6- La construction de son identité personnelle et sociale: une création du sujet.

Les apprentissages scolaires, comme les échanges avec les pairs, pour la plupart des enfants, sont structurants. Les processus d'apprentissage eux-mêmes, par les capacités qu'ils exigent de développer ou d'affiner, les aident à poursuivre leur construction. La satisfaction d'avoir surmonté les obstacles, la réussite, développe la confiance en soi, l'estime de soi. L'école et ses activités, est, en soi, une aide indéniable pour l'enfant à SE construire. C'est cette fonction des apprentissages que l'aide du maître ou l'aide pédagogique spécialisée peuvent susciter chez l'enfant, par leur étayage et leur accompagnement. Cependant, la demande d'aide des enseignants concerne également des enfants pour lesquels les apprentissages ne peuvent jouer ces fonctions structurantes. Ce sont ces enfants qui ne parviennent pas à construire leur identité d'élève , parce qu'ils sont dans l'IMPOSSIBILITE de vouloir apprendre. Que se passe-t-il pour eux? Comment comprendre leur comportement, et au-delà de ce comportement, ce qui se joue pour eux, à l'école, en ce qui concerne leur construction identitaire? Il semblerait, d'après nos analyses, que le désir d'apprendre, la capacité à apprendre, et la construction identitaire, soient étroitement liés . De quelle façon? Comment mieux comprendre ce qui s'est dénoué, ce qui s'est délié, ou encore, ce qui s'est lié "mal" lié?

"Il ne commence une activité que lorsque je suis auprès de lui...sitôt partie, il s'arrête..." Combien de fois avons-nous entendu cette plainte de la part de l'enseignant, qui ajoute: "Je ne peux pas m'occuper que de lui!"... Demande affective excessive de la part de l'enfant vis à vis de l'adulte, attitudes de dépendance..."manque d'autonomie", manque de confiance en soi qui se manifeste par une "peur de mal faire" qui peut aller jusqu'à ne pas entrer dans l'activité, besoin constant du regard de l'autre, difficulté à assumer des responsabilités, à prendre des initiatives... On conçoit facilement à quel point ces attitudes ne sont pas compatibles avec une inscription active, ni dans les apprentissages, ni dans les activités scolaires en général... Cet enfant est-il, quelque part, sujet, auteur et désirant, de sa vie? Quelle confiance a-t-il en lui-même? Quelle conscience a-t-il de sa personne? de ses propres ressources? Comment se ressent-il parmi les autres, comment ressent-il l'écart entre ce qu'il pense être et ce qu'il voudrait être? Comment se fait-il qu'il ait constamment besoin du regard de l'autre sur lui, qui le ferait exister? Comment l'aider, si besoin est, à s'individuer, à s'affirmer en tant que personne, à retrouver l'estime de soi, la confiance en soi?

Des "capacités d'adaptation" du sujet à sa "sur-adaptation", toute une marge peut et doit exister pour que l'adaptation ne soit pas passivité, conformisme, voire pathologie, pour que le sujet existe en tant que tel. L'analyse des processus adaptatifs, l'a mis en évidence. Cette marge est celle de la liberté, de l'autonomie, et de la créativité du sujet. Si l'école se donne deux objectifs qui peuvent paraître contradictoires: "adapter le sujet au monde social, culturel et professionnel", et "développer l'autonomie de l'enfant", encore faut-il définir ce que l'on entend sous le terme d'autonomie. C. CASTORIADIS 450 définit l'autonomie comme relevant ‘ "pour chacun de sa capacité réflexive, de son pouvoir de transformer les événements surprenants de sa vie, d'affronter l'incertitude de la mort, les changements éventuels et l'insécurité inhérente à toute aventure."C. CASTORIADIS évoque ici l'autonomie du sujet, non seulement par rapport au monde extérieur, mais aussi par rapport à lui- même, dans sa capacité à se dégager de ce qui encombre son psychisme, de ce qui provient de sa propre histoire. Le principe de réalité interroge son désir, son imaginaire, et leur donne des bords, des ancrages. Sans limites et sans repères, ceux-ci pourraient devenir délire. L'analyse des processus d'adaptation du sujet au monde, et l'analyse des préalables affectifs et relationnels à la capacité de l'enfant à apprendre, ont mis en évidence l'importance de la construction de son identité par le sujet. ‘ "La biographie de tout un chacun, et la biographie de tout enfant, y compris en difficulté, est de l'ordre de la quête d'identité, plus ou moins difficile, plus ou moins problématique, plus ou moins douloureuse." ’ (DARRAULT, 1992, p. 7).

D'après la théorie psychanalytique et Jacques LACAN, le mouvement d'aliénation du sujet dans les désirs parentaux, la recherche dans l'autre de ce qu'il est, précède toujours nécessairement la possibilité de se constituer comme séparé, avec une identité propre. Nous avons analysé comment un sujet peut changer de position, et devenir porteur d'un désir qui lui soit un tant soit peu personnel. Comment le sujet construit-il son identité privée et sociale? Par voie de conséquence, qu'est-ce qui est nécessaire à un enfant qui ne parvient pas à construire son identité d'écolier et d'élève?

La psychologie et la psychanalyse ont mis en évidence l'importance fondamentale de la période de la petite enfance dans l'histoire du sujet, car c'est elle qui assure les bases de sa personnalité, de son identité. Elles ont confirmé ainsi ce que depuis fort longtemps affirmaient des pédagogues comme COMENIUS, ROUSSEAU, Maria MONTESSORI et bien d'autres. Autonomie, estime de soi, désir d'apprendre, capacité à nouer des relations avec les objets extérieurs, que ceux-ci soient des personnes ou des objets d'apprentissage, autant de facteurs qui s'intriquent et trouvent leur nouage dès les premières expériences du sujet. D'où viennent ces attitudes? Comment se nouent le désir d'apprendre du sujet, son plaisir de penser, sa capacité à établir des liens sociaux, avec la construction de son identité ?

Nous n'épuiserons pas la question ici, parce que la question est trop vaste, mais nous chercherons à nous donner quelques repères, quelques points d'ancrage de l'analyse des situations rencontrées avec ces enfants que l'on dit "en difficulté". Nous tenterons d'articuler le processus décrit par WINNICOTT(1971) concernant les différentes "phases" qui structurent le parcours de l'enfant, de la période de symbiose avec la mère à sa possible "séparation", et les conceptions psychanalytiques concernant les processus qui mènent à la constitution de son identité par le sujet. Afin de repérer où en est l'enfant que le rééducateur rencontre lors des séances préliminaires, de son parcours qui le mène de la maison à l'école, afin de mieux comprendre son éventuelle difficulté, afin de pouvoir envisager, si besoin est, quelle aide serait la plus appropriée pour répondre à ses besoins et l'accompagner dans ses élaborations, nous devons nous munir de "savoirs constitués", qui sont autant de "grilles de lecture" possibles de la réalité. Nous ferons appel aux concepts de la théorie psychanalytique, qui concernent la construction de son identité par le sujet.

Notes
450.

Cité par Mireille CIFALI (1994, p. 153).