3- Etre capable de SE SEPARER. Séparation et apprentissages. Se séparer: processus en jeu.

L'analyse des processus d'adaptation du sujet au monde, comme l'analyse de ce qui pousse un enfant à désirer apprendre, mettent en évidence l'importance de l'opération de séparation, ou d'individuation, dans la dimension de la "relation aux objets humains et matériels", premier axe de l'organisation psychique du sujet.

Les apprentissages scolaires ne sont que le prolongement d'autres apprentissages qui ont commencé peut-être in utero, mais qui, de toutes façons ont commencé dans la famille, au sein des relations familiales, en interaction avec elles, et avec la mère en particulier. La façon dont l'enfant accueille les difficultés, et son positionnement par rapport aux problèmes qui se posent à lui aujourd'hui, reproduisent bien souvent sa manière d'être au monde, construite au cours de ses premières expériences, face à ses premiers acquis. Les attitudes actuelles sont, dans leur grande majorité, le prolongement, la répétition d'attitudes élaborées dès les premiers apprentissages perceptivo-moteurs, corporels, moteurs, langagiers ou cognitifs, et vis à vis de la situation même d'apprentissage, indépendamment des facteurs spécifiques liés à cet apprentissage lui-même.

Etre séparé, franchir le passage qui mène de la vie privée, familiale, à la vie sociale, scolaire, voilà la grande affaire de l'enfant qui devient, de gré ou de force, et tout le problème est là, écolier et élève. Rupture à assumer, passage difficile pour certains. Se séparer, lié à la capacité de savoir un tant soit peu qui on est...La question du "pouvoir apprendre" semble bien renvoyer à une problématique de la séparation. Dans quels termes se pose celle-ci? De quoi l'enfant doit-il se séparer? Comment va-t-il procéder? Quelles sont les conditions de cette séparation? Quels sont les obstacles? Quels sont ses besoins? Qu'est-ce qui va l'aider? Qu'y perd l'enfant? Qu'y gagne-t-il? Certains enfants en difficulté scolaire, rencontrés lors des séances préliminaires à une indication d'aide, semblent "non-séparés", ou "mal séparés". Que se passe-t-il? Peut-on repérer, en ce qui concerne un enfant, et en ce qui concerne la manière dont il a pu "se séparer" et élaborer les différentes séparations nécessaires à son "grandir", ce qui relèverait de "difficultés normales", ou ce qui semblerait dépasser une aide apportée à l'école? La préoccupation du praticien, en tant qu'interlocuteur d'un enfant en difficulté, au cours des séances préliminaires, est, non seulement de comprendre, un peu, ce qui se passe pour un enfant, mais aussi de trouver des éléments pertinents en vue de l'indication d'aide. Pour le chercheur, repérer les besoins fondamentaux de cet enfant, devrait permettre d'apporter des éléments de réponse aux questions: Y a-t-il, dans l'école, des enfants relevant spécifiquement d'une rééducation? Si oui, à quels besoins de l'enfant celle-ci devrait-elle pouvoir répondre? Cette connaissance devrait doncpouvoir donner des indications, non seulement quant au choix de l'aide à proposer à l'enfant, mais elle devrait également permettre de mieux comprendre, dans une phase ultérieure de la recherche, la conception de cette aide, et ses effets quant à ce qui pourrait constituer un processus "rééducatif".

Comme nous y a conduit l'analyse du "désir d'apprendre", nous sommes au coeur de "la boîte noire". C'est donc la théorie psychanalytique que nous interrogerons en priorité, comme la plus apte à nous éclairer sur les processus en jeu. Les pédagogues questionnés au passage, s'y sont eux-mêmes souvent référés. Nous proposons une synthèse des éléments repérés, dans des tableaux récapitulatifs. Afin de faciliter le repérage de ces éléments, nous choisirons de les écrire en caractères gras, dans le texte. Nous sommes consciente que toute synthèse, et de plus sous une forme schématique, ne peut être que réductrice.

Pouvoir apprendre est lié pour l'enfant à la possibilité de se séparer de sa famille et de ses désirs imaginaires. Yves de LA MONNERAYE (1995) (2) rappelle les deux grandes étapes de ce processus de séparation:

  • Première séparation: quitter la symbiose maternelle, par l'intervention de la métaphore paternelle.
  • Deuxième séparation: passer de la famille au milieu scolaire.

Apprendre nécessite d'accepter de perdre la fusion, ou l'illusion de relation fusionnelle, l'immédiateté de la relation, sa complétude imaginaire pour se vivre séparé des autres. C'est une obligation, mais c'est aussi une richesse nouvelle, celle de pouvoir nouer des liens symbolisés, c'est-à-dire des liens fondés sur l'altérité et la différence, celle de gagner le symbole, la communication, des savoirs nouveaux, des savoir-faire, une plus grande maîtrise sur le monde et sur soi-même. L'enfant a un parcours à effectuer, du SYMBIOTIQUE au SYMBOLIQUE, et de la MAISON à l'ECOLE... Comment la famille peut-elle aider l'enfant à franchir ce passage? Comment les éducateurs pourront-ils prendre le relais, dans tous les cas, et d'autant plus lorsque des difficultés, normales, deviennent des problèmes, c'est-à-dire des difficultés dans lesquelles l'enfant s'enlise, des difficultés qu'il ne parvient pas à dépasser? Nous nous proposons de retracer rapidement, dans un premier temps, ce qu'il en est de ce premier lien à la mère, de ce qu'il permet comme apprentissages pour l'enfant, en son sein, puis ce qu'il en est de la "première séparation". Nous aborderons ensuite en quoi consiste et ce que représente pour l'enfant la "deuxième séparation", nous centrant sur ce qu'elle lui permet comme préparation et élaboration de nouvelles capacités, qui lui seront nécessaires pour aborder l'école, dans son aspect collectif et dans ce qu'elle lui propose comme apprentissages.