6- Le "non-savoir", le "non-apprendre", un vécu de fermeture. La construction psychique de l'enfant est entravée, ou bien il retourne à des positions psychiques connues, comme moyens "d'auto-réparation". Inhibition et symptômes.

Un conflit interne réduit la disponibilité de l'enfant, mobilise son énergie. L'enfant ne comprend plus le sens de son histoire. Des événements ou des énigmes dépassent les capacités d'élaboration de son psychisme, ou bien les réponses qu'il peut apporter à ses questions, butent sur des impasses. Il interrompt le récit qu'il se construisait pour son propre compte. ‘ "On pourrait dire qu'à chaque fois qu'il y a difficulté scolaire importante, c'est que quelque chose se ferme dans la vie de l'enfant." ’ (LA MONNERAYE, 1993, p. 2). ‘ "...le désir d'apprendre est atteint, c'est-à-dire qu'il y a quelque chose chez lui d'un renoncement plus grand. On pourrait presque dire que c'est comme s'il avait fait un deuil de l'apprentissage: il va vivre sans, parce que quelque chose d'une souffrance trop grande est trop mobilisée à chaque fois"(LA MONNERAYE, 1994, p. 32). Les repères lui manquent, il ne sait plus "où il est" ni vers quoi aller, il ignore ce qui est attendu de lui ou ce qu'il doit répondre. Il "brise" alors en quelque sorte "la chaîne des signifiants" - dans un vocabulaire lacanien -, il rature, il répète, il piétine, il revient en arrière pour tenter de s'y retrouver, et de retrouver quelque repère, afin pouvoir de reprendre sa construction. Des préoccupations peuvent retenir ou faire revenir un enfant sur des positions normalement dépassées dans son "grandir".

Une conception linéaire a souvent dévoyé les apports de la psychologie génétique, en faisant considérer la nécessité pour l'enfant de passer par une succession stricte et universelle de "stades" cognitifs et affectifs de développement. Les stades cognitifs établis par PIAGET, ont été remis en question par le constat d'un ordre de développement des compétences de l'enfant, plus "en réseau", qu'en organisation hiérarchique de caractère linéaire. Tous les enfants ne développent pas les mêmes compétences, et les compétences communes, ne se construisent pas au même moment, pour tous les enfants. La psychanalyse remet actuellement en question, de son côté, toute une conception génétique du développement de l'enfant qu'elle a elle- même contribué à établir: partant du stade oral, puis anal, qui deviendrait le stade phallique, l'enfant, grâce à la résolution du complexe d'Oedipe, passerait par la période de latence. Un stade devait correspondre approximativement à un âge donné. On considérait que, d'une certaine manière, les stades se succédaient dans un ordre déterminé, un stade devant s'achever pour que l'enfant puisse accéder au stade suivant. De cette approche découle toute une conception corrélative des régressions, considérées le plus souvent comme des manifestations pathologiques.

On pense actuellement, que les choses ne se déroulent pas comme cela. Elles seraient beaucoup plus intriquées. Une autre conception beaucoup plus récente du développement, non plus linéaire, mais en spirale, est sans doute plus proche de ce qui se produit, car elle prend en compte des positions pourtant dépassées sur lesquelles il arrive, non seulement à l'enfant, mais à tout un chacun, de revenir, au gré des circonstances et des besoins psychiques fondamentaux. Lors de sa construction, le sujet adopte certaines positions. Par analogie avec le langage militaire, on peut toujours revenir sur une position déjà investie auparavant, puis dépassée, peut-être tout simplement pour revenir à du connu, quand il s'agit d'aborder de l'inconnu qui inquiète, fait peur, angoisse peut-être. Un événement familial, porteur de traumatisme dans la réalité ou dans le fantasme, comme peuvent l'être la séparation des parents, le décès de l'un d'eux ou encore la naissance d'un petit frère, peut entraver la poursuite de la construction psychique de l'enfant, entamer son désir de "grandir". L'enfant va camper sur des positions déjà connues, sans vouloir se risquer au-delà, ou bien même, souvent, revenir à des positions antérieures, "positions régressives ", qui ne sont pas pour autant pathologiques, mais qui sont utilisées comme moyen de défense, de recours contre cet inconnu menaçant. Elles peuvent faire partie des moyens "d'auto-réparation " que le sujet se donne. Il peut y trouver des repères, des ressources, pour poursuivre sa construction, son cheminement, l'élaboration de son histoire sous forme d'un récit, et par là même se retrouver lui-même. On fait l'hypothèse que l'enfant signifie sa souffrance née d'une telle situation, par un symptôme , effet observable, signifiant "de surface" d'un conflit psychique , signal d'appel au secours , symptôme qui n'est pas une vérité qui relève de la signification, mais la "traduction" visible d'un conflit.

