2-2-3- Qu'en est-il dans le domaine de l'éducation, de la pédagogie? Du "désir" de l'élève...

La "pédagogie de l'intérêt" ou "des centres d'intérêt", la pédagogie du projet, toutes les pédagogies dites "actives", sont des applications directes de cette recherche de développement des motivations des enfants, en pédagogie. Si l'éducation consiste en "une action exercée sur un individu ou un groupe et pouvant entraîner des réactions, pour faciliter, infléchir ou modeler leur développement" (HADJI, 1987) 341 , comment s'exerce cette action? Par quelles voies? Comment éviter que le désir légitime de l'enseignant envers l'enfant: que celui-ci réussisse, qu'il devienne plus autonome, qu'il s'exprime, qu'il soit inventif, etc..., devienne tellement prégnant, qu'il ne laisse aucune place pour que celui de l'élève puisse émerger? C'est ce qu'exprime Philippe MEIRIEU (1991)"Le projet de faire apprendre est légitimement impatient. L'apprentissage est constitutivement hésitant. L'enseignant, qui est déjà de l'autre côté du savoir, est mortifié du temps perdu à le rejoindre" (p. 108). Il est nécessaire "...(d')équilibrer un légitime désir de maîtrise et une volonté indéfectible d'offrir à autrui les moyens d'y échapper."(id., p. 165).

Séduction et suggestion font-elles partie intégrante du processus éducatif? demande Mireille CIFALI (1994). Comment l'adulte peut-il "se déprendre" afin de ne pas aliéner l'enseigné, pour que ce dernier soit capable de poursuivre seul sa route, et qu'advienne son désir et non celui de ses parents ou de son maître? Marie-Claude BAIETTO (1982), démonte ce qu'il en est de la "prise de pouvoir" et de la recherche de maîtrise sur l'autre au sein même des pratiques pédagogiques non-directives. C'est ce qui se produit, selon cet auteur, lorsque l'enseignant veut "capter la totalité de l'élève" pour "mieux le comprendre", mieux "LE" "savoir". L'amalgame entre la fonction enseignante et la fonction "d'analyste du groupe", risque de conduire à la clôture narcissique de l'espace pédagogique, au détriment, non seulement des apprentissages, mais aussi de la liberté du sujet. Il risque d'accentuer l'aliénation de l'enfant dans le désir de l'adulte.

Autant de questions que se pose l'enseignant, ou qui lui sont posées. Ces questions interpellent, d'une manière plus aiguë encore, sans doute, tous les intervenants qui ont pour mission d'aider l'enfant en difficulté. ‘ "Lorsqu'un enfant est en difficulté, ce n'est pas un adulte seulement qui désire qu'il y arrive, mais 2,3, 4. Le voilà talonné, avec pour toute issue l'adoption d'une position de résistance. On oublie que ce n'est ni la proximité ni notre volonté à tout prix qui peuvent lui permettre de se regreffer sur ce qu'il rejette...cela oblige à faire le deuil de notre activisme, que nous travaillions à nous tenir à la bonne distance, sans abandonner, sans renoncer à enseigner."(CIFALI, 1994, p. 219). Jacques LEVINE (1993-1) va dans le même sens, évoquant ce que pourra être la position du rééducateur quant à son désir d'aider l'enfant: ‘ "L'inconscient de l'aidant veut que l'enfant aille mieux, le plus vite possible. L'institution l'y pousse en lui demandant de prévoir un nombre de séances limité. Il est pourtant nécessaire d'envisager les cas où ce n'est pas possible..."

Mais le sujet échappe toujours, à ce qui voudrait le définir par des théories, ou le diriger par des principes. Quoi que l'on tente, il peut sauvegarder la possibilité, pour lui-même, de "se bricoler" sa propre alchimie entre son désir et ce que lui propose l'école. Philippe MEIRIEU (1988, p. 36).voit dans ce fait "la chance" du sujet:"Il y a une opacité incontournable de la conscience d'autrui, qui marque un point limite de toutes nos tentations totalitaires ...c'est bien là que les "pédagogies du sujet", dans leur radicalité même, nous sauvent du dressage et du délire: il faut que le sujet échappe et que je reconnaisse à la "boîte noire" le droit absolu à l'existence."

Théories de la communication ou du comportement viennent buter sur le contenu de "la boîte noire". Pouvons-nous, et devons-nous, arrêter là nos investigations, face à cette "boîte noire", comme le fait la psychologie comportementaliste? L'enfant en difficulté, est également en difficulté avec cette énigme, sa propre énigme . Lui non plus, ne comprend pas. Si nous voulons un tant soit peu l'aider à dépasser ses difficultés, ses impossibilités, ses refus inconscients, nous devons, avec lui, tenter de démêler un peu ce qu'il en est de "sa boîte noire". Ceci ne peut se faire qu'au sein de la rencontre. Cependant, il est nécessaire à "l'aidant", de disposer de connaissances qui, le moment venu, pourront apporter une piste, un éclairage, qui permettront de formuler une hypothèse, à partir d'un mot, d'un geste, d'un indice, si minime soit-il, de la part de l'enfant. Au delà de la description fonctionnaliste de la motivation qui permet de décrire des comportements observables, des résultats, nous nous interrogerons sur la genèse de cette motivation. La théorie psychanalytique s'est intéressée à la compréhension de ces mécanismes psychiques. C'est donc à ce référent théorique, que nous devons adresser nos questions.

Notes
341.

Charles HADJI (1987). La relation pédagogique. Cours de Maîtrise de Sciences de l'Education, Grenoble.