2-4-7- Proposition d'une synthèse. Le "désir d'apprendre".

Qu'avons-nous appris, qui puisse donner des éléments:

Le désir de connaître, le désir de savoir, et le désir d'apprendre, sont trois mouvements du sujet dans lesquels s'articulent narcissisme, Surmoi, Idéal du Moi, Moi , constitutifs de l'identité du sujet.

Si le désir de connaître se joue dans l'immédiateté de l'appréhension du monde, pour un sujet poussé par ses pulsions, il ne peut devenir effectif que s'il intègre les processus secondaires et la temporalité, et s'il ne s'enferme pas dans un mode de "pensée magique". C'est sous l'influence d'un premier refoulement que le désir de connaître peut se sublimer, changer d'objet, devenir désir de savoir, qui se donne les moyens de parvenir à ses buts, et en particulier de réduire l'écart entre Moi et Idéal du Moi, en enclenchant le désir d'apprendre.

Une série d'obstacles surgissent dans le "trop".

Le désir est constitutif des premières relations du nourrisson au monde, et, en particulier, à sa mère. Il s'origine dans le besoin, dans le réel du corps, naît de l'éprouvé du manque, du déplaisir, cherche à retrouver le plaisir, par la demande. Celle-ci doit passer par le canal du symbolique, elle doit être traduite en mots qui ont un sens, faisant intervenir l'imaginaire et le symbolique . Le désir, qui est toujours demande d'amour, ne peut être satisfait. Il est quête, perpétuellement et nécessairement, insatisfaite.

Si le désir d'apprendre naît lui aussi du constat, dans la souffrance, d'un manque , et d'une acceptation par le sujet de ce manque (celui de l'Autre, le sien), d'une prise en compte de cet écart, de la faille, qu'il s'agit de combler, une espérance d'un plus de plaisir , d'un accroissement du Moi vers un but défini par l'Idéal du Moi , le soutient.

L'existence et la qualité des relations primordiales avec les parents, relayées par l'enseignant, sont fondamentales, puisque cette relation est support des processus identificatoires et soutien à l'enfant face aux obstacles rencontrés . Ce relais peut être assuré complémentairement par les pairs. L'admiration pour un adulte, l'imitation, si celui-ci invite l'enfant vers les objets culturels, incite ce dernier à s'y intéresser, puis à s'y investir.

Ce mouvement est soutenu par:

mais aussi par:

de la part de cet adulte.

La difficulté, pour un enfant, tant à se séparer qu'à établir des liens sociaux, constitue un obstacle considérable à ce mouvement vers "l'apprendre".

Il semble que nous puissions soutenir, à présent que, quel que soit le comportement observable d'un enfant,

Ne pas faire fonctionner sa pensée est une souffrance pour l'enfant.

C'était une des hypothèses de travail (3) proposée, pour cette phase de nos analyses. La question reste cependant posée: Est-ce, pour autant, et systématiquement, une pathologie?

Nous proposons, ci-après, un tableau synthétisant les éléments de "savoir" issus de nos analyses. Nous l'avons organisé en quatre colonnes. La première colonne correspond aux capacités directement utilisables par l'enfant dans sa relation au savoir, aux objets d'apprentissage et à ceux qui lui enseignent. Ces capacités renvoient directement aux processus qui ont permis de les élaborer. Trois grandes directions de la construction psychique apparaissent:

  • la relation aux objets humains et matériels , qui se traduisent par la position du sujet par rapport à son désir (aliénation et séparation du sujet), et par son inscription dans des liens sociaux;
  • le fonctionnement des registres psychiques ;
  • les bases de la construction identitaire ,

Ces processus et ces constructions constituent les ressources du sujet. Des besoins fondamentaux doivent être satisfaits pour que ces processus puissent se dérouler dans des conditions satisfaisantes. Une aide devra s'interroger par rapport à ce qu'elle peut proposer à l'enfant pour satisfaire ces besoins. Ces besoins, lorsqu'ils sont satisfaits, sont indissociables des processus 359 . Si des difficultés apparaissent, elles ne sont pas pour autant systématiquement des indices de pathologie. La nature et l'importance de ces difficultés, mises en regard des ressources du sujet et de ses capacités d'auto-réparation, déterminent l'indication de l'aide à proposer à un enfant en "difficulté de désir d'apprendre".

