2- Le désir d'apprendre.

Des enfants en difficulté d'investissement des apprentissages.

A la suite de l'entretien avec leurs maîtres et suite à leur rencontre en compagnie de leurs parents, nous avons relevé l'inactivité inquiétante ou la passivité, l'opposition, la fuite dans le rêve, des peurs, des blocages, devant les apprentissages, de certains enfants...La demande d'aide de leurs maîtres, pour Bruno, Ismène, Alex, Frédéric, Loïc, Angélique et Roland, met en avant la difficulté de ces enfants à investir les apprentissages. "Volontaire pour aucune activité", "refus, destruction de ce qui est fait, n'achève rien", "bloqué", "ne s'intéresse à rien"...constitue une grande partie de la plainte de leurs maîtres à leur égard. Que se passe-t-il pour ces enfants? Est-il possible d'aider un enfant en ce qui concerne son "désir d'apprendre"? Qu'est-ce que le "désir d'apprendre"? Ce questionnement devrait nous permettre de recueillir des éléments d'information sur ce qui est en jeu dans la difficulté de certains enfants, et sur ce qu'il convient de leur proposer, afin de répondre aux questions: Quelle aide serait la plus indiquée? Comment la concevoir? Notre objectif est donc de réunir des matériaux pour répondre à la question: Y a-t-il, dans l'école, des enfants relevant spécifiquement d'une rééducation? mais nous en attendons également qu'ils apportent des éléments susceptibles de commencer à mieux nous faire comprendre ce qu'est le processus rééducatif.

Nous avons cité Françoise DOLTO, qui avançait (1989, p. 20), que ‘ "l'empêchement à se satisfaire dans son désir d'apprendre" ’ est ‘ "toujours intelligent" ’ chez un enfant. Sander KIRSCH proche de ces propos, déclarait à Strasbourg (1993),: ‘ "L'aptitude à la scolarité requiert l'intégration de toute une série de processus de développement. Quand il n'y a pas cette intégration, l'enfant doit dire "non" à la scolarité, jusqu'à ce qu'il trouve un nouveau sens à son intégrité menacée". L'entrée au Cours Préparatoire est un moment difficile pour un grand nombre d'enfants. Nous avons évoqué à quel point la réussite ou l'échec "au CP" déterminent les conditions de la scolarité ultérieure. Si l'enfant peut rencontrer des difficultés à tout moment de son parcours, ‘ "le CP fonctionne comme un puissant révélateur de l'histoire enfantine. Il en fait le bilan pourrait-on dire. C'est en ce sens qu'il constitue un franchissement." ’ (THIEFAINE, 1996, p. 10). Souvent, les difficultés rencontrées par l'enfant dans le cours de sa scolarité sont des survivances ou des résurgences des premières difficultés, révélées au moment initiatique au cours duquel il a quitté la maison parentale pour franchir les portes de l'école, et d'autant plus, lorsque c'était pour entrer "à la grande école"...

L'étude des dysfonctionnements a souvent éclairé les processus "normaux" par lesquels passe tout sujet. Nous nous proposons de réaliser une démarche inverse qui tente de comprendre ce qui se joue pour tout enfant lors d'un parcours toujours singulier qui le conduit à pouvoir entrer dans les activités de l'école, et dans les apprentissages, qui sont l'activité première et fondamentale de celle-ci. Les instructions officielles décrivant les compétences à acquérir par un enfant à la fin du cycle 1 327 , situent"le désir de connaître et l'envie d'apprendre" ’, comme ‘ "compétence transversale": "L'enfant s'intéresse aux questions concernant les hommes, les animaux, les plantes, le cycle de la vie, les phénomènes naturels, des objets techniques (pourquoi, comment ça marche?)"(p. 32). Deux questions se posent à nous, qui sont celles que se pose tout enseignant dans son acte d'enseigner, et tout aidant, dans son acte d'aider un élève en difficulté à dépasser ces difficultés.

  • Quels sont les préalables affectifs et relationnels à l'acte d'apprendre?
  • Si la "motivation" est un de ces premiers préalables, quels en sont les rouages?

