Affirmer ses points communs et ses différences pour définir son identité.

Depuis 1990, une autre "voie intermédiaire" est née dans l'école. C’est celle de l’aide spécialisée à dominante pédagogique. Nous avons tenté de définir rapidement celle-ci lors des analyses qui nous conduisaient de la demande à la proposition d’indication 492 . La pédagogie du maître ordinaire, l’aide spécialisée à dominante pédagogique, l’aide rééducative, sont trois interventions possibles auprès de l’enfant, dans l’école. Deux de ces interventions se centrent sur la pédagogie. Ivan DARRAULT soulignait (1992, p. 1), que, ‘ "pour la première fois, par les textes de 1990, les maîtres chargés de rééducation sont clairement identifiés et distingués des acteurs de l'aide pédagogique". L’analyse de la demande et les différentes démarches conduisant à la pose de l’indication d’aide, ont mis l’accent sur de nécessaires échanges, sur une indispensable collaboration entre les différents partenaires éducatifs. Des rencontres ont été indispensables, chacun a été amené à parler de lui dans la relation avec cet enfant, relation difficile souvent. Instituer une action en collaboration et en concertation au sein d'une équipe éducative, va de pair avec l’institution d’une extériorité, avec la reconnaissance d'une séparation symbolisée entre ces différents lieux, ces différents temps et ces personnes différentes. L’objectif en est, qu'il n'y ait pas de confusion, pas d'amalgame, de "Un-Tout" imaginaire, ni pour l'enfant, ni pour ses parents, entre enseignant et aidant. Il est nécessaire que l'enfant, mais aussi ses parents, puissent repérer sans risque de confusion possible, chaque professionnel susceptible d'intervenir au sein de l’école. Ne pourrait-on pas considérer que cette articulation entre les différentes interventions éducatives, pourrait être intériorisée par l’enfant et l’aider à se donner des repères? Ne peut-on pas penser que l'enfant réussira d'autant mieux son processus de différenciation, de séparation, que les interventions éducatives - ou rééducatives - qui lui sont proposées seront elles-mêmes différenciées? On peut affirmer que cette acceptation réciproque, que la constitution de ces liens, sur fond de différence, commence par la connaissance de soi et par la connaissance de l’autre.

Situer topologiquement cette troisième voie comme une position médiane , "entre pédagogie et soin", à l'intérieur du temps et lieu scolaires, relève d'une gageure, pari pourtant nécessaires. Nous savons "qu'être assis entre deux chaises" présente un équilibre particulièrement instable. C'est le lot de toutes les frontières, de toutes les limites. C'est pourquoi plus qu'ailleurs peut-être, les rééducateurs ont besoin constamment de réajuster leurs positions et de redéfinir leur place par une réflexion étayée par des référents théoriques solides. A quel référent théorique va se référer cette pratique rééducative? Nous avons annoncé que la théorie psychanalytique était requise. Dans quelle mesure, et que va lui demander le praticien? Se définir, lorsqu’on exerce un métier "en frontière", "dans une marge", n’est pas un choix. C’est de l’ordre d’une contrainte, d’une exigence professionnelle impérieuse, si l’on veut savoir ce que l’on fait et pourquoi on le fait, pour soi et pour l’enfant qui est là, pour son maître et sa famille. ‘ “Toujours nous serons astreints à nommer, tracer des bords, marquer des frontières, reprendre une à une les peurs, jongler avec toutes les dimensions, penser l’instantané, et à travailler notre implication” ’, affirme avec force Mireille CIFALI (1994, p. 291), dans les propos conclusifs de son ouvrage.

Nous choisirons de référer dans un premier temps la globalité et la spécificité des propositions rééducatives, la démarche adoptée, aux finalités, aux objectifs généraux, en formulant les remarques qu'elles appellent. Nous nous immergerons ensuite dans le système lui-même, dans son fonctionnement, pour tenter d'atteindre, au-delà de ce que l'on observe, une compréhension intime des processus en jeu.

Comment définir les propositions rééducatives, par rapport aux autres interventions auprès de l'enfant, à l'intérieur même de l'école? Nous adopterons une démarche comparative de ces différentes interventions au sein de l'école.

Si les objectifs généraux et spécifiques sont définis par les textes, en l’absence de "programmes", de "progressions", qui régissent habituellement le temps et les contenus pédagogiques, la définition du projet rééducatif, celle des stratégies adoptées, le choix d’un cadre rééducatif et celui des médiations, constituent non seulement les fondements de la pratique rééducative, mais des repères stables, fiables, à cette pratique. C’est aussi le premier et indispensable moyen de donner à l’enfant, à sa famille et à son maître, des garanties quant à cette pratique inhabituelle dans l’école, dans laquelle, si on y joue, si on y parle, si on y "fait semblant", on y joue, on y parle, et on y "fait semblant" "sérieusement". On n’y fait pas "n’importe quoi", et les enfants concernés, d’autant plus lorsque la rééducation correspond à leurs besoins, ne s’y trompent pas. Les régulateurs des choix opérés par les praticiens dans leur pratique, quant aux propositions faites à l'enfant, sont non seulement les instructions officielles qui réglementent une profession, mais aussi les instances nationales de réflexion et d’analyse de la pratique rééducative que se sont donnés les rééducateurs, sous la forme de la Fédération Nationale des Rééducateurs de l’Education Nationale (FNAREN), ou encore des Centres de Formation, qui sont des lieux de réflexion et d’analyse permanente. Les publications en provenance de ces deux sources, constituent des repères pour les praticiens.

Cependant, quel que soit la "valeur" ou l'intérêt de chacune des propositions faites, encore faut-il qu'elles ne se contredisent pas, et que leur ensemble présente une cohérence. De cette cohérence, dépend celle de l'acte du praticien et de ses positions dans l'action. Aussi, devons-nous questionner: Quelle est la cohérence des propositions rééducatives, dans leur articulation? Notre objectif est de mettre en évidence qu'il est possible, actuellement, de définir une praxis rééducative cohérente . (Hypothèse de travail 6).

Si la difficulté spécifique de certains enfants a conduit la rééducation à se situer en amont de l'intervention pédagogique, nous devrons interroger la manière dont la rééducation répond aux besoins de ces enfants, comment elle utilise les ressources de ceux-ci, comment elle occupe cette place . Autrement dit, quelle est la pertinence des propositions rééducatives au regard des difficultés de l'enfant, et à ses besoins, définis dans notre deuxième partie?

De ces différentes approches, devrait pouvoir se dégager la manière dont la rééducation s'inscrit dans le contexte de l'école, et les matériaux pour construire alors "un modèle d'intelligibilité de la pratique rééducative", non pas prescriptif, mais explicatif, en ce qui concerne les propositions du rééducateur à l'enfant.

L'analyse du processus rééducatif de l'enfant, à partir de rencontres cliniques, pourra répondre dans un deuxième temps de la pertinence des propositions rééducatives, comme de leurs effets. Nous devrions pouvoir apporter des réponses à la question: "Qu'est-ce qui est rééducatif?"

Notes
492.

Chapitre VI, point 4.