur un terrain qui n'est pas pédagogique , pour mieux le connaître et tenter de comprendre ce qui se passe pour celui-ci. Nous avons constaté, à partir de l'exemple d'Ismène, un premier effet d'un changement de place du rééducateur, dans l'école.

Par ce qu'ils donnent à voir, certains enfants semblent avoir besoin de soins. Nous avons tenté de repérer les symptômes qui peuvent conduire à en formuler l'hypothèse. La pathologie semble marquée par des conduites figées, stéréotypées, répétitives, par une perte du dynamisme qui pousse tout sujet à s'accroître, et tout enfant à grandir. Elle semble concerner tous les registres de vie d'un enfant qui, non seulement, ne parvient pas à devenir un élève à l'école, mais ne réussit pas à être un enfant, dans tous ses lieux de vie. Cependant, les psychanalystes eux-mêmes mettent en garde contre une trop grande rapidité de "diagnostic", et une tendance trop hâtive, parfois, à médicaliser ce qui peut éviter de l'être.

Comment se repérer, puisque, comme le rappelle Mireille CIFALI (1994, p. 49), il est"parfois extrêmement difficile de déterminer si la position prise par un enfant menace de grever définitivement son sort, ou si elle est une étape nécessaire dans son parcours. les chemins de traverse sont inéluctables dans le grandir" ’?. Nous suivrons donc en cela la démarche que suggère Bruno NADIN (1992 In DEPAULIS): ‘ "L'approche clinique initiale consistera donc dans la distinction de ce qui peut être désordre profond de la vie symbolique et qui relève exclusivement du psychanalyste, ou, d'autre part, les réactions ou visées caractérielles saines d'un sujet occupé à résoudre les réelles difficultés de sa vie personnelle, familiale ou scolaire, et qui relève de tous les professionnels de l'enfance. 309 ".

Si l'équipe du réseau d'aides a opté, au vu des difficultés manifestes de Victor , pour lui proposer une démarche au CMP en vue, peut-être, d'une psychothérapie, bien des questions restent en suspend pour les autres enfants.

Le rééducateur va assurer les rencontres préliminaires à une rééducation éventuelle , avec l'enfant. Il semble nécessaire qu'il s'interroge, avant toute chose, sur les possibilités de changement de l'enfant, sur les ressources dont il dispose actuellement, pour changer quelque chose à une situation, qui, de toute évidence, le fait souffrir. De quoi l'enfant a-t-il le plus besoin? Sur quoi est-il possible d'agir? Sur quelles ressources de l'enfant pourra-t-on étayer cette aide?

La question du handicap éventuel de l'enfant, ne devrait plus se poser, normalement, à cette étape des investigations. Les questions auxquelles aura à répondre l'équipe du réseau d'aides spécialisées, à l'issue de ces séances préliminaires, pourraient se formuler ainsi:

  • Les difficultés de cet enfant semblent-elles relever d'une pathologie, donc nécessiter des soins? Une psychothérapie semble-t-elle nécessaire, ou bien ses difficultés restent-elles dans le registre de la "normalité", et devraient, en conséquence, pouvoir être résolues dans le cadre de l'école?
  • Comment entendre (comment "comprendre") sa difficulté scolaire? Autrement dit, quel sens et quelle fonction a-t-elle?
  • Qu'est-ce qui se joue pour cet enfant dans le lieu de l'école?
  • Quels sont ses besoins?
  • De quelles ressources psychiques dispose-t-il, pour dépasser ses difficultés?
  • Quelle aide semble la plus appropriée pour aider un enfant à dépasser ses difficultés, lorsque l'aide pédagogique "ordinaire" ou lorsque l'aide spécialisée à dominante pédagogique se trouvent démunies, et lorsqu'il ne semble pas avoir besoin de soins?

Pour appréhender ce que donne à voir et à entendre l'enfant au cours des séances qui vont avoir lieu, pour estimer dans quel registre se situent ses difficultés, pour comprendre ce dont l'enfant a besoin, et pour déterminer quelle aide pourrait le mieux répondre à ces besoins, pour estimer si, en tant que professionnel, il s'estime capable d'accompagner et d'aider cet enfant, et si l'enfant possède en lui suffisamment de ressources pour dépasser ses difficultés, le rééducateur a besoin de connaissances indispensables, qui seront des repérages dans la complexité du réel d'une rencontre, et dans l'implication affective d'un vécu commun. Il lui est nécessaire d'étayer ses analyses sur des connaissances de ce qui caractérise la pathologie, mais aussi de ce qui est nécessaire à tout enfant pour s'inscrire dans l'école, c'est-à-dire pour s'inscrire dans les apprentissages et dans des relations sociales satisfaisantes pour lui et pour les autres.

Quel est ce "parcours" vers "le grandir" d'un enfant? Quelles difficultés l'enfant a-t-il à surmonter, qui le préoccupent tant? Qu'entend-on par "désordre profond de la vie symbolique"? Qu'est-ce qu'une "difficulté normale", "saine", dans le parcours d'un enfant? A quel moment peut-elle risquer de devenir pathologique? Comment distinguer "chemins de traverse" et impasses? Il faut donc pousser les investigations plus loin, et continuer de chercher à comprendre, en particulier, par quels processus tout sujet noue ses liens sociaux et son rapport aux objets, y compris avec les objets "du savoir"? Tout en rencontrant l'enfant au sein de ces rencontres préliminaires, nous tenterons d'entendre et de comprendre ce qui se joue pour cet enfant à l'école.

Nous avons évoqué le lien entre "adaptation" du sujet au contexte dans lequel il est amené à devoir vivre, et "normalité" 310 . Les auteurs s'accordent pour reconnaître à l'adaptation, dans sa dimension créative, un processus vital pour le sujet. L'enfant doit s'adapter très jeune à l'école. S'il peut encore en être dispensé à l'école maternelle, situation de plus en plus rare, à partir du Cours Préparatoire, il ne peut plus se dérober. Que représentent les processus d'adaptation pour un enfant? Comment peuvent-ils être créatifs? Qu'est-ce qui est nécessaire à un enfant pour pouvoir s'adapter créativement à l'école? C'est à ces questions que nous devons tenter de répondre en premier lieu.

"Il faut naviguer entre deux extrêmes, synonymes de mort pour l'individu: le déracinement absolu et l'enracinement total."
Charles HADJI (1992, p. 107).

"Une aventure d'où l'on ne revient pas et qui peut se décrire en termes d'exode et non de méthode, de naissance et de métissage, d'errance plus que d'itinéraire et de curriculum, et de désert privé de référence..."
Michel SERRRES (1991, p. 156).

Notes
308.

Une synthèse des repères possibles pour une indication prend la forme de deux tableaux, en fin de cette deuxième partie.

309.

Souligné par nous.

310.

Chapitre V.