Envisager d'intervenir au niveau de ce qui constitue la "motivation" ou "le désir d'apprendre" d'un élève, c'est se positionner d'emblée dans une conviction pédagogique qui pose que ‘ "la motivation n'est pas un état sur lequel on ne peut pas grand chose, mais un construit, un produit qui se fabrique...Le processus motivationnel a une origine affective, les émotions s'y conjuguent avec la raison, les expériences affectives de plaisir et de déplaisir, en sont le socle." ’ (ANDRE, 1993, p. 66). Ivan DARRAULT, de son côté, avance (1992, p. 14): ‘ "L'échec scolaire, d'une manière extrêmement massive, s'articule à une problématique du désir et non pas de déficit...Nous possédons des arguments très solides pour inscrire l'échec dans la problématique générale du désir du sujet et pas du manque et du déficit."Lorsque Ivan DARRAULT affirme qu'il est possible d'argumenter des liens entre l'échec scolaire et "la problématique du désir du sujet", c'est pour insister sur la nécessité d'une intervention qui favoriserait cette émergence du désir de l'enfant, et pour réfuter une aide qui s'inscrirait dans le registre de la réparation ou du comblement. C'est aussi pour écarter, d'une manière générale, en dénonçant le mot "déficit", les catégorisations trop hâtives qui assimilent échec scolaire et pathologie. C'est à la recherche de ces arguments que nous invitent les enfants en difficulté à l'école, enfants rencontrés lors des séances préliminaires, puis en rééducation.

Toutes les recherches en neuro-sciences démontrent l'importance de l'affectivité dans l'apprentissage: l'intervention des émotions et de la motivation en particulier, dans le fonctionnement et l'utilisation plus ou moins importants des possibilités du cerveau, dans son inhibition possible lorsqu'est rappelée une expérience douloureuse ou désagréable 328 . Jean PIAGET (1964) souligne l'interaction fondamentale des facteurs internes et externes et, d'autre part, le lien indissoluble entre affectivité et intelligence. Il reconnaît la dimension énergétique qui pousse un sujet vers l'acte d'appropriation et de construction de la connaissance et vers l'objet qui le suscite.

Face à l'échec scolaire d'un enfant, devant certains refus ou impossibilités d'apprendre, on entend souvent dire: "Il n'est pas motivé", avec son corollaire: "Comment le motiver?" René FOURCADE (1975) fait un inventaire non exhaustif des termes appliqués à la motivation humaine: mobile, tendance, pulsion, besoin, désir, pression, réflexe prédisposant, etc...et rappelle que ceux-ci sont mis en relation avec les comportements, les attitudes, les instincts, l'énergie, la conduite...pour en conclure à la complexité des déterminants de la motivation. Motivation, "curiosité intellectuelle", désir d'apprendre, "pulsion d'investigation", "pulsion épistémophilique"...Autant de termes rencontrés, évoqués, selon le champ de l'action menée, et des théories à laquelle celle-ci se réfère. Le "désir de savoir" et le "désir d'apprendre", ou encore le "désir de connaître", sont-ils un seul et même mouvement? A quelles réalités, à quels moments de "l'apprendre" correspondent ces concepts? Quelles sont les origines, quels sont les ancrages de ces différents désirs? Qu'est-ce qui peut bien faire qu'un enfant apprend ou n'apprend pas, investisse ou n'investisse pas, là où ses parents, ses maîtres, là où ceux qui ont mission de l'aider, voudraient qu'il investisse? Il nous faut répondre à cette question pour pouvoir juger de l'existence d'enfants relevant spécifiquement d'une "rééducation".

Si de nombreuses théories se sont intéressées au mouvement qui pousse un sujet à apprendre, la théorie psychanalytique a interrogé ce que la psychologie comportementaliste a nommé "la boîte noire". C'est donc ce référent théorique que nous devons interroger pour tenter de comprendre plus finement les mécanismes et les processus en jeu. La proposition de Daniel MARCELLI (1992) d'articuler les concepts de "connaître" "savoir" "apprendre" avec les instances psychiques, nous a paru pertinente pour organiser ces analyses.

Notes
327.

Centre National de Documentation Pédagogique (CNDP), (1991) Les cycles à l'école primaire. Rappelons que le cycle I correspond à la petite et la moyenne section de l'école maternelle, c'est-à- dire, les enfants de trois et quatre ans.

328.

La théorie de Paul MC LEAN, modèle structural pour élucider les différentes composantes de l'organisation de l'information par notre cerveau, et par niveaux (cité par Hélène TROCME-FABRE 1987, p. 21 à 23). En particulier, le cerveau limbique serait le siège des émotions, de l'empathie, de l'adaptation à l'environnement, de la mémorisation de l'expérience. Il pourrait bloquer l'information et l'empêcher d'accéder au néocortex et aux lobes frontaux, où cette information pourrait être traitée, analysée, etc... Antonio R. DAMASIO (1994), s'appuyant sur les neurosciences, met en évidence comment les émotions participent des processus cognitifs et de la pensée rationnelle.