Tableau de synthèse : Désirer apprendre…
être capable de... renvoie à ...(processus) besoins quelques difficultés (non exhaustives)
- désirer connaître

- désirer savoir

- désirer apprendre

- demander
- désirer accepter son manque
construction identitaire

-
narcissisme
investissements pulsionnels
- surmoi
refoulement
sublimation
- idéal du moi

-moi

- fonctionnement des registres psychiques
-
fonctionnement du registre imaginaire
fantasmes
- p.primaires/ p. secondaires
plaisir/déplaisir
- fonctionnement du symbolique
- refoulement
- sublimation.
- continuité de soi
- représentation de soi
- estime de soi


- métaphore paternelle
- premiers liens sociaux chaotiques ou défaillants;
- sécurité de base défaillante;
- défauts, atteintes du narcissisme; Idéal du moi défaillant;
- atteinte de l'idéalisation des parents sur l'enfant;
- atteinte de l'idéalisation de l'enfant sur lui-même;
- investissement narcissique trop important. Refus d'apprendre d'autrui; toute-puissance imaginaire;
- échec du refoulement,
- difficultés de sublimation.
- pensée sexualisée.
- refoulement trop important;
- évacuation;
- inhibition; blocage de la pensée; repli sur soi;
- constructions substitutives: symptôme;
- ne pas s'autoriser à, ou refuser de grandir;
- ne pas connaître le manque;
- ne pas pouvoir désirer;
- ne pas connaître son désir;
- difficultés à anticiper;
- être trop angoissé par le manque de l'autre ou par son propre manque;
- refus de reconnaître ses limites;
- se séparer - position du sujetaliénation/séparation
(relation aux objets humains et matériels)
- plaisir
- espérance de plaisir
- liens sociaux satisfaisants;
- difficultés à se séparer;
- angoisse trop importante;
- difficultés identificatoires;
- imiter
- s'identifier
- s'inscrire dans des liens sociaux symbolisés
- réalisation de soi
(construction identitaire)
- construire des liens sociaux
(relation aux objets humains et matériels)
- repères identificatoires
- contrat narcissique
-
être accueilli
- être reconnu
- être encouragé
- être accompagné
- être rassuré
- être gratifié
- difficultés à établir des liens sociaux symbolisés;
- enfants qui s'empêchent ou ne s'autorisent pas à penser.
- Perte du désir d'apprendre; enfants qui "ont fait le deuil" de l'apprentissage.

Si le désir d'apprendre n'est ni "un donné", ni un "inné", "un don", mais une construction ,

  • s'il est issu de toute une histoire, l'histoire personnelle de chaque sujet, dans son irréductible spécificité,
  • s'il est étroitement lié au désir même du sujet, au plus profond, au plus intime de son histoire, dans sa dimension dynamique, sa dimension vitale, et dans son désir d'expansion, qui sont les indices de sa bonne santé psychique,
  • si le sujet, selon la théorie psychanalytique, s'organise autour de la question du désir et dans sa relation à l'Autre,
  • si les deux opérations constitutives du sujet sont l'aliénation et la séparation 360 , et si elles sont liées à celle de la relation d'objet et donc au manque d'objet 361 ,
  • deux questions se posent alors avec insistance:
  1. L'enfant en difficulté d'entrée dans les apprentissages est-il en "difficulté de désir", c'est-à-dire en difficulté pour exprimer un désir qui lui soit propre?
  2. Dans ce cas, comment pourra-t-il trouver une autre manière de s'arranger avec son désir ou comment peut-il le dégager de ce qui l'englue, le retient, l'empêche de s'exprimer, dans sa relation à l'autre et aux objets?

Seule la rencontre clinique et répétée avec l'enfant permettra à la fois de comprendre quelque chose à ce qu'il en est de son désir, de ses difficultés et de ses besoins. Seul le travail de l'enfant dans un cadre et au sein d'une relation, sécurisants, étayants et stimulants , pourra l'aider à se désengluer, à réaménager quelque chose de ce qu'il en est de son désir, de ses relations à l'autre et aux objets.

