3-5- Le point sur nos analyses, à cette phase de notre recherche, et premiers éléments de réponses à nos questions.

L'analyse des conditions d'émergence du "désir d'apprendre" a mis en évidence la complexité du mouvement qui pousse un sujet à vouloir investir de l'énergie dans des apprentissages. Trois axes de l'organisation psychique du sujet sont apparus:

Les analyses concernant le désir d'apprendre nous ont conduits à émettre qu'un sujet peut désirer, et désirer apprendre, lorsqu'il est "séparé". Nous avons interrogé en quoi consistait cette séparation, et ce qu'elle permettait. En fait, nous avons constaté qu'une série de séparations sont nécessaires pour qu'un enfant soit "prêt" à devenir élève. Les opérations de séparation du sujet, son inscription dans des liens sociaux appropriés, semblent, en effet, constituer des opérations déterminantes, préalables à l'investissement d'un enfant dans les apprentissages, et conditionner son devenir scolaire. L'enfant qui entre au Cours Préparatoire doit être suffisamment "séparé" de ses premières attaches, il doit s'avérer capable de nouer des liens appropriés, d'une nature différente, avec les personnes et avec les objets, à partir de son propre changement de place dans la cellule familiale, à partir du changement de sa position par rapport à son désir. Il est apparu que se construisaient, normalement, en lien avec ces opérations de séparation, ce que nous avons désigné par le nom de "préalables" (psychiques, cognitifs, affectifs, relationnels, ...), et des capacités, dont l'enfant devrait pouvoir disposer pour apprendre.

Les préalables, normalement construits par l'enfant, devraient constituer autant de ressources qui apparaissent comme fondamentales , dont il devrait pouvoir disposer, pour s'inscrire dans la collectivité scolaire et ses activités, et pour que cette entrée à l'école ne soit pas un déchirement, une rupture, un traumatisme, mais un acte social, créatif de la personne, lié à son désir de grandir.

Pourtant, certains enfants, et c'est la raison pour laquelle le rééducateur les rencontre lors des séances préliminaires, éprouvent des difficultés à l'école. "Ils ne peuvent apprendre", ou "refusent d'entrer dans les activités scolaires", ou encore "manifestent des attitudes et/ou des comportements qui rendent difficiles ou compromettent leur devenir scolaire". Le rééducateur, confronté à ce qu'il pense pouvoir être des symptômes du malaise, du "mal-être" de l'enfant à l'école, cherche à comprendre ce qui se passe pour ces enfants. Nous avons pu relever, au passage, ce qui peut faire difficulté, pour un enfant, dans son parcours de la maison à l'école. Nous avons noté la complexité des processus en jeu, et le fait que des obstacles, des embûches, sont toujours possibles. La difficulté est normale, dans un parcours difficile .

Les premières hypothèses de compréhension de la difficulté de l'enfant, peuvent être que "quelque chose" ne s'est pas joué du côté de la séparation de l'enfant avec sa famille. L'enfant se retrouve en difficulté à l'école, non seulement parce qu'il ne parvient pas à se désengluer du milieu familial et à rendre sa pensée disponible, mais aussi parce que, peut-être, l'inachèvement des processus qui correspondent aux diverses opérations de séparation, ne lui ont pas permis d'élaborer de manière satisfaisante les capacités et les préalables nécessaires pour désirer apprendre. Il pourra s'avérer indispensable, en conséquence, d'aider cet enfant à poursuivre l'élaboration de ses processus de séparation, et, dans la mesure du possible, dès que les difficultés se manifestent. Les analyses du chapitre VI, nous avaient conduits à poser d'une manière anticipée, avions-nous annoncé, qu'un enfant non engagé dans des processus d'individuation, un enfant dont l'évolution semble bloquée, comme Victor, un enfant dont les difficultés sont manifestes dans tous ses lieux de vie, semble requérir des soins. Les analyses de ce chapitre, ont pu vérifier ces affirmations. On peut remarquer que la difficulté manifeste de l'enfant n'est pas significative, en soi, quant à l'indication de soin ou d'aide rééducative . Cependant, entendre les difficultés de l'enfant comme un symptôme et l'expression d'un processus de recherche par le sujet, de solutions à un conflit inconscient, ou à des questions qui aboutissent, pour l'instant sur des réponses en impasses, nous a conduit à souligner la dimension dynamique et relationnelle de ce symptôme. Ce dynamisme psychique de l'enfant, peut constituer un élément déterminant pour l'INDICATION DE REEDUCATION . Il constitue la condition de possibilité des capacités d'auto-réparation du sujet.

