Chapitre VIII
Un parcours difficile, une difficulté normale.

Nous devrions à présent, à cette phase de notre recherche, pouvoir répondre à la question: Y a-t-il, dans l'école, des enfants relevant spécifiquement d'une rééducation? Si la réponse se révèle positive, il devrait être également possible de dessiner les grandes directions que devrait adopter cette aide "rééducative", pour pouvoir répondre aux besoins de cet enfant, afin de l'aider à dépasser ses difficultés.

Pour le rééducateur, dans une logique de l'acte rééducatif, trois grandes questions doivent trouver des éléments de réponse à l'issue des séances préliminaires:

  1. Où se situe la difficulté de l'enfant?
  2. De quoi cet enfant est-il capable, autrement dit, quelles sont ses potentialités, quelles sont ses ressources?
  3. De quoi cet enfant a-t-il besoin?

Deux autres questions, solidaires, découleront des réponses apportées:

  1. Sa difficulté est-elle "normale" ou "pathologique"?
  2. la réponse d'aide peut-elle lui être apportée au sein de l'école?

Un "tableau clinique", ou la "problématique" de l'enfant, se sont constitués à partir des paroles prononcées depuis la première rencontre avec le maître, l'enfant et ses parents, et à partir de tout ce que l'enfant a pu jouer et représenter, au cours des séances préliminaires. Cette problématique peut prendre sens grâce aux repérages des "savoirs constitués" 462 , et permettre de poser des hypothèses sur la difficulté de cet enfant. C'est dans l'articulation entre ces diverses sources de connaissance que pourra naître l'hypothèse de l'indication.

Un parcours difficile,...

Dès le premier jour de sa conception, le petit d'homme doit s'adapter, ajuster ses comportements, en apprendre d'autres; il doit s'intégrer à différents milieux qui lui permettent de vivre et de grandir. La nécessaire adaptation à un milieu qui évolue ou à un nouveau milieu, nécessite du sujet des transformations de ses modes de relation au monde. La séparation vis-à-vis d'un milieu a comme conséquence la perte inévitable d'une partie au moins de ce qui est connu, de ce qui était, afin de pouvoir aller vers ce qui est à venir. Comment l'enfant a-t-il assumé, élaboré et dépassé cette série de ruptures et reconstruit de nouveaux liens?

La construction psychique est elle-même conflictuelle et exige le dépassement de positions bien ancrées. De frustrations en castrations symboligènes, de refoulement en sublimation, le sujet, élaborant et dépassant ses conflits internes, apprend à devenir plus autonome et à pouvoir exprimer un désir qui lui soit propre.

...une difficulté normale ?

"Dans la grande majorité des cas, les élèves en difficulté ne présentent aucune déficience fondamentale, intellectuelle, caractérielle, sensorielle et motrice" ’ avait pu déclarer Alain BONY au Congrès de la FNAREN à Besançon, en 1989. Pourtant, leurs difficultés psychoaffectives, qui se manifestent, entre autres, par de "l'immaturité", de l'instabilité, des inhibitions, font qu'indiscutablement, ils ne parviennent pas à apprendre, ou du moins, voient leur efficience considérablement diminuée.

Est-ce la confrontation avec le milieu social scolaire et l'appropriation de certains contenus, de certaines démarches d'apprentissage, de certaines contraintes et exigences, qui se révèle difficile pour cet élève-là, à ce moment-là? En ce qui concerne la clinique, et dans la logique de l'analyse de la demande, cette question a normalement trouvé une réponse - même provisoire -, à cette étape de la démarche de l'indication. Le maître tente de trouver d'autres approches de l'apprentissage avec cet élève, ou bien le maître spécialisé à dominante pédagogique a déjà proposé son aide, la plupart du temps. Il s'agit cependant de vérifier la validité de la "pré-indication". Il est possible d'infirmer les premières hypothèses, et de modifier l'indication d'aide, pour tous les enfants auxquels ont été proposé des séances préliminaires. La question de la nécessité de soins pour cet enfant a été posée au départ, et a déjà été suggérée à la famille, dans tous les cas où elle apparaissait "d'évidence". Cependant, elle peut émerger au cours de ces rencontres préliminaires. C'est, principalement face à une alternative que se trouve confronté le rééducateur: cet enfant a-t-il besoin de "soins", ou bien une "rééducation" est-elle possible et souhaitable?

La mise en place des divers entretiens et des premières rencontres avec l'enfant, ont eu pour objet d'envisager la situation de cet enfant dans sa globalité, dans sa dynamique et dans son histoire. L'équipe du réseau d'aides s'est interrogée sur le sens des difficultés de celui-ci, sur la fonction de ces difficultés pour le sujet à ce moment donné de son histoire, au delà de l'enveloppe formelle que peuvent être des difficultés cognitives ou comportementales prises dans le seul contexte de la classe. Est-ce le lieu même de l'école, avec ses contraintes et ses exigences, qui est le révélateur de difficultés en lien avec l'histoire de l'enfant? Est-ce l'école qui révèle les difficultés que l'enfant n'a pu dépasser dans les deux environnements antérieurs? Cet enfant a-t-il choisi, plus ou moins inconsciemment, de porter sa difficulté dans ce lieu, pensant pouvoir y être entendu?

A cette phase de notre recherche, nous devrions pouvoir établir plus précisément les différents constituants de cette alternative entre "difficultés pathologiques" et "difficultés normales", entre nécessité de "soins" extérieurs à l'école, et "rééducation", dans le lieu même de l'école.

Notes
462.

Ces "savoirs constitués" sont ceux dont nous avons tenté de nous munir en particulier dans la deuxième partie de cette recherche.