Si nous avons envisagé, dans une sorte de "panorama", et dans ce qui reste une vue d'ensemble, les déterminants principaux qui permettent à un enfant d'entrer dans les apprentissages, il nous faut à présent reprendre certains des points énoncés, pousser un peu plus loin l'analyse de leurs mécanismes, pour mieux comprendre ce qui peut faire difficulté pour certains enfants . Il nous faut tenter de trouver des éléments pertinents pour différencier une difficulté qui demeure normale et une difficulté qui pourrait être considérée comme pathologique, afin de répondre à la question qui nous préoccupe dans cette phase de notre recherche: Y a-t-il, dans l'école, des enfants relevant spécifiquement d'une rééducation?

Ces éléments de "savoirs constitués" devraient nous donner des éléments utiles dans la compréhension de ce qui se joue pour tout enfant à l'école, et ce qui empêche certains d'entre eux d'investir dans les apprentissages. Ils devraient nous éclairer sur ses difficultés et sur ses besoins, et par là même, apporter des indications indispensables, quant à l'aide à lui proposer. Nous en attendons des informations quant à la mise en oeuvre d'une aide à un enfant qui ne parvient pas à investir les apprentissages. S'il existe, effectivement, à l'école, des enfants dont la difficulté relèverait d'une aide que l'on pourrait qualifier de "rééducative", ces connaissances de l'enfant et de sa difficulté nous permettront de répondre à la question: A quels besoins de l'enfant cette aide devrait-elle pouvoir répondre? Elles fourniront également, dans un deuxième temps, des repères pour "évaluer" l'évolution de l'enfant, au cours du processus d'aide, si celui-ci est mis en place. Elles constitueront le matériel qui contribuera à pouvoir répondre ultérieurement à la question posée: "La rééducation est-elle à même d'aider un enfant en difficulté à l'école et "en panne de désir d'apprendre", à s'inscrire dans la collectivité scolaire et les apprentissages?" "Par quelles voies?" Qu’est-ce qui est “rééducatif”?

Nous avons entendu qu'apprendre nécessite l'acceptation du différé, de l'attente. L'enfant qui apprend, l'enfant qui réussit à l'école, est, nous l'avons compris, nécessairement dans une position de sujet "désaliéné" du désir de l'Autre. Le désir du sujet préexiste au mouvement qui pousse un enfant à apprendre. ‘ "Pour qu'il y ait apprentissage, encore faut-il que le sujet soit là en personne", dit Francis IMBERT 362 . Nous avons entendu qu'apprendre nécessite " d'être séparé". "Aucun apprentissage n'évite le voyage..., ’ ‘ avance Michel SERRES (1991, p. 28), ’ ‘ ...Partir exige un déchirement qui arrache une part du corps à la part qui demeure adhérente à la rive de naissance, au voisinage de la parentèle, à la maison...Pars: sors du ventre de ta mère, du berceau, de l'ombre portée par la maison du père et des paysages juvéniles. Le voyage des enfants, voilà le sens nu du mot grec pédagogie. Apprendre lance l'errance...cette agonie pour naître, cette mort pour vivre ailleurs...il sait déjà, donc peut s'adapter, apprendre: mourir". "Se séparer" est, selon la psychanalyse, l'opération fondamentale constitutive du sujet. Le "temps 4" de l'émergence du désir, par l'intervention de "la métaphore paternelle" nous a fait apercevoir l'ébauche de cette séparation. De quoi l'enfant doit-il se séparer, et comment se sépare-t-on?

Notes
359.

Nous adopterons, pour les mêmes raisons, le même ordre de présentation dans nos autres tableaux.

360.

Le champ de l'Autre, et retour sur le transfert, In Jacques LACAN (1964), p. 227 à 271 en particulier: "Le sujet et l'Autre: l'aliénation, L'aphanisis, Du sujet supposé savoir"; Roland CHEMAMA (1993); Augustin MENARD (1994); Mireille CIFALI (1994, p. 190 à 204). Mireille CIFALI y traite de la séduction, de l'aliénation, et de l'emprise, en jeu dans la relation pédagogique.

361.

Jacques LACAN (1956-1957).

362.

cité au point 2-2-4.