Lorsqu'un enfant n'a pas achevé de construire les compétences et les capacités nécessaires pour se séparer et pour apprendre, lorsqu'il en a été empêché, ou lorsque, provisoirement, "il n'est plus présent psychiquement à l'école", parce que sa pensée est encombrée de préoccupations qui l'engluent dans le monde familial, il n'est pas pour autant et d'une manière systématique, dans une pathologie qui nécessiterait des soins. Les hypothèses de compréhension de la difficulté de l'enfant, telles qu'elles ont été avancées au fur et à mesure de nos analyses, sont autant de pistes possibles. Il y en a d'autres. Seule la rencontre singulière avec l'enfant peut permettre de formuler des hypothèses sur sa difficulté, en fonction de son histoire singulière. Nous savons d'autre part que ces hypothèses ne sont que des hypothèses, et si elles permettent d'entreprendre le travail avec l'enfant, ce qui constituera ensuite l'histoire de la relation entre l'adulte aidant et l'enfant, pourra les confirmer, les infirmer, et, sans doute, conduira, la plupart du temps, à en formuler d'autres.

Le questionnement concernant les conditions d'émergence du désir d'apprendre, puis celle concernant les opérations de séparation du sujet, nous ont fait nous interroger sur les processus de développement de l'enfant, et nous l'avons suivi dans son parcours vers l'école. ‘ "Un élève en situation d'échec scolaire a, le plus souvent, de bonnes raisons d'aller mal indépendamment de l'école, mais les exigences (normales) de celle-ci les révèlent. On peut même dire qu'elles les atténuent ou les renforcent selon que le climat éducatif est ou n'est pas de qualité." déclarait Jean-Louis DUCOING en 1987 (p. 27).L'enfant, déjà fragilisé, peut-être, par son histoire, confronté aux apprentissages scolaires, et mis en difficulté, nous invite à inverser, à présent, la démarche. Nous avons rappelé que la difficulté de l'enfant est toujours une difficulté par rapport à des normes, par rapport à des attentes. Qu'attend l'école de l'enfant? Quelles sont les capacités dont l'enfant doit disposer pour apprendre, et pour réussir à l'école? A quel moment l'école l'estimera-t-elle en difficulté? De quelle nature pourront être les difficultés rencontrées? Quels seront les besoins de l'enfant? Nous devons à présent interroger, d'une manière systématique, les attentes de l'école par rapport à l'élève, afin de repérer ce qu'elle requiert de sa part. On peut, sans trop de risques d'erreurs, faire l'hypothèse qu'un écart trop important entre les attentes de l'école et le développement de l'enfant, laisse présager des difficultés pour cet enfant.

Notre questionnement devient: "Quels sont les préalables cognitifs, affectifs et relationnels nécessaires à l'enfant pour pouvoir apprendre?" Ces préalables sont-ils les mêmes, ou sont-ils différents de ceux qui lui permettent "d'entrer à l'école" dans des conditions satisfaisantes, et que nous venons de rencontrer? Ce sont ces capacités supposées en grande partie acquises par l'enfant lors de son entrée au Cours Préparatoire en particulier, et les "préalables", ou "compétences", ou encore "postures" nécessaires à l'élaboration de ces capacités, que nous devons à présent questionner.