4-2- Une dimension psychologique évidente.

On fait l'hypothèse que les difficultés d'investissement des apprentissages de la part de l'enfant, ou encore que son comportement, qui diminue son efficience dans les activités scolaires, sont en lien avec son histoire d'enfant. On pose l'hypothèse de questions vitales non résolues, non élaborées, restées sans réponse, qui rendent l'enfant indisponible à autre chose. On pose l'hypothèse de choses tues, de choses intolérables, non exprimées, non parlées, non symbolisées, non intégrées, restées à "l'état brut", à l'état de "réel", qui "parasitent" sa vie. La nécessité de désencombrer le passé de l'enfant pour qu'il puisse vivre son présent et sa vie, apparaît comme primordiale, urgente. Ce que vit et montre Ismène, en constitue une illustration particulièrement éclairante.

Des expériences de défaite, des "mises hors-groupe", ont pu s'accompagner de vécus de déliaison psychique, d'un sentiment d'incapacité, d'impuissance, de blessures narcissiques, pouvant conduire à des comportements de rejet, de révolte, ou à des comportements dépressifs. Ismène finit, en effet, par être rejetée par ses camarades. Elle est parfois agressive avec eux, sans raison apparente, et de plus, elle est accusée d'être une "voleuse".

Les difficultés scolaires ne sont pas une donnée en soi, mais elles peuvent être entendues comme un symptôme, au sens psychanalytique du terme, c'est-à-dire qu'on leur suppose un sens... Lorsque le sujet s'épuise dans des actions stériles et lorsqu'il se heurte à des impasses, lorsqu'il ne parvient plus à trouver des repères pour vivre, on peut penser que lui offrir un espace-temps favorable à l'expression, à la mise en mots de ses vécus, de ses ressentis, de ses questions, et à la recherche par lui-même de réponses, l'aideraient à les symboliser, à les élaborer, à s'en distancier, à s'en libérer, et à donner du sens à son histoire. Il semble nécessaire de se poser la question d'une indication soit rééducative, soit thérapeutique.

L'indication d'aide pédagogique spécialisée est habituellement déjà posée et engagée à cette étape du travail. Des interrogations peuvent subsister entre une indication de thérapie ou une indication de rééducation. Yves de La MONNERAYE met en garde contre une idée couramment admise: ‘ "...c'est une erreur de poser le problème en termes de "gravité". Il faut le poser en termes de structure ’ ‘ et l'aide que l'on peut apporter à l'enfant doit être adéquate à l'analyse de l'ensemble de la situation humaine dans laquelle on est pris - je précise "on", c'est non seulement l'enfant, mais au moins l'instituteur, les parents et le rééducateur - et non résulter d'une seule analyse des symptômes de cet enfant...comme si la ’ ‘ rééducation ’ ‘ était une ’ ‘ psychothérapie pour cas faciles ’ ‘ , ou pour petits symptômes; cela n'a rien à voir ’ ‘ . Il s'agit de deux champs épistémologiques différents ’ ‘ ."(LA MONNERAYE, 1991, p. 82 et 83) 478 . C'est ce que, entre autres, cette recherche a l'ambition de mettre en évidence.

Reconnaître la ressemblance et l'altérité, la séparation, et pouvoir créer des liens qui intègrent les différences, c'est faire exister le symbolique. Se reconnaître, chacun, dans ce qui réunit, mais aussi dans ce qui sépare, est la condition préalable pour que puissent s'envisager de possibles échanges et collaborations entre praticiens de différents champs de l'aide à l'enfant. Une complémentarité pourra peut-être en être dégagée, remplaçant une trop fréquente rivalité imaginaire, une lutte de territoires, à laquelle se rattachent l'exclusivité d'une pratique, et le rejet de l'autre.

Nous savons qu'un symptôme n'est que "la partie visible d'un iceberg", et une construction défensive contre l'angoisse, un compromis élaboré par le registre symbolique en fonction de causes qui peuvent être extrêmement variées. Il n'est donc pas possible de différencier l'aide rééducative et l'aide thérapeutique, selon l'entrée par les symptômes. Un symptôme ne constitue donc pas un indicateur valable ni de l'origine des difficultés, ni de ce qui serait nécessaire à l'enfant.

Nous avons analysé les préalables à l'apprentissage, depuis le désir d'apprendre jusqu'à la possible inscription de l'enfant dans les apprentissages et les activités de l'école. Les réponses apportées à l'occasion des séances préliminaires permettent de compléter les éléments qui peuvent laisser supposer la nécessité d'une thérapie, ou qui permettent de poser l'hypothèse que la difficulté de l'enfant puisse être normale dans un parcours difficile, une rééducation étant alors appropriée pour l'aider.

En prenant appui sur ce qu'a apporté Ismène en séance, et en resituant son "cas" à la fois dans le cadre plus général des enfants rencontrés lors de ces séances préliminaires, et des analyses que nous avons réalisées dans les chapitres précédents, nous nous demanderons si l'élément repéré conduit plutôt à une réponse rééducative ou à une réponse thérapeutique, ou bien s'il peut concerner l'un ou l'autre champ. Notre démarche d'analyse nous conduira à compléter les éléments apportés par Ismène, avec des traits spécifiques empruntés à d'autres enfants, afin de tenter une synthèse opérationnelle pour la pratique. Le choix de départ d'une démarche résolument clinique, nous conduit à rester dans la limite des cas d'enfants réellement rencontrés dans notre expérience de rééducatrice. Nous poserons que la réduction du champ du réel étudié est compensée, dans une certaine mesure, par une longue pratique, donc par un grand nombre d'enfants rencontrés, et ce, dans des lieux d'intervention différents.

Nous soulignerons au passage, les besoins qui semblent non satisfaits chez ces enfants, mais aussi leurs potentialités, leurs capacités. Ces besoins et ces ressources, éclairent la nature de l'aide à lui apporter. Nous pourrons ainsi répondre plus précisément à la question posée: Y a-t-il, dans l'école, des enfants relevant spécifiquement d'une rééducation?

Notes
478.

Souligné par nous.