5-5- Aucun registre ne peut se suffire à lui-même. L'imaginaire est le registre du sens, grâce à l'intervention du symbolique.

Ce que Jacques LACAN (1974-1975) a schématisé sous la forme d'un "noeud borroméen", est le nouage indissociable des registres du réel, du symbolique et de l'imaginaire. Ce "noeud" ne se soutient que de l'articulation souple entre les trois registres, et par le passage possible de l'un à l'autre. L'imaginaire y tient une place déterminante, comme ce qui lie réel et symbolique."Si vous dénouez deux anneaux d'une chaîne, les autres demeurent noués. Dans le noeud borroméen si de trois vous rompez un, ils sont libres tous les trois.......le noeud borroméen, en tant qu'il se supporte du nombre 3, est du registre de l'imaginaire. Car la triade du réel, du symbolique et de l'imaginaire n'existe que par l'addition de l'imaginaire comme troisième" ’, affirme Jacques LACAN (1974).

L'activité représentative, au sens large, met en rapport:

  • les modes de représentations privées, secrètes, qui peuplent la vie imaginaire et fantasmatique, ressortant du fonctionnement imaginaire,
  • et les représentations sémiotisées, codifiées, partageables, ressortant du fonctionnement symbolique.

L'idéal est un équilibre entre les deux modes de fonctionnement, avec passage souple de l'un à l'autre . Cette souplesse et cet équilibre, ne sont pas sans rappeler les conditions nécessaires pour qu'il y ait "santé mentale" 442 . Si la souplesse de fonctionnement est requise entre réel, imaginaire et symbolique, elle s'articule avec la "plasticité" des registres psychiques inconscient, préconscient et conscient. Jacques HOCHMANN (1984, p. 66), insiste sur la nécessité pour le sujet de disposer d'un ‘ "fonctionnement préconscient souple et riche, capable de donner aux apprentissages ultérieurs une épaisseur psychique, une résonance intime, rêvée, sans laquelle il n'est pas d'expérience culturelle"..

Qu'en est-il de la nature et du fonctionnement du préconscient, et de ses rapports avec l'imaginaire ou le symbolique? Au niveau de l'intrapsychique, nous sommes toujours dans un système dualiste, entre le ça et le Moi, entre le ça et le surmoi, etc...mais pour FREUD, entre la représentation de choses ou inconscient, et le conscient, existe le préconscient. ‘ "Le préconscient joue le rôle d'écran entre l'inconscient et la conscience," ’ (FREUD, 1900, p. 522). C'est le préconscient qui, tel un réservoir des représentations de mots, va permettre la conscientisation de l'inconscient lorsque l'enfant accède au symbolique. ‘ "Nous donnons le nom d'inconscient au système placé en arrière: il ne saurait accéder à la conscience, si ce n'est par le préconscient." ’ (FREUD, 1900, p. 460).

La souplesse du psychisme est nécessaire pour que le sujet puisse s'adapter "normalement", c'est-à-dire créativement, au monde. Cette souplesse, cette liberté de circulation entre les différents fonctionnements psychiques, est requise également pour pouvoir s'inscrire dans tout apprentissage.

Les capacités d'apprendre sont liées à la fois avec le fait:

  • de s'être constitué une image corporelle suffisamment unifiée, stabilisée, entité imaginaire, certes, aliénante sans doute, puisqu'issue du stade du miroir, mais nécessaire,
  • et l'accès au monde symbolique régi par des règles, monde de la non-confusion, de l'altérité, de la différenciation.

De l'analyse à la synthèse et réciproquement, l'enfant est supposé pouvoir jouer librement avec ses représentations. On lui demande d'inventer la suite d'une histoire, en tenant compte du début, par exemple...Il est supposé pouvoir manier librement les codes, mais aussi pouvoir en inventer d'autres. ‘ "Il est capable...d'observer, d'interroger, de verbaliser ce qu'il comprend, ou de le traduire par un dessin." 443 . Pouvoir lire et écrire, requièrent de la part de l'enfant, qu'il ait articulé d'une manière souple et efficace images mentales, symbolismes personnels, et symbolisme culturel, fonctionnement imaginaire et fonctionnement symbolique.

Si le sens, comme l'affirme LACAN, naît de l'effet du symbolique dans l'imaginaire, il faut à l'enfant opérer d'autres liaisons que celles qui concernent les codages pour accéder au sens du mot, de la phrase, lorsqu'il lit. Apprendre, c'est charger la réalité de significations progressives. L'enfant doit se référer à son expérience, plonger dans ses ressentis, ses émotions, son vécu affectif et relationnel, puiser dans ses connaissances antérieures, faire appel à son imaginaire pour donner sens au texte. Si la catégorie de "l'entendement" est une catégorie fondamentale de l'intelligence, les registres du symbolique et de l'imaginaire permettent d'accéder au pouvoir de la trace, de l'inscription de soi-même, des autres, et des événements, dans une trame signifiante. Pour comprendre l'apport culturel, extérieur à soi, il est nécessaire d'avoir au préalable un peu "compris" sa propre expérience, sa propre histoire, d'articuler le "savoir" sur soi au "savoir" extérieur .

Cependant, cet imaginaire doit être symbolisé, régi par les lois culturelles pour être créatif, communicable et partageable, pour ne pas être délire.L'imaginaire peut alors être communiqué symboliquement, et peut devenir plaisir partagé.

Notes
442.

C'est un des points soulevés au chapitre V, présenté comme pouvant constituer un repère quant à l'indication d'aide.

443.

Centre National de Documentation Pédagogique (CNDP), (1991). Les cycles à l'école primaire, p. 32. Cette compétence est supposée acquise en fin de cycle I, c'est-à-dire en fin de "moyenne section" d'école maternelle.