4- Capacités attendues de l'enfant, par l'école. Repérage des préalables psychomoteurs, cognitifs, affectifs, relationnels, intervenant dans la construction de ces capacités.

‘"Apprendre est une activité complexe, fragile, qui mobilise l'image de soi, le fantasme, la confiance, la créativité, le goût du risque et de l'exploration, l'angoisse, le désir, l'identité, toutes sortes de choses fondamentales dans l'ordre de la personne et de la culture." Philippe PERRENOUD (1991, p. 8).’

Que demande l'école à l'enfant? Qu'il apprenne. Tout est mis en oeuvre, normalement, pour que les choses se passent ainsi. Pour un certain nombre d'enfants, l'apprentissage se fait "naturellement". Les premières réussites apportent des gratifications et des plaisirs qui compensent rapidement le premier "choc" des efforts demandés, et la déception quasiment inévitable entraînée par la découverte que ce savoir, attendu, n'était pas "magique". L'entrée dans la lecture signe l'entrée dans le monde "des grands", l'accès au secret de ces livres que l'on a vus, touchés, feuilletés, depuis toujours, et dont on peut soi-même, désormais, percer le mystère. Au livre et à ses histoires, sont attachés quelques-uns des moments les plus doux, partagés avec les figures primordiales de l'enfance. On peut supposer que ces enfants étaient "prêts" à apprendre à lire. On peut faire l'hypothèse qu'ils avaient construit pour eux-mêmes les préalables aux capacités requises par l'école, puis qu'ils avaient élaboré les capacités qui en découlent, terreau indispensable sur lequel peuvent se construire les apprentissages. Quelles sont ces capacités attendues, et quel est ce substrat requis?

Pour d'autres enfants, les choses se compliquent, dès les premières semaines de leur entrée au Cours Préparatoire. L'enseignant, très vite, les repère comme "en difficulté". Les premiers apprentissages "ne passent pas". Leur décalage avec les autres enfants s'accroît. Le découragement et le désintérêt les guette. Le maître les voit, avec inquiétude, "mal partis". Que se passe-t-il pour ces enfants? Qu'est-ce qui bute? Qu'est-ce qui fait conflit? Qu'est-ce qui les conduit, ou les empêche, d'utiliser l'école pour s'instruire, et grandir, dans les différents apprentissages culturels qui leur sont proposés? Comment comprendre, un peu mieux, leurs difficultés? Quelle aide faudra-t-il, enfin, leur proposer, et comment concevra-t-on cette aide? Nous avons compris et admis que, pour ces enfants, qui ne s'inscrivent pas dans les apprentissages, l'aide pédagogique du maître, ou bien l'aide pédagogique spécialisée, ne semblent pas adaptées. Une rééducation est-elle nécessaire, envisageable, ou bien leurs difficultés débordent-elles le cadre de l'école pour requérir des soins?

Nous venons de préciser en quoi la situation de l'enfant vis à vis de son individuation, vis à vis des diverses opérations de séparation, ou encore la permanence de l'angoisse, sont des éléments déterminants pour préconiser d'une manière formelle, dans certains cas, des soins. Nous avons constaté que la plupart des différentes manifestations symptomatiques de l'enfant à l'école, ne sont pas, en elles mêmes, des éléments déterminants d'une indication de rééducation ou de soins. Nous nous proposons, en conséquence, d'explorer une autre dimension de la connaissance de cet enfant, en attendant, éventuellement, d'autres éléments pour poser l'indication: Quelles sont les ressources de cet enfant? Où en est-il quant à l'élaboration des capacités nécessaires pour apprendre à l'école?

Le cadre spécifique et individualisé des rencontres préliminaires, est, pour le rééducateur, un moment privilégié pour s'interroger sur ces élaborations, pour mieux connaître "le lieu" où en est l'enfant de son parcours, et la nature des difficultés rencontrées. La nature des difficultés ou des impossibilités de l'enfant, mais aussi de ce qui lui serait nécessaire pour y parvenir, ses besoins, nous guideront dans le choix de l'aide la plus appropriée pour l'aider dans ces élaborations. Ces analyses devraient apporter, pour notre recherche, des éléments de réponse complémentaires à la question: Y a-t-il, dans l'école, des enfants relevant spécifiquement d'une rééducation?