  • La question se pose d'évaluer si la construction psychique de l'enfant est "bloquée", figée, ou bien si celui-ci s'inscrit dans une recherche de solutions, signifiée par des symptômes et la mise en œuvre de moyens "d'auto-réparation".
  • On peut faire l'hypothèse de la mise en place d'inhibitions ou bien de la construction inconsciente d'un symptôme "refus" d'apprendre, comme expressions des difficultés et comme colmatages de l'angoisse.

Un conflit psychique s'instaure pour l'enfant entre ce qui lui est demandé par l'environnement, c'est-à-dire l'école, et ce qu'il peut réaliser. Le symptôme peut alors avoir pour fonction d'exprimer cette difficulté, et de défendre le Moi face à une situation actuellement inassumable.Le malaise de l'enfant vis à vis de la problématique du désir d'apprendre, expériences de défaite et vécus de déliaison, peut se traduire par deux grands types de formations réactionnelles: inhibition, apathie mutilante, repli, aboulie...ou au contraire manifestations agressives destructrices tournées contre soi ou contre les autres, contre le cadre scolaire, et y compris contre l'adulte qui le représente, rébellion...

Nous pouvons désormais répondre à la question posée précédemment 469 , concernant le lien éventuel entre les deux grandes dimensions dégagées, de la difficulté de l'enfant: les deux dimensions de l'empêchement à apprendre et de la non-disponibilité de l'enfant à l'école, semblent bien se conjuguer, se renforcer l'une l'autre dans la plupart des cas, s'articuler, s'intriquer, s'influencer, le plus souvent. Nous pourrions le résumer ainsi:

Un enfant qui est encombré par des questions qui le tenaillent, est à la fois, ni disponible, ni prêt à apprendre. Un enfant qui n'a pas achevé d'élaborer une construction psychique suffisante pour se vivre séparé de sa famille, se construit des symptômes pour se défendre du conflit entraîné par les exigences de l'école auxquelles il n'est pas prêt à répondre.

Nous avons pu avancer que: Ne pas faire fonctionner sa pensée est une souffrance pour l'enfant 470 . Nous étions conduits, de ce fait, à poser la question: Est-ce, pour autant, une pathologie? Il semble que nous pouvons avancer à présent que cette difficulté ne dépasse pas pour autant systématiquement les limites d'une difficulté "normale" qui devrait requérir des soins, hors l'école. On peut penser, dans ces conditions, qu'une aide rééducative pourrait éventuellement aider un enfant à dépasser des difficultés qui ne sont pas d'ordre "strictement" pédagogique. Il semble donc que nous puissions affirmer que:

Il existe, dans l'école, des enfants dont la difficulté ne relève pas de "dysfonctionnements" ou de "manques" d'ordre pédagogique, et dont une pathologie qui exigerait des soins, n'est pas pour autant inéluctable.

Notes
469.

Fin du point 4.

470.

C'était notre hypothèse de travail (3), que nous avons considérée comme vérifiée au point 2-4-7.