Notre démarche ici, de la même manière que précédemment, part de l'analyse des processus "normaux" pour tenter de mieux comprendre la difficulté. A quel moment les choses se "grippent-elles" pour un enfant? Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné? Partant des capacités directement requises dans les comportements et les apprentissages scolaires, nous articulerons ces capacités avec le "substrat" qui ont permis de les construire, retrouvant alors "la boîte noire" des constructions psychiques, affectives, relationnelles, cognitives, préalables. Ces préalables sont-ils différents de ceux que nous avons déjà repérés comme nécessaires pour qu'un enfant s'adapte, pour qu'il "se sépare" et pour qu'il investisse de l'énergie dans les apprentissages? Nous questionnerons deux grandes capacités plus "générales" comme "penser" ou "s'inscrire dans un projet d'apprentissage", qui impliquent diverses capacités spécifiques de la part de l'enfant, puis nous ferons porter notre attention sur les capacités requises de l'enfant pour pouvoir apprendre à lire et à écrire, ces apprentissages pouvant être considérés comme déterminant tous les autres.

Nous adopterons, chaque fois que possible, le même ordre logique dans notre questionnement des différentes capacités: dans un premier temps, l'énoncé de la capacité, à quoi elle correspond dans la démarche d'apprentissage, ou dans l'apprentissage spécifique considéré. Trois directions pour l'investigation seront envisagées ensuite: les différentes dimensions des préalables nécessaires à la construction de cette capacité, les besoins de l'enfant pour construire cette capacité et ses préalables, et enfin, l'évocation de certaines difficultés rencontrées. Les quatre temps ne seront pas systématiquement développés de manière égale: certains renvoient directement et sans modification significative, aux développements du chapitre précédent.

La complexité des processus, l'intrication des différents préalables pour une même capacité, fait partie de la réalité de ce qui se joue pour l'enfant. De nombreux écrits, très spécialisés, existent sur ces questions. Notre intention n'est pas de "tout" dire sur chacun des points abordés. Tout en tentant d'être synthétique et de ne retenir que des traits qui nous paraissent pertinents, quant à un projet d'aide, nous ne refuserons ni la complexité, ni la répétition, car vouloir trop simplifier reviendrait à dénaturer ce qui se passe. Nous faisons l'hypothèse que la répétition des mêmes éléments est significative.

En contrepartie, une présentation sous la forme de tableaux récapitulatifs s'impose. Nous reprendrons la présentation des tableaux déjà réalisés dans les chapitres précédents, pour une facilité de lecture, et pour rendre possible une lecture croisée. De la même façon que précédemment, nous mettrons en évidence, dans le texte, par le changement de caractères (utilisation des caractères gras), les éléments qui serviront à construire les tableaux, permettant un aller et retour plus aisé entre le texte et ces schémas.

L'élève doit avoir construit des capacités spécifiques pour entrer dans les différents apprentissages que lui propose l'école. Il doit aussi pouvoir disposer de capacités plus "générales" qui s'exercent, quel que soit le domaine d'apprentissage. Parmi ces capacités "générales" la capacité de penser semble occuper une place prioritaire. L'école demande en effet à l'enfant, qu'il dispose de ses capacités de penser, et qu'il les exerce, pour comprendre ce qui lui est proposé, et pour apprendre. L'enfant n'a pas attendu d'être à l'école pour penser. Quelle est la nature de la pensée requise par l'école? Quels en sont les principales dimensions? La capacité de "se mettre en projet d'apprendre", si elle s'est construite, elle aussi, bien avant l'entrée de l'enfant à l'école, est une attente spécifique de l'école vis à vis de l'enfant. Nous l'interrogerons, dans ses différentes dimensions, dans un deuxième temps.